« Le Serment de Pamfir », raconté par la coproductrice Laura Briand

« Le Serment de Pamfir », raconté par la coproductrice Laura Briand

31 octobre 2022
Cinéma
Oleksandr Yatsentyuk dans « Le Serment de Pamfir ».
Oleksandr Yatsentyuk dans « Le Serment de Pamfir ». Condor Distribution

Percuté tour à tour par le Covid et la guerre, ce premier long métrage de l’Ukrainien Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk a connu de nombreux aléas avant de décrocher une sélection à la Quinzaine des Réalisateurs. Sa coproductrice française (Les Films d’ici) nous raconte l’aventure du film, en salles cette semaine.


Le Serment de Pamfir met en scène, dans une région rurale aux confins de l’Ukraine, un homme qui, alors que son fils se trouve mêlé à un incendie criminel, se voit contraint pour réparer le préjudice de renouer avec son passé trouble. Comment avez-vous été impliquée dans la production ?

Je fais partie de l’association de productrices européennes EWA qui a un programme de mentoring. Chaque année, je parraine une jeune productrice venue d’Europe. C’est dans ce cadre que j’ai rencontré, il y a trois ans, Aleksandra Kostina qui cherchait une coproduction française pour son projet. J’ai commencé à l’aider tout en lui demandant de voir le court métrage du réalisateur… que j’ai adoré ! S’est alors posée une question déontologique pour moi car ce n’est ni le sens ni le but du programme que je me retrouve à coproduire un projet que j’accompagne. J’ai donc demandé l’autorisation à l’instance et ce n’est qu’une fois celle-ci obtenue que j’en ai parlé à Alexsandra, qui m’a confié qu’elle n’avait pas osé me le demander ! C’est comme ça que tout a commencé et que j’ai rencontré dans la foulée Dmytro [Sukholytkyy-Sobchuk]. 

Qu’est-ce qui vous avez séduit dans le scénario du Serment de Pamfir ?

Le premier moteur a été pour moi la singularité de la grammaire cinématographique de Dmytro, déjà visible dans son court métrage. Plus précisément la construction de ses plans, la puissance, la chorégraphie et la richesse de ses plans-séquences. Mais dans la version du scénario que je lis – qui n’était pas encore définitive et souffrait d’un problème de rythme – l’histoire telle qu’elle était racontée et la plongée dans un univers ukrainien que je ne connaissais pas (à commencer par toutes les scènes de carnaval) m’ont passionnée. La rencontre avec Dmytro n’a fait que confirmer et amplifier cette première impression. Je comprends vite qu’on parle le même langage artistique, notamment dans notre rapport à la peinture, que la collaboration va être fluide, même si on ne parle pas la même langue. Dmytro avait envie de travailler avec la France car il avait fait la Cinéfondation, mais aussi parce que notre pays représente un modèle pour nombre de cinéastes étrangers. Je lui ai tout de suite demandé s’il était prêt à venir accomplir plusieurs étapes de la fabrication du Serment de Pamfir en France. 

Quelles ont été vos étapes de travail à partir de cette première rencontre ?

Chercher le financement évidemment. Je suis d’abord spontanément allée vers l’Aide aux cinémas du monde. Notre dossier a passé la première étape avant d’échouer à la seconde, avec quelques critiques – assez justes – sur le scénario. On a donc revu notre copie. Ce qui là encore n’est jamais évident quand on croit un travail abouti. Mais on s’y est attelé, on a représenté notre dossier et là on a obtenu l’aide. Dans la foulée, le studio de mixage Orlando est rentré en coproduction et sans eux, sans leur soutien et leur flexibilité, le film n’aurait pas été le même. Puis on a trouvé le vendeur international – Indie Sales, qui, par la suite, a tenu tous ses engagements malgré la pandémie – et les financements complémentaires des autres pays : la Pologne, l’Ukraine… Et puis le Covid a surgi.

Quelles conséquences directes a-t-il eues sur Le Serment du Pamfir ?

Le Covid est arrivé avant que le tournage débute. Celui-ci a donc été repoussé du printemps 2020 au mois d’octobre suivant. Il a fallu changer notre fusil d’épaule avec les techniciens étrangers qui devaient venir sur place. À ce moment-là, j’étais censée aller chercher un distributeur français mais j’y ai renoncé. Car je ne me voyais pas aller toquer aux portes dans un moment aussi difficile. J’ai donc pris le parti, puisque je croyais à 200 % au film, d’attendre d’être sélectionné en festival – avec Cannes en ligne de mire – pour aller chercher le distributeur que je voulais et l’avenir m’a donné raison.


Comment s’est déroulé le tournage ?

Il a débuté en octobre 2020… avant qu’un autre confinement vienne tout bousculer, même s’il était prévu dès le début que le tournage s’étale sur deux saisons. On a donc achevé Le Serment du Pamfir en 2021 avec des consignes un peu moins strictes toutefois puisqu’on se trouvait dans un coin isolé, en pleine montagne. Mais les conditions étaient rudes pour les techniciens et les comédiens qui sont restés sur place très longtemps car Dmytro aime faire beaucoup de préparation, il demande à ses comédiens de s’exercer aux métiers de leurs personnages… Ensuite a débuté l’étape du montage, qui me passionne et qui a été particulièrement longue. 

Dmytro aime faire beaucoup de préparation, il demande à ses comédiens de s’exercer aux métiers de leurs personnages…

Pour quelles raisons ?

