L’histoire de la trilogie marseillaise de Marcel Pagnol

L’histoire de la trilogie marseillaise de Marcel Pagnol

12 juillet 2019
Cinéma
Marius
Marius Films Marcel Pagnol - DR - T.C.D

Retour sur la naissance de Marius, Fanny et César, trois films ressortis au cinéma, en versions restaurées, ce mercredi 10 juillet.


« Le film parlant doit réinventer le théâtre ». A la fin des années 20, lorsque Marcel Pagnol prononce cette prophétie, il ne recueille que le mépris et la méfiance du sérail. A l’époque les avant-gardes et les critiques artistiques dénonçaient déjà les dérives du « boulevard » et l’influence néfaste du théâtre sur le cinéma. Pourtant, certains - dont Pagnol - voient très vite ce que le parlant peut apporter au septième art. Au printemps 1930, sur les conseils de l’acteur Pierre Blanchar, le dramaturge s’est rendu à Londres pour voir le film Broadway Melody. Il comprend immédiatement la révolution en marche et s’enthousiasme pour ce nouveau procédé qu’il trouve « beaucoup plus commode, beaucoup plus riche que le théâtre ». Entre 1931 et 1936, il va se plonger dans un projet de trilogie adaptée de ses pièces de théâtre. S’il ne met pas directement en scène les deux premiers films (Alexandre Korda se charge de Marius, Marc Allégret de Fanny), il est bien le véritable architecte de ce que l’on va appeler la Trilogie marseillaise et qui va changer la face du cinéma français.

Marius (1931)

Marcel Pagnol écrit la pièce originale en 1929. Créée au théâtre du Gymnase, c’est un tel succès que le cinéma cherche tout de suite à s’en emparer. Robert T. Kane, directeur de la Paramount France, propose à Pagnol de l’adapter pour le cinéma… parlant. Il aura carte blanche pour le casting, le scénario et un droit de regard sur les principaux choix artistiques. Kane lui offre de réaliser le film, mais l’écrivain ne se sent pas encore prêt : s’il assiste à tout le tournage et questionne les équipes techniques de la Paramount, il préfère qu’un cinéaste expérimenté soit derrière la caméra. C’est Alexandre Korda qui est désigné pour diriger le film. Leur entente est idyllique. Korda enseigne à Pagnol tous les secrets de la réalisation et en retour écoute attentivement l’auteur lui parler de l’importance des dialogues et de la manière de diriger ses acteurs. Le film met en scène la relation entre Marius (Pierre Fresnay), jeune homme épris de liberté et attiré par la mer, et son père César (Raimu). Korda et Pagnol développe le potentiel cinématographique de la pièce (faisant souffler l’air du large sur les parties de carte et les conversations de bistrot) et prouvent que le cinéma parlant n’est pas forcément du « théâtre en conserve ». Sorti en octobre 1931, le film fut un triomphe public et critique.

Fanny (1932)

La pièce Fanny est montée en décembre 1931, dans la foulée du succès de Marius. Et c’est un nouveau triomphe. Après la galerie de portraits de Marius, cette suite fait basculer l’univers de Pagnol dans le mélodrame : au début, César contemple l’horizon et la mer qui lui a pris son fils, Marius. Fanny (Orane Demazis), la fiancée délaissée de ce dernier, attend un enfant au grand désespoir de sa famille… Pour monter ce film, Pagnol qui veut son indépendance quitte la Paramount (à qui il reprochait d’avoir massacré Topaze avec Fernandel) et monte sa maison de production pour financer Fanny en toute indépendance. C’est lui qui va choisir Marc Allégret pour réaliser ce deuxième film. Allégret vient de diriger par deux fois Raimu au cinéma : Pagnol admire le cinéma d’Allégret, et il sait surtout qu’être respecté par l’acteur tyrannique sera un atout appréciable sur le tournage. Le résultat est un sans-faute : Allégret choisit de filmer certaines scènes en extérieur (la partie de pétanque) et les personnages gagnent en épaisseur.

César (1936)

En 1934, Pagnol achète un terrain dans le sud, il fait construire ses propres laboratoires et inaugure son studio : depuis quelques mois, il est passé à la réalisation et multiplie les tournages. César, dernier opus de la trilogie, est son sixième film. Il invente des personnages, crée du rythme et surtout pratique un cinéma tellurique, qui « vit » en extérieur et qui « parle » en direct. « Le cinéma réclame la vie » disait Pagnol et la vie, le réel, c’est la parole. Audacieusement, Pagnol situe le film vingt ans après Fanny, afin de raconter le destin du fils de Fanny et Marius devenu adulte. Le temps passé est ici un temps perdu, c’est celui qui a séparé le beau Marius et la petite Fanny. Mais la beauté de ce troisième volet c’est de montrer l’idéalisme de Pagnol pour qui le cinéma est le lieu de tous les possibles. « Il n’y a rien d’irréparable » proclame Fanny. Et c’est la morale de cette trilogie…

Si Pagnol n’avait jamais imaginé écrire une trilogie et si trois réalisateurs se sont succédés derrière la caméra, on est frappé par l’unité de ces trois films. Elle tient à l’univers de l’auteur, aux personnages qui prennent vie (joués le plus souvent par les mêmes acteurs) mais surtout à la vision de Pagnol. L’écrivain-réalisateur a compris dès Marius les possibilités du parlant. Le réalisme de ses décors et de ses acteurs, la vérité de ses situations et la franchise avec laquelle Pagnol dépeint les us et coutumes de Marseille, font que cette « trilogie » a parfois été vue comme l’annonce du néo-réalisme italien. Ce qui est certain, c’est que les films ont su s’affranchir du genre « théâtre filmé » pour devenir de vrais prototypes cinéma, vivants et truculents. D’ailleurs, leur héritage s’est répandu sur toute la planète, jusqu’à nos jours. Au Japon, Marius fut l’objet de trois remakes ; en 1954, la comédie musicale de Broadway Fanny adaptera l’ensemble de la « trilogie marseillaise » - avant d’être portée au cinéma en 1961, sans numéros musicaux mais avec Maurice Chevalier. De nos jours, en France, après son remake de La fille du puisatier en 2011, Daniel Auteuil tourna ses versions de Marius et Fanny en 2013 et 2015.  On attend toujours son César pour achever la trilogie, mais c’est bien la preuve que l’héritage de Pagnol est toujours vivant et actuel.