Pierre Creton : « Le cinéma se fait à partir de rencontres »

Pierre Creton : « Le cinéma se fait à partir de rencontres »

15 mars 2021
Cinéma
Pierre Creton
Pierre Creton DR
Rencontre avec le cinéaste – hier ouvrier agricole, aujourd’hui jardinier – auquel le festival Cinéma du réel consacre, du 12 au 21 mars, une rétrospective réunissant l’intégralité des courts et longs métrages qu’il a réalisés depuis 1994.

Qu’est-ce qui a incité le jeune homme que vous étiez à aller étudier à l’École des Beaux-Arts du Havre ?

C’est une envie que j’avais en moi depuis des années, contre l’avis de mes parents qui s’y sont fermement opposés. Elle est née de ma passion pour le dessin, que j’ai commencé à pratiquer enfant et qui me permettait d’être à la fois dans le monde et hors du monde en m’offrant un moyen d’intérioriser des sentiments, des désirs.


À quel moment le cinéma est-il arrivé dans votre vie ?

Ne venant pas d’un milieu très cultivé, je ne suis jamais allé au cinéma dans mon enfance mais je regardais des films à la télévision. Des films fantastiques plutôt. Je me souviens ainsi du choc que fut pour moi la découverte du Nosferatu de Murnau. Puis, adolescent, j’ai commencé à aller voir des films en salles. À bout de souffle a été un nouveau choc, mais sans pour autant déclencher chez moi l’envie de faire du cinéma. Le déclic s’est produit aux Beaux-Arts. Le cinéma n’y est pas enseigné mais il y avait une caméra numérique que j’ai commencé à utiliser. Je suis passé du dessin au cinéma. Puis, en sortant des Beaux-Arts, j’ai pris la décision de revenir au monde rural dont je suis issu pour y travailler comme ouvrier agricole. Le choix de vie était plus important que tout à mes yeux. Je n’ai jamais eu de plan de carrière. C’est à cette époque que j’ai écrit mon premier « scénario » qui parlait du lieu où je venais d’emménager.

Avec une caméra numérique, je savais que j’allais pouvoir tourner sans argent, sans une production derrière moi et surtout sans être à Paris. En faisant ces premiers films, je me suis aperçu que je retrouvais l’état dans lequel dessiner me plongeait. Avec cette grande différence que le cinéma se fait à partir de rencontres. L’exercice n’est plus solitaire.

Vous tournez votre premier court métrage en 1994, Le Vicinal, puis vous passez au format long en 2005 avec Secteur 545, du nom du secteur où vous exercez à ce moment-là votre métier de peseur au contrôle laitier, en Normandie. Avec comme fil conducteur une question que vous posez aux différents éleveurs : entre l’homme et l’animal, quelle est la différence ? Comment naît l’idée de ce film ?

Je ne vais jamais dans un endroit précis pour filmer. Je me trouve quelque part et à partir d’un certain temps, finit par naître chez moi le désir de faire un film. Un désir qui depuis 1994 ne m’a jamais quitté. Dans le cas de Secteur 545, tout a commencé par ma recherche d’un travail alimentaire et le fait que j’ai réussi à me faire embaucher comme peseur. Petit à petit est née l’envie de filmer ce lieu-là, depuis ma position. Pour les éleveurs que j’allais voir avec ma caméra, je n’étais pas un cinéaste mais le peseur du contrôle laitier qui, en plus de faire son travail, les filmait. Ça changeait tout dans nos rapports.


Parmi les rencontres que vous évoquiez plus haut, figure une grande figure du cinéma français : la comédienne Françoise Lebrun. Comment vos chemins se sont-ils croisés ?

J’admire Françoise depuis longtemps. La Maman et la Putain fut un film décisif pour moi. Un jour, j’ai découvert qu’elle avait soutenu mes premiers courts métrages au festival de Pantin. Je me suis donc permis de la contacter en lui envoyant un scénario, Le Voyage à Vézelay, construit à partir des images que j’avais faites de mon père mort. Françoise a accepté de tourner ce film, puis très vite un autre et peu à peu nous sommes devenus amis.


