Le Trianon de Romainville a 70 ans : focus sur un cinéma historique

Le Trianon de Romainville a 70 ans : focus sur un cinéma historique

Tournage en janvier 1984 de l’émission « La Dernière Séance » au Trianon.
Tournage en janvier 1984 de l’émission « La Dernière Séance » au Trianon. Le Trianon

L’institution locale, reconnaissable entre mille grâce à son architecture, fête ses sept décennies d’existence. Tour du propriétaire en compagnie de Julien Tardif, directeur et programmateur du Trianon, un cinéma classé aux Monuments historiques.


« 70 ans, ça commence à compter ! », s’enthousiasme Julien Tardif, directeur et programmateur du Trianon depuis 2020. Cette semaine, le cinéma de Romainville fête ses sept décennies sous sa forme actuelle, avec des avant-premières, concerts et cartes blanches données à plusieurs réalisateurs et réalisatrices. « C’est une longue période dans la vie d’un cinéma. Il a cette aura nationale que lui a donné La Dernière Séance [l’émission animée par Eddy Mitchell a été tournée en grande partie ici – ndlr], mais avant sa création, le lieu existait sous une autre forme : au début, Le Trianon était un café, qui a connu les toutes premières projections à la naissance du cinématographe. Et dès les années 1930, il s’est transformé en un véritable bâtiment cinéma, qui a malheureusement été détruit dans les bombardements de la Seconde Guerre mondiale. » Il faudra attendre 1953 pour que Le Trianon soit reconstruit sous la supervision de l’architecte Charles Genêtre, qui lui donne un style « paquebot », une branche tardive du mouvement Art déco. La famille Seigneur, propriétaire de longue date, avait un goût prononcé pour le septième art et a continué à exploiter le cinéma jusque dans les années 1980. « C’est là qu’il a existé un moment de flottement dans l’histoire du Trianon, très convoité par les promoteurs immobiliers. Monsieur Seigneur a eu la bonne idée d’aller voir le maire de Romainville et de lui dire qu’il ne souhaitait pas que le lieu soit transformé en garage ou en magasin de chaussures. L’édile a accepté d’aider, mais il n’avait pas les moyens de le faire seul : il s’est donc associé avec le maire de Noisy-le-Sec, car l’écran se situe quasiment à la frontière entre les deux villes. Ensemble, ils ont racheté Le Trianon, ce qui en a fait un cinéma public intercommunal pionnier, l’intercommunalité n’étant pas très en vogue à l’époque ! Et cela a surtout permis de sauvegarder le bâtiment en lui-même qui, quatorze ans plus tard, a été classé à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques. »

Nombreuses missions, mono-écran

Très vite, l’institution de Romainville se dote de missions de service public. « Des missions qu’il a toujours, d’ailleurs, reprend Julien Tardif. Les axes éditoriaux ont peu changé, avec cette volonté très forte d’un ancrage local et d’un cinéma avant tout pour les habitants. Avec une politique tarifaire qui reste adaptée au plus grand nombre. » Le Trianon se focalise également sur l’éducation à l’image, avec la mise en place de partenariats avec des écoles situées sur les deux communes limitrophes. « Rapidement se sont montées des classes à projet, qui ont permis de travailler en partenariat avec l’éducation nationale. Ce qui a donné lieu à un festival dont on a fêté la 25e édition cette année, Les Enfants font leur cinéma. Cet axe d’éducation est vraiment très important, nous y consacrons près de la moitié de notre activité : les séances du matin et du début d’après-midi sont réservées aux scolaires. Et nous proposons aussi beaucoup d’ateliers gratuits autour des thématiques des films projetés. ». Depuis 2013, Le Trianon fait partie d’un réseau de cinémas publics, Est Ensemble, composé de six salles autour de Romainville « Même si chaque cinéma garde son identité et son autonomie de programmation, il y a aussi des dynamiques de réseau qui se mettent en place ».

La salle du Trianon Le Trianon

Classé Art et Essai, Le Trianon n’oublie pas non plus de « faciliter les rencontres entre les œuvres, les artistes et le public » et vend 65?000 billets à l’année. « Ce qui est plutôt honorable pour un cinéma mono-écran. Malheureusement, la géographie des lieux fait qu’il est compliqué d’ajouter des salles, mais c’est un projet que nous avons toujours en tête. Ce n’est vraiment pas faute de vouloir le faire, car la programmation est forcément complexifiée par le fait de n’avoir qu’un écran. » Julien Tardif compte profiter de l’arrivée prochaine du métro à Romainville pour toucher une population plus large, « même celle qui est la plus éloignée de la culture ». Résolument inclusif, le cinéma projette d’intégrer le dispositif Ciné-Relax, qui permet d’accueillir des publics en situation de handicap. Le Trianon organise régulièrement des séances inclusives, et fait le plus souvent possible traduire en langue des signes les débats qui suivent les projections. « Nous accueillons aussi le Festival du film franco-arabe de Noisy-le-Sec, un projet coorganisé par Le Trianon et la ville de Noisy-le-Sec, qui se déroule en novembre. Nous sommes en train de préparer la 12e édition, avec la vocation d’essaimer sur le territoire à travers les salles du réseau Est Ensemble. Nous travaillons aussi sur la thématique de l’environnement et voulons continuer à la développer : nous avons un rendez-vous mensuel, qui s’appelle Notre monde et nous, dans lequel nous montrons des films et organisons des rencontres et des ateliers. Nous souhaitons aussi réfléchir autour des thématiques du développement durable pour les cinémas, que ce soit dans leur fonctionnement ou leur programmation. »

Le Trianon vers 1980 Le Trianon

70 ans dignement fêtés

Du 15 au 20 septembre, l’heure sera donc aux festivités pour Le Trianon. La soirée d’ouverture des 70 ans sera inaugurée par Costa-Gavras, ami de longue date du cinéma et parrain du Festival du film franco-arabe. Patrick Brion, créateur et animateur du Ciné-Club d’Antenne 2, du Cinéma de minuit sur France 3 et cocréateur (ainsi que responsable éditorial) de La Dernière Séance, viendra introduire La Prisonnière du désert de John Ford. Tout au long de la semaine, les spectateurs pourront découvrir des films en avant-première (Acide, Rosalie, Linda veut du poulet !), en présence de leurs réalisateurs, ainsi que des classiques du cinéma, des concerts (notamment Michel Leclerc et Baya Kasmi, mais aussi un big band composé de 18 musiciens). « J’ai demandé à chaque cinéaste une carte blanche, son film de chevet. Nous avons étalé la projection de ces longs métrages sur la semaine. J’aimais l’idée d’être dans le présent, et en même temps de voyager dans les sept décennies d’histoire du Trianon. Un double volet qui correspond à ce que l’on est, c’est-à-dire un cinéma historique de patrimoine, qui se veut aussi à la pointe de l’actualité cinématographique. »