Enorme succès de librairie, la saga des Vieux fourneaux est déjà forte de quatre tomes, en attendant le cinquième à paraître en novembre. Pour ceux qui ne la connaissent pas encore, elle raconte les destins contrariés de trois retraités amis d’enfance, l’ancien syndicaliste Antoine, l’anarchiste Pierrot et l’ex-baroudeur Mimile. Il y a aussi Sophie, la petite-fille d’Antoine enceinte d’on-ne-sait-pas-qui. Dans le premier tome, celui qui a été précisément adapté pour le cinéma, les trois larrons se retrouvent autour d’Antoine pour l’enterrement de sa femme, Lucette. Par le notaire, notre veuf apprendra que Lucette l’a trompé avec Garan-Servier, l’ancien PDG de la grosse usine locale où ils ont travaillé. Fou de rage, Antoine va partir en Italie pour tuer son rival, interné dans une maison de repos...Rencontre avec les responsables d’une adaptation attendue qui réunit Roland Giraud (Antoine), Pierre Richard (Pierrot), Eddy Mitchell (Mimile) et Alice Pol (Sophie).
Comment avez-vous été amenés à travailler sur cette adaptation ?
Wilfrid Lupano (auteur de la BD d’origine, ndlr) : A la demande des producteurs au moment des négociations pour l’achat des droits. Leur projet consistait à ce que je me charge de l’adaptation.
Christophe Duthuron : En ce qui me concerne, c’est assez particulier : le film était sur les rails avant que j’arrive. Il était financé, écrit, casté, les dates de tournage étaient choisies mais le réalisateur pressenti n’était plus libre. C’était un bateau prêt à partir mais sans capitaine ! Par chance, ma compagne connaissait quelqu’un de la production et lui a dit que j’adorerais le réaliser. Au terme d’un entretien où j’ai exposé ma vision, j’ai été pris.
Avez-vous hésité ?
C.D. : Pas une seconde. Au fond, le passage de la BD au cinéma, c’est le passage de deux à trois dimensions. De la simple forme à la forme et à l’incarnation. Il se trouve que Wilfrid accorde beaucoup d’importance au sous-texte, à ce qui n’est pas dit, là où se loge l’imaginaire du lecteur qui se fait sa propre interprétation. Mon travail de réalisateur est justement de mettre de la chair à cet endroit précis.
W.L. : On a beaucoup hésité avec Paul Cauuet, le dessinateur, à céder nos droits. On a toutefois vite senti que la production était soucieuse de respecter l’œuvre originale.
A-t-il toujours été question d’adapter le premier tome, centré sur l’histoire d’Antoine, cet ancien syndicaliste déterminé à se venger de son ex-patron grabataire dont il a appris qu’il avait eu dans le passé une aventure avec sa femme ?
W.L. : C’est sur ce tome-là, le seul existant à l’époque, que l’achat des droits s’est fondé. En cours de développement, les producteurs ont découvert les deux suivants, qui leur ont bien plu aussi !
D’où ce léger crossover avec le tome 3, représenté par Berthe, la voisine irascible d’Antoine ?
W.L. : Exactement. Cela nous permettait de conserver le côté road-movie tout en injectant des éléments sur le passé des personnages.
C.D. : Il fallait une colonne vertébrale au film. Contrairement à la BD, l’idée n’était pas tant de traiter la vengeance d’Antoine que la menace du retour du passé pour nos trois héros. La colonne vertébrale du film, en définitive, c’est ce déni qu’ils ont enfoui et que Berthe incarne.
La BD est assez linéaire et cinématographique, avec notamment des flashbacks très visuels. L’adaptation a-t-elle été simple ?
W.L. : En parallèle des différentes versions du script, j’écrivais les tomes 4 et 5, ça m’a rendu dingo ! (rires) Heureusement, Christophe est arrivé avec son œil neuf et m’a bien aidé sur la cinquième et dernière version du scénario en me donnant quelques nouvelles pistes.
C.D. : L’idée était de partir de la caricature pour aboutir à la vérité des personnages. Au début, ce sont trois vieux qui en font trop puis qui vont révéler leurs failles. La mise en scène raconte ça, j’espère ! (rires) Je commence avec des couleurs un peu saturées avant d’opter pour des cadres un peu brinquebalants et une lumière plus crue.
Il y a trois flashbacks dans le film qui bénéficient chacun d’un traitement visuel particulier, donnant au récit une ampleur romanesque que la BD n’avait peut-être pas à ce point.
C.D. : Ils participent d’un parti pris esthétique qui donne son cachet au film. Il était important pour moi que ces flashbacks soient vecteurs d’émotions, plus que d’informations.
W.L. : Ils sont plus oniriques et libres que dans la BD car c’est plus difficile de représenter à l’écran des personnages à des âges différents.
On s’imagine toujours des acteurs pour incarner des personnages de littérature ou de BD. Les quatre acteurs principaux choisis correspondent-ils à l’idée que vous vous faisiez d’Antoine, Pierrot, Mimile et Sophie ?
W.L. : Totalement, même si Eddy Mitchell ne ressemble pas physiquement à Mimile dont il a réussi à faire une incarnation finalement approchante.
C.D. : Dans la BD, c’est un petit gros débonnaire ! J’avais en tête que ces “vieux fourneaux”, derrière leurs grandes gueules, étaient au fond des êtres vulnérables. Il fallait ajouter des failles à Mimile. C’est pour ça qu’on l’a rendu un peu infirme et même ridicule, avec ses cheveux teints et sa moustache dessinée !
Aviez-vous des références cinéma en tête ?
W.L. : Quand j’ai écrit la BD, je n’avais aucune référence en tête, même pas Audiard auquel on fait souvent allusion. J’ai bossé dans des bars et j’ai plutôt été influencé par le langage fleuri des clients.
C.D. : J’ai beaucoup pensé à Yves Robert. A son amour des personnages, à sa tendresse. Chez lui, on est moins dans la caricature que chez Lautner et ses “Tontons flingueurs”, irrésistibles, certes, mais un peu unidimensionnels. L’enjeu était d’aller de Lautner à Robert.
Une suite est-elle envisageable, voire envisagée ?
C.D. : Je crois que tout le monde en aurait envie mais ça ne nous appartient pas. Le public décidera.
W.L. : Je vois à peu près ce qu’on pourrait faire pour la suite en tout cas. (rires)
Les Vieux Fourneaux, comédie produite par Radar Films et Egérie Productions, en coproduction avec Gaumont, France 3 Cinéma ainsi que Dargaud Films, est sorti au cinéma le 22 août 2018 et a, en une semaine d’exploitation, réuni près de 330 000 spectateurs.