Mash up : le grand détournement

Mash up : le grand détournement

11 avril 2019
Cinéma
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Histoire(s) du cinéma de Jean-Luc Godard
Histoire(s) du cinéma de Jean-Luc Godard Gaumont - Peripheria - JLG Films - Sonimage - DR - T.C.D.
Alors que le Mash Up Film Festival tourne en province jusqu’en mai, son directeur Julien Lahmi décrypte cette nouvelle façon de jouer avec les images.

Y a-t-il une définition précise du « mash up » ?

Si on prend le dictionnaire anglais, cela vient de mashed potatoes, c'est-à-dire, mettre en purée…

Mais encore…

Au sens large, c’est détourner les images des autres  pour se les réapproprier et leur donner un nouveau sens.  Faire du neuf avec de l’ancien si vous voulez. Le mash up est né avec internet. D’un coup les images circulaient plus facilement et il était très facile de les récupérer et de jouer avec. Cette technique permet de créer des associations inattendues. Ça va de la blague potache au film expérimental arty qui peut se retrouver dans des musées. Bien-sûr, avant internet, il existait déjà des collages. Il est finalement très difficile de dater les choses.

C’est l’équivalent du sampling en musique en somme ?

Les dj de hip hop américains sont les pionniers de cette technique c’est vrai. Mais on peut élargir le cercle à tous les autres arts et dire que les sérigraphies d’Andy Warhol sont les ancêtres du mash up.  Lorsque je fais des conférences sur le sujet,  je cite même L’Iliade et l’Odyssée. Homère a composé son récit à partir de divers contes oraux de ses contemporains. C’est un patchwork littéraire ! En cinéma, la sainte trinité se compose de Jean-Luc Godard avec ses Histoire(s) du cinéma, Chris Marker qui a su très vite appréhender les nouvelles images et bien-sûr Michel Hazanavicius avec sa Classe américaine où il s’est amusé à inventer un film à partir de plusieurs extraits de grands classiques américains.
 
Est-ce qu’un remake rentre dans la catégorie mash up ?

Non puisque le cinéaste fabrique de nouvelles images. Et ce, même si celles-ci ont pour vocation à être plus ou moins identiques à leurs modèles comme c’était le cas du remake plan par plan de Psychose par Gus Van Sant. Le mash up ne se compose que de matière préexistante.

On imagine que les artistes se retrouvent confrontés à des problèmes de droit d’auteur et que leurs films sont donc condamnés à une certaine confidentialité ?

Le mash up, c’est du cinéma povera. Il est impossible aux auteurs de vivre de leur art. C’est un problème qui n’est heureusement pas insoluble. La commission européenne travaille actuellement sur le renouvellement et le cadre législatif du droit d’auteur et on peut espérer que les choses vont avancer dans le bon sens. Le message que les cinéastes ont envie de faire passer, c’est : « Laissez-nous nous exprimer librement ! » Notre but n’est pas de piller mais au contraire d’inventer des formes nouvelles. L’inspiration divine, je n’y crois pas. Un artiste s’inspire de tout ce qui existe, de tout ce qui se passe autour de lui. Le cerveau humain passe son temps à faire des connections entre différentes choses. Le mash up, c’est trouver son propre visage dans les images des autres. En musique le problème du sample est en partie réglé. J’espère qu’il en sera de même pour le cinéma.

On associe souvent le mash up à des petites vidéos virales sur la toile. Pâtissez-vous de cette image?

Clairement et c’est le but du Mash Up Film Festival que de montrer tout le spectre de la création. Il y a différents types de films mash up : ceux qui sont dans la révérence, l’hommage, ceux qui à l’inverse ont une démarche plus punk et remettent en cause les images empruntées. Ça peut être aussi un formidable outil pédagogique d’éduction à l’image. Certains artistes comme le sud-coréen Kogonada dont les montages se focalisent sur certaines obsessions de grands cinéastes comme Hitchcock, Tarantino ou Wes Anderson… Ses vidéos servent de bonus aux prestigieuses éditions vidéos Criterion. Sur son site le cinéaste Steven Soderbergh s’est lui amusé à proposer une copie d’Indiana Jones en noir et blanc avec les dialogues remplacés par de la musique contemporaine. L’effet était saisissant et permettait de redécouvrir la richesse du montage voulu par Steven Spielberg. L’étape suivante, c’est en effet de raconter des histoires complétement originales et de sortir en salles des longs métrages mash up.