Les Frères Sisters : Thomas Bidegain, un scénariste français chez les cowboys

Les Frères Sisters : Thomas Bidegain, un scénariste français chez les cowboys

19 septembre 2018
Cinéma
Les Frères Sisters
Les Frères Sisters de Jacques Audiard Shanna Besson

Scénariste attitré de Jacques Audiard depuis leur rencontre sur De battre mon cœur s’est arrêté, Thomas Bidegain retrouve à nouveau le réalisateur afin d’adapter Les Frères Sisters (en salles le 19 septembre). Un western. Ce qui est finalement loin d’être une surprise car c’est un genre qu’il affectionne particulièrement et auquel il s’est déjà attaqué avec Les Cowboys, sa première réalisation en 2015.


Comment un scénariste français en vient à écrire le scénario d’un western ?

Il y a six ans, alors que Jacques Audiard et moi étions au Festival de Toronto pour présenter De rouille et d’os, l’acteur John C. Reilly nous a proposé le livre de Patrick deWitt, Les Frères Sisters. Il en avait acquis les droits avant même qu’il soit publié car il connaissait l’auteur. Il a fallu attendre un peu avant de nous attaquer au projet car avec Jacques, on avait commencé Dheepan et je devais réaliser Les Cowboys.

Les Cowboys n’est pas un western mais reste quand même une métaphore de western. L’arrivée du projet Les Frères Sisters est donc une drôle de coïncidence.

Les Cowboys et Les Frères Sisters représentent le même film à l’envers, pratiquement. Pour Les Cowboys, je devais aller chercher des références western pour les inclure dans la vraie vie. Pour Les Frères Sisters, avec Jacques, on devait inclure de la vraie vie dans un western.

Qu’est-ce qui vous a attiré dans Les Frères Sisters ?

Ces frères, Eli (John C. Reilly) et Charlie (Joaquin Phoenix), qui se parlent comme des enfants alors qu’ils sont des tueurs. Cette naïveté du regard d’Eli, cette juvénilité quand il découvre le monde. C’est un roman d’initiation, celle d’Eli. Le thème de la ruée vers l’or nous intéressait aussi beaucoup avec cette idée d’un pays qui se peuple, de ces grands mouvements de population. Lors de l’écriture, avec Jacques, on regardait des photos de paysages de l’Ouest pendant la ruée vers l’or et elles ressemblaient beaucoup aux photos des campements de tentes de la Porte de la Chapelle, à Paris. Il y a aussi la notion de l’utopie car le personnage de Warm (Riz Ahmed) arrive avec une idée de la modernité. Cette utopie n’est pas dans le livre mais si tu l’enlèves de notre histoire, les personnages ne vont parler que d’or, comme dans un western, et ce ne sera qu’une motivation. Si l’or sert à autre chose, on évoque une idée et on a alors un film qui parle d’un type qui poursuit un type qui poursuit un type qui poursuit un rêve. Les personnages de Warm et Morris (Jake Gyllenhaal) existent dans le livre mais ils sont plus caricaturaux et moins importants. On s’est rendu compte qu’on avait besoin d’un conflit entre deux couples, les frères Sisters d’un côté et Warm et Morris de l’autre, sinon le film devenait une errance et on perdait le côté de la chasse qui lui donne un rythme. Mais plus qu’un western, avec Jacques, on a très vite vu un conte parce que ce sont des enfants. La Nuit du chasseur – mon film préféré - était notre film de référence, même si ce n’est pas un western, avec cette idée d’enfants poursuivis ou poursuivants. On a aussi choisi une violence de conte, assez stylisée, à distance. Il y a un côté livre d’images : un cheval en feu, une grange qui brûle, des coups de feu dans la nuit… Cela commence comme un film violent et puis se pose la question de savoir comment se débarrasser de la violence de nos pères. A un moment un personnage dit : « Il faudra qu’un jour on se débarrasse de toute cette barbarie. » On est toujours en train d’essayer.

A la base, Les Frères Sisters reste un western. Quelles ont été vos références ?

Les westerns qui nous ont influencés sont surtout ceux des années 70 : The Missouri Breaks, La Porte du paradis… C’est de là que vient notre vision de l’Ouest. J’adore les films de Raoul Walsh et de John Huston. Jacques aime aussi les films de Huston mais il est moins fan des westerns classiques alors que moi j’aime cette imagerie. Mais on ne peut plus faire de films comme ça. Je serais même bien incapable d’écrire ce genre de longs métrages avec ces enjeux de codes d’honneur et autres.

On a besoin de personnages qui soient vraiment des êtres humains. Il faut creuser leur intimité, leur prêter une mélancolie, une hygiène buccale… Il y a un champ laissé en friche par le western et c’est celui des sentiments. Le grand talent de Jacques est de prendre des personnages qui sont des archétypes – des tueurs, un prospecteur, un détective – et d’en faire des personnages humains.