Robin Campillo : « J’ai aimé dans Enzo la promesse de faire un film très solaire »

Robin Campillo : « J’ai aimé dans Enzo la promesse de faire un film très solaire »

16 juin 2025
Cinéma
« Enzo » réalisé par Laurent Cantet et Robin Campillo
« Enzo » réalisé par Laurent Cantet et Robin Campillo Les Films de Pierre

Depuis leur rencontre à l’Idhec dans les années 1980, Robin Campillo n’a jamais cessé de travailler avec Laurent Cantet comme coscénariste et monteur. Enzo, initié par Cantet, coécrit et réalisé par Campillo, est leur dernier projet commun, le réalisateur d’Entre les murs (Palme d’or 2008) étant décédé en avril 2024. Robin Campillo revient sur la fabrication singulière de ce récit d’émancipation présenté en ouverture de la Quinzaine des cinéastes cette année.


Comment et quand Laurent Cantet vous a-t-il parlé pour la première fois d’Enzo ?

Robin Campillo : Il y a cinq ou six ans environ. Il m’avait alors simplement parlé de l’histoire d’une famille dans laquelle l’un des enfants ne se sentait pas à sa place. Comme s’il n’appartenait pas à la même classe que ses parents. Mais tout s’est accéléré il y a deux ans quand Laurent a commencé à travailler sur le scénario avec Gilles Marchand et qu’ils sont arrivés à un traitement d’une trentaine de pages. Laurent hésitait encore entre ce film et un autre qu’il devait tourner en Thaïlande et de son côté, Gilles a dû partir sur un autre projet. Laurent m’a alors fait lire le traitement et j’ai tout de suite été extrêmement enthousiaste.

Qu’est-ce qui vous a séduit précisément dans ces 30 pages ?

Le fait qu’Enzo ne soit pas un simple film sur l’adolescence où, au bout du compte, nous parlons toujours de la même chose. Aujourd’hui comme hier ou avant-hier, nous avons toujours les mêmes problèmes quand nous sommes adolescents ou quand nous sommes adultes face à des adolescents ! (Rires.) Mais Laurent avait réussi à imaginer ce personnage d’Enzo comme une énigme, y compris pour lui-même. Ce que je trouvais beau, c’est que la crise d’adolescence dans le film n’est pas seulement une crise de l’adolescent, mais celle qu’il crée autour de lui. Comme si ses idéaux dérangeaient tout à la fois l’ordre social et l’ordre amoureux. J’aimais l’opacité du personnage. Il me faisait penser à un Sphinx. J’aimais beaucoup également la promesse de faire un film très solaire à la Ciotat et de faire du chantier sur lequel Enzo est apprenti maçon un lieu comme un temple grec, écrasé par la lumière, mais aussi très doux. Il y avait déjà dans ce traitement ce mélange de sensualité et de politique qu’on retrouve à l’écran.

Quand décidez-vous de faire ce film tous les deux ?

Quelques jours après avoir lu ce traitement, quand Laurent apprend qu’il est atteint d’un cancer avec une forme assez grave. Nous savons tout de suite qu’il va traverser une sale période. Je lui propose donc un pacte : écrire ensemble et venir au montage, comme nous l’avons si souvent fait, mais aussi être présent sur le tournage comme un copilote les jours où il serait fatigué. Il a accepté. Nous nous sommes donc lancés. Mais c’est lui qui, résidant régulièrement à la Ciotat, a trouvé le chantier dans lequel se déroule une partie de l’intrigue ainsi que les deux acteurs non professionnels pour les rôles d’Enzo et Vlad.

Laurent [Cantet] avait réussi à imaginer ce personnage d’Enzo comme une énigme, y compris pour lui-même. Ce que je trouvais beau, c’est que la crise d’adolescence dans le film n’est pas seulement une crise de l’adolescent, mais celle qu’il crée autour de lui. Comme si ses idéaux dérangeaient tout à la fois l’ordre social et l’ordre amoureux.

Comment avez-vous travaillé à l’écriture d’Enzo ? La méthode différait-elle de vos précédentes collaborations ?

J’ai l’impression qu’à chaque film, nous avons travaillé d’une manière différente. Par exemple, pour L’Emploi du temps, j’avais moi-même beaucoup écrit les dialogues et nous travaillions chacun de notre côté avant de confronter nos points de vue. Nous partions souvent dans des directions différentes, ce qui correspondait à notre envie que tout ne soit pas complètement maîtrisé sur ce film. Enzo constitue encore un cas particulier. Car il existait dès le départ un risque que je prenne la main sur le tournage au cas où Laurent serait fatigué. Donc je crois qu’inconsciemment, nous avons essayé de trouver un « mi-chemin » entre nous deux, même si c’était vraiment le projet de Laurent, quelque chose qui lui était très personnel. Cette fois, nous avons travaillé tout le temps ensemble. Nous nous voyions tous les jours. J’avais le sentiment que ça le maintenait un peu en éveil, en bonne santé.

