Mathieu Sapin ("Le Poulain") : "J'ai du mal à raconter les choses autrement que sous un angle comique"

Mathieu Sapin ("Le Poulain") : "J'ai du mal à raconter les choses autrement que sous un angle comique"

19 septembre 2018
Mathieu Sapin
Mathieu Sapin Bac Films

« Le Poulain »,  premier long métrage de Mathieu Sapin, sort en salles le 19 septembre. Rencontre avec ce spécialiste du reportage dessiné pour évoquer son passage derrière la caméra.


Comment passe-t-on de la BD au cinéma ?

Je viens de la fiction, j'en ai fait beaucoup en bande dessinée. Le reportage est arrivé sur le tard. J'aime bien les deux, le fait que l'un alimente l'autre. Je travaille en atelier depuis longtemps avec d'autres dessinateurs passés au cinéma avant moi, dont Riad Sattouf, Joann Sfar et Christophe Blain, qui a dessiné la BD Quai d'Orsay (adaptée en film par Bertrand Tavernier ndlr). Quand Joann Sfar a fait son film, Gainsbourg, vie héroïque, il m'a invité sur le tournage. J'ai pu tout suivre, même la postproduction et la promotion : c'était mon premier documentaire dessiné. J'ai observé et ça m'a énormément plu. Pour mon court métrage, Vengeance en terre battue (2014), des producteurs qui ont aimé mes BD de fiction m'ont proposé d'essayer la réalisation. J'ai pu passer à la pratique, ce qui m'a donné envie de recommencer à grande échelle.

Dans Le Poulain, vous retrouvez le monde politique déjà exploré dans certaines de vos BD. C'est un choix pour garder une continuité avec votre travail précédent ?

Après avoir lu mes BD documentaires sur le monde politique, les producteurs (Pyramide Films) m'ont proposé d'écrire une comédie sur ce milieu. Personnellement, ça ne me serait jamais venu à l'esprit de faire un film sur ce sujet. Mais c'était intéressant d'utiliser, pour être vraiment crédible, toute la matière que j'ai pu recueillir au fil des années. Je cite beaucoup Balzac dans le film et dans la vie car il a énormément observé le milieu politique, la presse, le droit de son époque. Il utilisait cette connaissance empirique pour faire des fictions, des livres, des reportages... Je trouve ça nourrissant de passer de l'un à l'autre.

Quel est l'aspect le plus difficile lorsqu'on passe de la bande dessinée au cinéma ?

L'écriture est différente car les enjeux ne sont pas les mêmes. En BD, on peut tester des choses et se permettre d'improviser, d'avoir une écriture plus spontanée. Au cinéma, c'est plus difficile. Le scénario est là pour rassurer des financeurs, des comédiens. Il doit être très construit. On est beaucoup moins seul pour le processus de création. Il y a de nombreux interlocuteurs donc le scénario est remanié plusieurs fois, ce qui n'est pas le cas en BD où on travaille seul avec un éditeur. Mais sur Le Poulain, j'ai retrouvé la spontanéité au tournage. Si on sait s'adapter, on peut utiliser les accidents et imprévus au bénéfice du film. J'aime beaucoup par exemple que les comédiens improvisent. J'avais une idée très précise des personnages, mais en même temps, je voulais qu'ils soient nourris par les acteurs. Alexandra Lamy a d’ailleurs complètement transformé son personnage.

Est-ce un atout d'être dessinateur pour construire le cadre des images de son film ?

J'ai tout storyboardé et raconté sous forme de dessins que je pouvais montrer aux équipes techniques, mais pas aux comédiens car je ne voulais pas que ça influe sur leur jeu. Les décorateurs se sont inspirés du storyboard pour les costumes tout comme l'équipe image. On peut exprimer beaucoup de choses par la parole, mais le dessin est précieux, il est plus direct, plus pratique pour comprendre.

Les films politiques ont généralement un ton très sérieux. Pourquoi avoir choisi la comédie ?

J'ai du mal à raconter les choses autrement que sous un angle comique. Je ne sais pas à quoi ça tient. Même quand je fais des documentaires, j'ai tendance à montrer les moments ridicules, de non-sens. La fiction en politique est souvent traitée de manière très sérieuse alors que ça ne correspond pas à la réalité. Dans les coulisses, c'est beaucoup plus déconnant et foireux qu'à la télé. C'est ce que je voulais montrer. J'ai du mal avec les films dans lesquels les comédiens sont comme des robots sans humanité.

Vous êtes-vous inspiré d'autres réalisateurs pour ce premier long métrage ?

Il y a deux films qui m'ont beaucoup nourri, même s'ils ne sont pas politiques, et notamment La nuit américaine de François Truffaut. La manière dont il ramène la vie, dont il montre des choses sous un angle vivant et naturel, m'intéresse. Ce film raconte une équipe de cinéma qui fait un long métrage et ce n'est pas différent d'une équipe politique d'un candidat : il y a le côté itinérant avec des personnages aux rôles déterminés. Il y a un aspect comique et une légèreté. Je me suis également inspiré du Lauréat de Mike Nichols, plus pour les rapports entre les personnages. Cette initiation entre un jeune homme et une femme d'expérience, c'est un peu ce qu'on retrouve entre Alexandra Lamy et Finnegan Oldfield.

Seriez-vous prêt à laisser la bande dessinée pour le cinéma ?

J'ai très envie de tourner un autre film et je réfléchis à l'écriture. Mais je n'ai pas prévu d'abandonner la bande dessinée. J'ai d'ailleurs un projet sur le pouvoir au 17ème siècle. En ayant les deux, on peut développer de nombreuses choses en même temps. Au cinéma, il  y a beaucoup de contraintes qui échappent à l'auteur. On est très dépendant : il faut attendre les réponses pour le financement, pour les comédiens... On ne maîtrise pas le rythme. Alors qu'en BD, on fait les choses comme on veut.

Le Poulain sort en salles le 19 septembre. Le film a reçu l’Aide au développement d’œuvres cinématographiques de longue durée du CNC.