Philippe Labro vient de mourir à l’âge de 88 ans, mercredi 4 juin. Et déjà s’entrechoquent mille et une vies que même le plus avisé des historiens ne saurait aborder dans sa totalité.
Il aimait raconter les failles, les enrober avec des mots et les convertir en histoires. Qu’importent l’endroit et le support : romans, films, articles…, l’homme aura enchaîné les activités pour tromper l’ennui. « J’ai toujours été éclectique, racontait-il dans les colonnes du Monde, ce qui est la marque des grands insatisfaits. J’avais une voracité incroyable qui me poussait à faire de la presse écrite, de la radio et de la télévision en même temps. »
Philippe Labro est né en 1936 au sein d’une famille bourgeoise. Durant l’Occupation, la maison familiale accueille contrainte et forcée un officier allemand au premier étage tandis que des juifs en détresse sont cachés à la cave. Jean-François et Henriette Labro seront honorés du titre de « Justes parmi les nations » par le mémorial de Yad Vashem en août 2000. La Libération gave la jeunesse d’Amérique. Philippe Labro ira voir de plus près à quoi elle ressemble en intégrant l’Université Washington and Lee en Virginie. Cette expérience lui inspira deux ouvrages, L’Étudiant étranger (prix Interallié 1988) et Un été dans l’ouest (prix Gutenberg, 1988).
Philippe Labro voguera dès lors vers la route d’un succès qu’il s’est forgé, cherchant toujours un mentor quelque part pour le guider : Pierre Lazareff façonnera la carrure intrépide du journaliste et de l’écrivain en devenir. D’abord jeune reporter à France Soir, Europe 1 ou encore Le Journal du Dimanche, il gagne ses galons en étant aux premières loges de l’assassinat de Kennedy en 1963 à Dallas pour l’émission de télévision Cinq colonnes à la une. Là encore, il convertira cette expérience en prose avec On a tiré sur le président (2013).
Les mots et les images
Sa prose, il l’utilise aussi en tant que parolier pour faire chanter Johnny Hallyday ou Jane Birkin. Bientôt s’adjoindront des images. Et un autre modèle, celui du cinéaste Jean-Pierre Melville rencontré alors qu’il termine son premier long métrage, Tout peut arriver, en 1969. Un film rendu possible par la productrice Mag Bodard qui avait décroché les étoiles avec le succès des Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy. Philippe Labro confiait au journal Le Monde : « J’avais appris le maniement de la caméra et le montage avec la télévision, en travaillant pour l’émission Cinq colonnes à la une. Le cinéma m’a toujours attiré. Mon père m’avait un jour emmené voir Citizen Kane. Je m’étais dit : “C’est cela que je veux faire !” »
Tout peut arriver, où surgit le jeune Fabrice Luchini, raconte l’histoire d’un journaliste fraîchement revenu d’un séjour aux États-Unis. Tout y respire le récit à la première personne. Ceci posé, la filmographie de Labro va dessiner les contours du thriller à la française qui, comme aime à le répéter Melville, prend sa source dans la série B hollywoodienne. Le néo-cinéaste accompagne notamment la mue de Belmondo en star sautillante et cascadeur à l’orée des années 1970 : L’Héritier en 1973 puis L’Alpagueur, trois ans plus tard.
L’Héritier, récit ambitieux dans le milieu des affaires internationales, porté par la musique fracassante de Michel Colombier, démontre une vitalité dans la mise en scène qui sait se déjouer des pièges de l’illustration. De l’auteur de L’Armée des ombres mort dans ses bras quelques mois plus tôt à la suite d’une rupture d’anévrisme en plein dîner, Labro a retenu cet éloge de la lenteur propre à hypnotiser un spectateur.
Il y a aussi le nerveux Sans mobile apparent (1971) avec Jean-Louis Trintignant ou l’intrigant Le Hasard et la Violence (1974), coproduction italienne portée par un Yves Montand inquiet et inquiétant. L’aventure cinématographique s’achève avec Rive droite, rive gauche en 1984. Ce thriller politique trouve sa catharsis lors d’une émission télévisée en direct, preuve que le journaliste, que Labro n’a jamais cessé d’être, aime à interroger par la fiction le pouvoir purificateur des médias.
Après vingt ans de grand écran et des millions d’entrées, Philippe Labro sûrement effrayé par la routine de la pellicule cesse de tourner. À la sortie de ce qu’il ne sait pas encore être son dernier long métrage, lui arrive une offre qui ne se refuse pas. « Jacques Rigaud, alors président de RTL, vient me voir et me dit avec son sens de la formule de haut fonctionnaire : “Puis-je vous inclure dans ma réflexion ?”. Il voulait que je devienne le patron des programmes de la station. Diriger un média est palpitant, vous êtes au cœur de tout. » Voilà donc l’artiste devenu directeur. Il est aussi un personnage visible dont l’élégance, la vitalité d’esprit et la voix caressante occupent les antennes de la radio et de la télévision.
Le grand âge n’avait en rien altéré son désir d’aventures. Il disait attendre sereinement la grande faucheuse, « ce tireur embusqué » paraphrasant l’historienne Mona Ozouf. Sa dernière grande fierté aura été de voir son œuvre littéraire réunit dans la collection Quarto chez Gallimard. Une longue parenthèse se refermait.