Les SOFICA, 40 ans au service de la création

Les SOFICA, 40 ans au service de la création

17 octobre 2025
Cinéma
Flow de Gints Zilbalodis
« Flow » de Gints Zilbalodis, film multi-primé qui a été financé en partie par les SOFICA

Créées en 1985, les SOFICA (Sociétés de financement de l’industrie cinématographique et audiovisuelle) sont chargées de collecter des fonds privés auprès de particuliers, qui bénéficient en contrepartie d’un avantage fiscal, et de les investir dans la production cinématographique et audiovisuelle. À l’occasion de leurs 40 ans, retour sur l’essentiel de ce dispositif exclusivement français.


Flow de Gints Zilbalodis multi-primé aux César, aux Golden Globes et à Annecy (2025), Anatomie d’une chute de Justine Triet, Palme d’or à Cannes (2023), Dahomey de Mati Diop, Ours d’or à Berlin (2024), Vingt dieux de Louise Courvoisier, Meilleur premier film aux César (2025) sans oublier les séries à succès En thérapie, Le Bureau des Légendes et Cat’s Eyes… Ces œuvres ont toutes été financées en partie par les SOFICA (Sociétés de financement de l’industrie cinématographique et audiovisuelle). Cet outil fiscal original, purement français, a été créé par la loi du 11 juillet 1985 dans l’objectif d’aider les créateurs de films, séries ou fictions ainsi que leurs producteurs à diversifier leurs sources de financement. « Aujourd’hui, près d’un film sur deux bénéficie de l’aide d’une SOFICA », rappelle Serge Hayat, président de l’Association de représentation des SOFICA (ARS) et de la SOFICA Cinémage, lors de la table ronde organisée au CNC le 29 septembre 2025, à l’occasion des 40 ans du dispositif. « Il s’agit d’un outil particulièrement intelligent qui permet d’une part d’apporter des fonds au secteur et d’autre part de procurer des recettes fiscales à l’État ». Alors comment cet instrument fonctionne-t-il ? À quoi sert-il concrètement ? Et par quels mécanismes ?

 

Une nouvelle ère

Retour au mitan des années 1980. À cette époque, la fréquentation des salles chute sous la barre historique des 175 millions de spectateurs pour la première fois depuis l’après-guerre, les « à-valoir France » – minimums garantis – de distribution en salles diminuent fortement et la naissance de chaînes privées comme Canal +, en 1984, concurrence directement l’expérience au cinéma. Comment dès lors relancer l’industrie cinématographique française ? L’une des solutions proposées est de « mobiliser » l’épargne des Français via un dispositif fiscal qui leur permettrait d’investir dans le secteur en contrepartie d’une réduction d’impôt. C’est la genèse des SAFOCA, qui prennent très vite le nom de SOFICA, une mesure issue du rapport Jean-Denis Bredin sur l’articulation du cinéma et de la télévision privée.

Opérationnel dès décembre 1985, le dispositif permet, via neuf SOFICA, de collecter 359,7M de francs auprès des Français. Un succès. Les SOFICA investissent autant dans les œuvres de cinéastes débutants – Désordre, premier long d’Olivier Assayas, prix FIPRESCI à la Mostra de Venise 1986 ou Mauvais Sang, deuxième long de Léos Carax, Prix Louis Delluc la même année – que dans celles de réalisateurs confirmés – Manon des sources de Claude Berri. Parmi les 28 premières œuvres ayant bénéficié de l’accompagnement des SOFICA,15 d’entre elles ont reçu une avance sur recettes et 10 sont des premiers films, ce qui témoigne déjà à l’époque de la diversité des investissements réalisés en faveur de la création et de son renouveau.

Un accompagnement décisif

Piloté par le CNC, la Direction Générale des Finances Publiques (DGFIP) et l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), le dispositif des SOFICA intervient tôt dans le financement des œuvres. Les sociétés versent leurs apports avant le début du tournage ou la sortie en salle dans le cas des investissements en distribution. Un atout qui permet de consolider des projets à un stade décisif encore fragile et de convaincre d’autres investisseurs privés à rejoindre l’aventure.

