Parité, égalité et diversité dans le cinéma et l’audiovisuel : où en sommes-nous ?

Parité, égalité et diversité dans le cinéma et l’audiovisuel : où en sommes-nous ?

19 février 2020
Cinéma
Signature du Collectif 50/50 et des principales organisations professionnelles d’une charte pour l’inclusion dans le cinéma et l’audiovisuel, le 14 novembre 2019 au CNC
Signature du Collectif 50/50 et des principales organisations professionnelles d’une charte pour l’inclusion dans le cinéma et l’audiovisuel, le 14 novembre 2019 au CNC CNC

A l’occasion de la sortie, le 19 février, du documentaire Tout peut changer de Tom Donahue qui met en avant les inégalités persistantes à Hollywood, nous avons rencontré Sandrine Brauer du collectif 50/50 pour 2020 afin de faire un point sur la situation en France.


Affiche du film Tout peut changer de Tom Donahue
Trois ans. C’est le temps que le réalisateur Tom Donahue a mis à réaliser son documentaire Tout peut changer. Un laps de temps nécessaire à réunir des centaines de témoignages (Meryl Streep, Geena Davies, Shonda Rhimes, Cate Blanchett…), des données chiffrées, des études factuelles afin de rendre compte de façon incontestable des inégalités qui frappent aujourd’hui encore l’industrie cinématographique et audiovisuelle à Hollywood.
Personnages féminins sous-représentés à l’écran, équipes de tournage majoritairement masculines, succès des réalisatrices minimisé, harcèlement, abus de pouvoir, clichés persistants… le constat est accablant. Mêlant enquête, interviews et statistiques, le documentaire aborde plusieurs pistes de réflexion et propose des actions concrètes en faveur du changement.

La sortie de ce documentaire est l’occasion de faire le point sur la situation en France. Nous avons rencontré  la productrice Sandrine Brauer (En compagnie des lamas), membre du collectif 50/50 pour 2020,  afin de rendre compte des mesures concrètes mises en place en faveur de la parité, de l’égalité, et de la diversité dans nos industries cinématographiques et audiovisuelles.

Le documentaire de Tom Donahue aborde des questions cruciales et universelles autour de la place des femmes dans l’industrie cinématographique. Où en sommes-nous en France ?

Sandrine Brauer : Les premières pistes de réflexion que nous avons développées notamment au cours des premières Assises sur la parité, l’égalité et la diversité dans le cinéma, organisées à l’initiative du CNC et du collectif 50/250 pour 2020, se sont concrétisées.
Le CNC a mis en place une série de mesures fortes, dont la bonification du fonds de soutien pour les films dont les équipes sont paritaires. Ce bonus de 15% sert à encourager le recrutement des femmes cheffes de poste là où on aurait plus naturellement engagé un homme. Par exemple, on a tendance à prêter des capacités aux hommes qu’on ne prête pas aux femmes, sous couvert que ces postes sont plus physiques, notamment pour ce qui est des postes de technicien. Cette bonification permet d’encourager la parité dans les équipes, et d’éviter de créer un quota où nous risquerions d’avoir des films qui, ex nihilo, ne seraient là que pour la bonification. Ainsi, selon le bilan publié lors des 2e Assises en novembre 2019, 22% des films d’initiative française (hors documentaire, genre pour lequel le bonus n’est entré en vigueur qu’à l’été 2019 - ndlr) ont bénéficié de ce bonus, contre 15% en 2018.

Parmi les autres mesures devenues concrètes, l’engagement que toutes les commissions du CNC soient paritaires, l’engagement des régions par le truchement des conventions CNC/Régions qui incluent désormais un volet dédié à l’égalité femmes-hommes ou encore qu’il y ait davantage de films de réalisatrice dans les sélections de films proposés pour les programmes d’éducation à l’image à destination des jeunes spectateurs. En ce qui concerne les mesures en train d’être mises en œuvre (nous attendons les résultats que le CNC devrait bientôt publier), la mise en valeur des films de « matrimoine », c’est-à-dire des films réalisés par des femmes, dans le choix des films qui bénéficient d’une aide à la restauration et à la numérisation.