 

Lorsque Laurent Cantet est décédé, y a-t-il eu un doute quant à l’existence du film ?

Quand nous nous sommes rendu compte qu’il y avait une possibilité que Laurent ne tienne pas jusqu’au tournage, ce fut évidemment brutal pour tout le monde. Pour des questions d’assurance, mon nom figurait comme « réalisateur de substitution » mais jamais nous n’avions imaginé qu’il pouvait décéder avant le premier clap. Et puis, la veille de sa mort, nous avons échangé tous les deux sur ce sujet. Lui voulait que nous arrêtions le film parce qu’il considérait que c’était un poids et une source d’ennui pour nous. En sortant de sa chambre, j’ai appelé notre productrice Marie-Ange Luciani. Elle m’a demandé si j’avais exprimé à Laurent mon envie de tourner Enzo et que dans le cas contraire, je devrais vraiment le faire. Je suis donc revenu dans sa chambre et je le lui ai dit. Sa compagne Isabelle lui a assuré qu’elle avait envie de voir ce film fini. Il restait alors sept semaines avant le début du tournage et je pense que Laurent était vraiment heureux que nous le fassions. Mais il devait évidemment me donner son accord.

Quand Laurent [Cantet] apprend qu’il est atteint d’un cancer avec une forme assez grave, nous savons tout de suite qu’il va traverser une sale période. Je lui propose donc un pacte : écrire ensemble et venir au montage, comme nous l’avons si souvent fait, mais aussi être présent sur le tournage comme un copilote les jours où il serait fatigué. Il a accepté.

Tous les acteurs étaient-ils déjà choisis avant sa disparition ?

Oui il les a quasiment tous validés. À commencer par les deux comédiens principaux, Eloy Pohu et Maksym Slivinskyi qui font ici leurs débuts à l’écran. Élodie Bouchez et Pierfrancesco Favino, qui jouent les parents d’Enzo, ont accepté de rester même après la mort de Laurent. J’aurais trouvé très difficile de devoir repartir en casting. D’autant plus que cela fait longtemps que j’avais envie de travailler avec Élodie et que j’admire Francesco depuis Le Traître. Avec Laurent, nous avions un peu les mêmes goûts et c’était un plaisir de me dire que j’allais tourner avec eux, alors que je n’étais pas sûr d’avoir des rôles à leur proposer dans mes propres films ! (Rires.) Je dois dire que j’ai abordé ce tournage de manière assez joyeuse. Je me disais que si nous ne le faisions pas dans une espèce d’allégresse et de jubilation, il serait vraiment impossible d’arriver au bout. Et ce d’autant plus qu’il y avait ces deux acteurs pour qui faire ce film était primordial : Eloy et Maksim. Ils étaient si heureux d’avoir été choisis par Laurent… Ils ont apporté à ce tournage une énergie extrêmement jouissive et communicative.

À la lumière, nous retrouvons Jeanne Lapoirie qui a été la directrice de la photographie de tous vos films. Ce fut, là encore, un choix commun avec Laurent Cantet ?

Oui même si j’ai suggéré son nom pour que tout soit un peu plus simple pour moi. Mais elle était surtout la personne idéale pour mettre en lumière le film très solaire que nous voulions faire. Et ce d’autant plus que quelques années plus tôt, Laurent avait voulu travailler avec elle et que ça n’avait pas été possible. Donc tout s’est fait un peu naturellement, à l’image du travail de Jeanne. Sur un plateau, elle ne transforme rien, elle utilise très peu de projecteurs. Je ne sais pas comment elle fait ! Et puis c’est quelqu’un qui regarde le jeu des comédiens. Son travail a plus à voir avec la mise en scène que la mise en lumière. Je suis à chaque fois épaté par sa compréhension des projets. Il ne faut pas oublier que Laurent, qui a souvent été décrit comme un cinéaste naturaliste, n’aimait rien tant que Vincente Minnelli, Douglas Sirk… En ce sens aussi, Enzo boucle une boucle.
 

ENZO

Affiche de « Enzo »
Enzo Ad Vitam

Réalisation : Laurent Cantet et Robin Campillo
Scénario : Laurent Cantet, Robin Campillo et Gilles Marchand
Production déléguée : Les Films de Pierre
Distribution : Ad Vitam
Ventes internationales : MK2 Cinémas 
Sortie le 18 juin 2025

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