Quatre ans plus tard, vous la dirigez dans le documentaire Maniquerville, où on la voit lire du Proust dans un centre de gérontologie…

Je connais ce centre de gérontologie depuis l’enfance. Pour tout vous dire, il constituait un lieu idyllique à mes yeux avec son cadre superbe pour des personnes en fin de vie : des arbres centenaires, un parc magnifique… Gamin, il m’arrivait même de me projeter dans ce qui m’apparaissait comme un idéal. Puis, des années plus tard, j’ai eu l’idée d’y proposer un ciné-club, de la même manière que je peux intervenir dans les écoles pour la pratique du dessin. Mais en allant présenter mon projet, j’ai appris que le centre devait déménager. L’urgence à filmer ce lieu s’est alors imposée. J’en ai parlé à Françoise qui a accepté de venir visiter le centre. Spontanément, elle a proposé d’y faire des lectures. C’est à partir de là que le film s’est mis en route.


Françoise Lebrun n’est pas le seul visage connu qu’on retrouve dans vos films. On y croise aussi Sabine Haudepin, Catherine Mouchet, Xavier Beauvois. Diriger des comédiens professionnels change votre manière de travailler ?
 

En fait, Françoise constitue pour moi une exception. Les autres « professionnels » dont vous parlez, Sabine Haudepin, Catherine Mouchet, Xavier Beauvois habitent près d’où je vis et font donc partie de mon paysage. Quand je leur demande d’apparaître dans mes films, je ne sollicite pas des acteurs mais des voisins qui s’intègrent tout naturellement dans mon travail.

Depuis 1994, vous avez tourné plus de trente courts et longs métrages. Avez-vous en parallèle continué à travailler comme ouvrier agricole ?
 

Je travaille toujours mais j’ai changé de métier. Je suis devenu jardinier autoentrepreneur depuis le premier confinement tant il était devenu impossible de vivre comme ouvrier agricole en raison de tout ce qui passait. Je ne suis donc plus cinéaste-paysan comme m’a surnommé un jour la réalisatrice Marie Vermillard, mais cinéaste-jardinier ! (Rires.)

Comment avez-vous réagi à l’annonce de la rétrospective que vous consacre le festival Cinéma du réel ?

Quand j’ai reçu la proposition de sa déléguée générale Catherine Bizern, je me trouvais dans une cabane au fond des bois où il n’y a jamais de réseau. Or là, le message est passé ! C’était un signe et un cadeau magnifique même si, crise sanitaire oblige, tout doit se faire en distanciel.


Le plaisir que vous prenez derrière la caméra a-t-il évolué au cours des années ?

Je ne crois pas qu’il ait changé. Je m’en suis rendu compte concrètement il y a deux ans en tournant L’Avenir le dira. J'y filmais un père et un fils faisant la récolte du lin.

 

Suivre ces hommes m’a procuré la même joie que celle de mes premiers films il y a plus de vingt ans. Car je suis toujours animé et motivé par les mêmes choses. Depuis que je fais du cinéma, je n’ai jamais cherché de sujets de films. Ils sont venus à moi. Ce n’est sans doute pas inépuisable mais ça ne s’est jamais démenti jusqu’ici.
 
Justement, qu’avez-vous en projet actuellement ?

Deux projets aux destins pour l’instant opposés. Un qui n’avance pas du tout car les refus s’accumulent. Et un autre qui, à l’inverse, a été accueilli avec un grand enthousiasme par le CNC qui m’a octroyé une aide à l’écriture. Ce qui vous booste d’un point de vue financier évidemment, mais aussi pour la confiance que cela procure. Le film s’appelle Un prince. J’ai commencé à l’écrire pendant le premier confinement. J’y reviens pour la première fois sur mon enfance. Et là encore, le sujet est venu à moi, naturellement. Depuis deux ans, avec mon compagnon Vincent Barré (avec qui j’ai aussi cosigné plusieurs films), nous accueillons un jeune réfugié, mineur non accompagné, qui travaillait pendant le confinement comme apprenti dans une boulangerie. Tout cela m’a replongé dans ma propre expérience d’apprenti quand j’avais 16 ans, et c’est ainsi que l’idée d’Un prince a vu le jour !