Pourquoi avoir créé la Bible 50/50 ?

Nous avons engagé la profession dans une démarche plus proactive afin d’avoir un recrutement réellement diversifié. Bien souvent, le cinéma, comme l’audiovisuel, fonctionne en vase clos. Par automatisme, ou peut-être par facilité, on a tendance à solliciter les mêmes personnes, et on reproduit alors un système fermé. Pour sortir des ornières, et donc ouvrir ce système, il faut bien trouver des facilitations. C’est pourquoi nous avons créé la Bible 50/50, pour identifier des talents plus diversifiés et rendre visibles des profils peu connus. Cet outil, à disposition des équipes, permet que la sélection des professionnels, artistes et techniciens, soit la plus riche et diverse possible, socialement, culturellement et ethniquement parlant.

Sandrine Brauer lors des 2e Assises pour la parité, l’égalité et la diversité CNC
Dans l’audiovisuel, nous disposons de données plus précises, notamment pour ce qui est des auteurs. Nous avons entamé une collaboration avec les diffuseurs, dont France TV, qui s’engage désormais à respecter un quota de réalisatrices. Nous avons conscience que ce quota n’est pas une solution dans l’absolu, mais c’est un repère qui permet de savoir où nous en sommes. Ce que l’on attend, c’est que les principes de parité, d’égalité et de diversité soient respectés, c’est de  favoriser des équipes mixtes et paritaires, et d’empêcher un entre soi, une uniformité, à tous les étages.

La question du harcèlement et des agressions sexuelles est également au cœur du débat…

En effet, nous organisons des états généraux sur les questions d'abus sexuels et de harcèlement dans les industries cinématographiques et audiovisuelles le 4 mars prochain. Il s’agit de reprendre les mesures évoquées lors des assises du 14 novembre dernier pour les concrétiser avec tous les acteurs du secteur qui vont enrichir ces mesures de leur expérience, de leurs idées, de leur expertise. Ces états généraux permettent aussi de « désépaissir le brouillard » en quelque sorte. Dans la profession, nous avons l’impression d’avoir mis beaucoup de temps à nous saisir de ces questions de harcèlement parce que nous pensions que ça relevait exclusivement du droit pénal. Et puis, il y a peut-être aussi des limites difficiles à cerner sur le rapport d’emprise ou de séduction qui existe au cinéma ou à la télévision. Nous avons réalisé que nous prêtions un flou à ce rapport là où finalement, il n’y en a pas : le rapport qui existe est un rapport d’abord et avant tout professionnel. Même si ce rapport n’est pas dénué de désir, ce désir reste professionnel et aucunement un désir sexuel ou un désir d’emprise.
C’est pourquoi il est important de sensibiliser l’ensemble de la profession et de prendre des mesures fortes, une fois encore,  pour prévenir et traiter les cas de violences et de harcèlement sexuel, d’où les sessions de formation pour les professionnels mises en place par le CNC sur la prévention face au harcèlement.

Pour en revenir au documentaire de Tom Donahue, l’une de ses richesses est de s’appuyer sur des données chiffrées fournies par l’Institut Geena Davis sur les rapports entre les sexes dans les médias. L’une des engagements du CNC lors des Assises de novembre dernier, était  la création d’un Observatoire de l’égalité femmes-hommes. Qu’en pensez-vous ?

Ce type d’établissement est nécessaire à plus d’un titre. Le CNC fait déjà un énorme travail de collecte de données à travers les statistiques, les bilans et les études chiffrées publiés régulièrement. Notre mission, au sein du collectif, est de « genrer » ces données pour dénicher le ratio homme/femme et, quand cette « genrification » n’est pas possible, d’interroger ces données, de savoir pourquoi ce n’est pas possible. Est-ce en raison d’une opacité, d’une résistance quelconque à nous les soumettre ou simplement parce que ces données sont obsolètes ? Dans tous les cas, il est intéressant d’agréger ces données dans notre écosystème et non en dehors, avec tous les malentendus qu’il peut y avoir. Un exemple : il est aujourd’hui admis que le métier de scénariste est très féminisé. C’est vrai. Mais, si l’on associe la donnée du nombre de femmes scénaristes au montant de leur rémunération, ou à la l’importance que cette scénariste a sur une série télévisée par exemple - si l’on prend le secteur de l’audiovisuel -, on voit que l’étude est bien plus fine et n’a pas la même signification que le postulat de départ qui est « de plus en plus de scénaristes sont des femmes ».