Partenaires privilégiées des premiers et seconds films, et des films à moins de 8 millions d’euros, les SOFICA sont aussi un soutien important pour la diversité des œuvres, sans oublier les films d’animation dont la fabrication s’étend en moyenne sur plusieurs années. Les SOFICA investissent également dans le développement, offrant ainsi une aide souvent capitale aux producteurs qui disposent de peu de fonds propres.

Des investissements encadrés

Les SOFICA investissent les fonds collectés de deux manières : soit sous la forme de versements en numéraire réalisés par contrats d’association à la production ou à la distribution, œuvre par œuvre, c’est-à-dire en investissant de l’argent sur des films en contrepartie de droits à recettes – le mode d’intervention le plus fréquent –, soit via la capitalisation de filiales dédiées au financement des conventions de développement auprès des sociétés de production du cinéma et de l’audiovisuel.

Chaque année, la Direction Générale des Finances Publiques (DGFIP) délivre les agréments aux sociétés sur la base de critères précis, s’appuyant sur la capacité à collecter des fonds privés, sur le bilan des investissements passés et sur les engagements pris pour la prochaine collecte. Parmi les conditions requises figurent également la qualité de la gouvernance de la SOFICA, le respect des lois fiscales ou encore la signature de la charte professionnelle des SOFICA. Ce document de référence a été mis en place par le CNC en 2005 afin de solenniser l’engagement des SOFICA en soutien des objectifs de politique publique, et de préciser les modalités de leurs investissements et de leur encadrement.

L’enveloppe de collecte globale des SOFICA est fixée par le Gouvernement. Fin 2024, et pour la deuxième année consécutive, les treize SOFICA agréées sont parvenues à lever 73 M€ au bénéfice des films et des séries, soit l’enveloppe totale autorisée.

Des évolutions mais un ADN intact

En quatre décennies, l’outil SOFICA a connu plusieurs adaptations. En 2006, son avantage fiscal – 100 % de réduction d’impôt – a été revu à la baisse jusqu’en 2017 avant d’être rehaussé à 48 % – taux en vigueur actuellement – afin de préserver l’attractivité du dispositif. Son encadrement a également été renforcé – notamment par la réforme de 2009, conduite par le CNC, à la suite du rapport de Pierre Chevallier dans le but d’accroitre la prise de risque en faveur de la production indépendante et de la diversité de la création. Autres évolutions notables du dispositif : la montée en puissance de l’investissement dans les fictions et séries – un quart des financements désormais –, mais également son élargissement depuis 2021 à la distribution et, dans une moindre mesure, aux coproductions avec les pays ayant conclu un accord de coopération avec la France.

En 2024, les SOFICA ont financé 141 films et œuvres audiovisuelles dont 93 % des investissements ont été réalisés auprès de sociétés de production indépendantes, 24 % en audiovisuel et 13 % en animation. Parmi les œuvres ayant bénéficié de ce soutien, nombre d’entre elles ont rayonné en festival : seize, dont Alpha de Julia Ducournau, ont concouru à Cannes 2025 ; quatre à la Quinzaine des cinéastes à l’image d’Enzo de Robin Campillo ; trois ont été nommées dans la catégorie du meilleur film à la 50e cérémonie des Césars comme En fanfare d’Emmanuel Courcol. Notons également La Tour de glace de Lucile Hadzihalilovic, Ours d’argent de la contribution artistique à la 75e édition de la Berlinale.

Cette année, les treize SOFICA – agréées au titre des investissements de 2026 – disposent jusqu’à la fin du mois de décembre 2025 pour collecter 73,07 M€. Elles s’engagent à investir au minimum 91 % de ces fonds auprès de productions indépendantes, 74 % dans des œuvres au devis inférieur à 8 M€, 35 % dans des premier et deuxième films, 15 % en audiovisuel, 9 % en animation et 14 % en association à la distribution.

En quarante ans, près de 400 SOFICA ont collecté 2,5 Md€ auprès des Français participant ainsi au financement de 3 500 films et œuvres audiovisuelles. Si le dispositif a évolué au fil des années et des mutations du secteur, son ADN reste le même : valoriser au mieux la diversité de la création cinématographique et audiovisuelle, soutenir la production indépendante et accompagner l’émergence de nouveaux talents. Un outil essentiel à la richesse et au renouveau de la production contribuant par ailleurs « indirectement au rayonnement culturel de la France et à la création de milliers d’emplois », rappelle Serge Hayat.