Pour des raisons de production, car le montage devait se dérouler en Pologne. Pendant un temps, à cause des restrictions liées à la pandémie, il a été impossible pour Dmytro de s’y rendre. Ce qui n’a évidemment pas facilité les choses. Car comme souvent dans un premier long métrage, la première version du montage ne correspond pas exactement au rêve du scénario. Il faut alors tout mettre en œuvre pour tenter de s’en approcher à nouveau. Et j’ai pu constater la très grande disponibilité de Dmytro. Nous n’avions pas de positions contradictoires, mon rôle consistait simplement à l’emmener au meilleur de lui-même, en sachant qu’il me paraissait juste qu’il ait à chaque fois le dernier mot dans nos discussions. Mais ce type de conflit n’a jamais existé.

C’est à vous que l’on doit la présence d’une bande originale dans le film.

J’avais besoin d’un apport éditorial artistique français. J’en avais été privée sur le tournage à cause des confinements et le mixage ne me semblait pas suffisant de ce point de vue-là. Sauf que Dmytro n’est pas spontanément sensible au travail de composition et n’avait pas envie de musique hors de celle qui se jouerait sur le plateau. Mon travail a été de le convaincre de l’intérêt en lui présentant Laetitia Pansanel Garric. J’avais travaillé avec Laetitia sur plusieurs documentaires pour la télévision. Il s’agit ici de sa première BO pour le cinéma. C’est une compositrice mélodiste avec une énorme puissance de travail et je savais qu’elle aurait la souplesse pour parvenir à convaincre Dmytro que le résultat final serait meilleur avec sa musique. Ce qu’il s’est produit. Laetitia a aussi produit un énorme travail de design sonore, à l’image de ce que Bernard Herrmann a pu faire avec Hitchcock sur Les Oiseaux.

Mais Le Serment de Pamfir n’est pas encore au bout de ses aventures car sa postproduction va se retrouver percutée par le début de la guerre en Ukraine…

À ce moment-là, le montage images était quasiment terminé et on se trouvait au cœur du montage son. On s’apprêtait à recevoir des éléments pour effectuer le mixage en France alors que l’étalonnage se faisait en Pologne. On a fait un rendez-vous le 23 février au soir pour organiser tout cela et le lendemain la guerre éclatait. Tout le monde est tombé des nues. Évidemment, soudain, on ne pense plus au film mais à vérifier que tout le monde en Ukraine est à l’abri. Dmytro vit à Kiev dans un quartier bombardé. Il pense un temps à franchir la frontière pour s’occuper de l’étalonnage en Pologne mais choisit finalement de rester dans son pays pour s’engager dans l’humanitaire. Quant au master son, il se trouve, lui, non sécurisé dans un studio à Kiev, au cœur des bombardements. On est donc à deux doigts de tout perdre quand un véritable héros, un assistant du montage son, va sur place malgré les dangers encourus pour télécharger le fichier et nous permettre de recevoir le son à Paris. Ça peut paraître dérisoire par rapport à ce qui se passait sur place, mais j’avais en tête l’avenir du film et la deadline pour Cannes. Je me sentais une responsabilité particulière de mener les choses à terme dans ces moments tragiques pour toute l’équipe ukrainienne.

Le Serment de Pamfir Condor Distribution

Vous avez su très tôt que Le Serment de Pamfir serait sélectionné à Cannes ?

Oui, le coup de cœur de la Quinzaine des Réalisateurs a été très rapide. On s’est donc engagés avec eux. Et dès l’annonce de la sélection, je me suis mise à la recherche d’un distributeur afin de profiter au maximum de l’exposition du festival.

Pourquoi avoir choisi Condor ?

D’abord parce que j’avais eu une expérience plus qu’agréable avec son créateur Alexis Mas sur Par instinct de Nathalie Marchak, même si le film n’avait pas marché en salles. J’avais vu combien il s’investissait, prenait du temps pour réfléchir au positionnement, savait effectuer un travail de fond. Or tout cela était particulièrement essentiel pour un film comme Les Serments de Pamfir. Alexis a, depuis, une nouvelle équipe autour de lui, aussi solide en programmation qu’en marketing. On peut le voir à sa campagne d’affichage très réussie, mais aussi au fait qu’il a demandé à Dmytro de venir pendant un mois en France pour une tournée de 30 dates d’avant-premières et lui a ainsi donné la chance de pouvoir rencontrer son public. C’est essentiel dans la carrière d’un cinéaste au début de son parcours. 

Le Serment du Pamfir a été vendu à l’international ?

Il sortira en Pologne mais aussi en Suisse, en Italie, en Indonésie, au Canada, en Slovénie… Notre coproducteur chilien est en train de travailler pour trouver un distributeur dans son pays. Et il y a eu la semaine dernière une projection en Ukraine où, à la lecture des messages sur la page Facebook du réalisateur, je sens que quelque chose de fort se passe autour du film et c’est précisément ce que je défends quand je le présente. La culture constitue un soft-power énorme pour un pays comme l’Ukraine. Le Serment du Pamfir ne raconte pas la guerre ou le rapport avec la Russie, mais parle pourtant vraiment de l’Ukraine.

LE Serment DE PAMFIR

Réalisation et scénario : Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk
Photographie : Nikita Kuzmenko
Montage : Nikodem Chabior
Musique : Laetitia Pansanel Garric
Production : Les Films d’ici, Madants Film, Studio Orlando, Wady Films, Moderator Inwestycje, Bosonfilm, Quijote Films, Mainstream Pictures
Distribution : Condor Films
Ventes internationales : Indie Sales
Sortie en salles le 2 novembre 2022
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