La collecte de données genrées dans l’audiovisuel et au cinéma permet de produire des statistiques sur l’emploi, les salaires et les aides attribuées aux femmes, et d’identifier immédiatement les mesures concrètes à proposer. Ces analyses des données sont centrales. En cela, le travail que mène Geena Davis au sein de sa fondation depuis 2004 est primordial et s’approche beaucoup de ce que l’on veut faire. Nous avons découvert le Geena Davis Institute on Gender in Media il y a peu au sein du collectif et nous avons eu la bonne surprise de constater que nous partageons la même intuition. Le fait de travailler sur des chiffres permet d’avoir un dialogue très concret avec nos interlocuteurs. Quand Geena Davies va voir Disney pour dire qu’il y a un problème avec la représentation des personnages féminins, et qu’il va falloir à un moment donné sortir du syndrome de la schtroumpfette (où le syndrome de l’unique personnage féminin dans une communauté masculin – ndlr), elle ne dit cela pas sur une simple intuition. C’est argumenté, c’est chiffré, c’est une donnée factuelle indéniable. Face à ce genre de donnée inacceptable, il n’y a alors pas de négociation possible. La seule question qui demeure est : que fait-on pour y remédier ? C’est la vertu des chiffres. C’est pour cela que lorsqu’on refuse de nous communiquer des chiffres, c’est souvent synonyme qu’il y a un problème, et ça nous rend un peu têtues !

L’une des craintes partagées par les différentes intervenantes du documentaire (actrices, scénaristes, productrices…) est que, malgré la prise de conscience générale, l’engouement finisse par retomber, comme ça a pu être le cas par le passé. Partagez-vous cette inquiétude ?

Oui. Prenez les chiffres publiés par Véronique Le Bris, qui a créé le Prix Alice Guy en 2018. Sur l’année 2019, elle a répertorié 78 films réalisés par des femmes alors qu’il y en avait 84 en 2018 et 86 en 2017. Nous sommes face à un repli constant depuis 2016. Ce sentiment que les choses vont mieux est erroné. Il a une confusion entre la place que prennent ces problématiques de parité dans l’espace public, et la réalité de l’écosystème. Quand on crée des mesures, elles ont en général une efficacité relativement immédiate, mais si on relâche la vigilance, ces mêmes facteurs qui ont créé l’effacement de la place des femmes devant ou derrière la caméra reviennent immédiatement.

C’est pourquoi, une fois encore, ces études, ces données chiffrées sont importantes et aident à ne jamais relâcher la vigilance. J’aimerais qu’un jour, on se dise qu’on a réussi à recréer de l’égalité des chances et des droits. Quand on voit qu’il y a aujourd’hui dans les écoles 50 % des élèves qui sont des garçons et 50% qui sont des filles, je ne vois pas pourquoi on n’arriverait pas  à avoir 50% des réalisateurs qui soient des hommes et 50% qui soient des femmes. C’est bien ce qu’affirme la constitution française qui parle d’office d’égalité des chances et d’égalité des droits, indépendamment du sexe, des origines, ou de la religion.

Je pense que quelque part, il doit y avoir un certain nombre de facteurs, identifiés ou non – et certainement une déclinaison de facteurs - qui créent de manière systémique l’abandon de femmes à la réalisation et au contraire le maintien d’hommes à la réalisation. Le jour où ça ne sera pas systémique - et je ne parle pas d’une égalité parfaite et systématique -, on arrivera alors à un moment où les chiffres nous montreront que l’on peut enfin lever notre vigilance.

Pour aller plus loin :
Revoir en vidéo les Assises pour la parité, l'égalité et la diversité qui se sont tenues le 14 novembre 2019 au CNC

Tout peut changer de Tom Donahue sort en salles le 19 février 2020.