Quand le musée s’invite au cinéma

Quand le musée s’invite au cinéma

13 novembre 2020
Cinéma
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National Gallery de Frederick Wiseman
National Gallery de Frederick Wiseman Sophie Dulac Distribution - Film Gallery - Idéale Audience
Cette année, crise sanitaire oblige, l’édition 2020 de la Nuit des musées sera digitale, l’occasion pour le public de découvrir l’art d’une autre manière. De Roberto Rossellini à Frederick Wiseman, les cinéastes ont eux aussi exploré les coulisses des grandes institutions. Voici un panel de films qui ont mis en valeur le patrimoine muséal mondial.

Le musée archéologique national de Naples dans Voyage en Italie (1953)

Roberto Rossellini met en scène le voyage en Italie d’un couple britannique, Katherine et Alexander (Ingrid Bergman et George Sanders) pour prendre possession d’une villa héritée d’un oncle. Au troisième jour, leur relation s’étiole et Katherine décide d’aller à Naples visiter le musée d’archéologie dont lui a parlé un amour de jeunesse. Au milieu des statues qui représentent toutes des hommes nus, elle semble bouleversée. Dans sa « Lettre sur Rossellini », Jacques Rivette, alors critique aux Cahiers du Cinéma, décrivait son éblouissement devant le film : « Rossellini ne démontre pas, il montre. Et nous avons vu : que tout en Italie porte sens, que l’Italie tout entière est leçon et participe à un dogmatisme profond, que l’on s’y trouve soudain au domaine de l’esprit et de l’âme, voilà qui n’est peut-être pas du règne des vérités pures, mais qui est bien par le film de celui des vérités sensibles, qui sont encore plus vraies. (…) Tout ce que rencontre maintenant le regard de cette femme égarée, perdue au royaume de la grâce, ces statues, ces amants, ces femmes grosses qui lui font partout un obsédant cortège, puis ces gisants, ces crânes, ces bannières enfin, cette procession d’un culte presque barbare. Tout rayonne à présent d’une autre lumière, tout s’affirme autre chose ; voilà visiblement sous nos regards la beauté, l’amour, la maternité, la mort, Dieu. »

 

Le palais de Topkapi dans Topkapi (1964)

Les musées regorgent de trésors et le « hold-up de musée » est un genre à part entière où les cambrioleurs rivalisent d’ingéniosité pour dérober les pièces maîtresses des grandes institutions. Celles-ci sont d’ailleurs rarement d’accord pour que se filment à l’intérieur de leurs murs ces séquences de vol qui pourraient nuire à leur réputation. Topkapi de Jules Dassin est l’une des rares exceptions et permet d’apercevoir la beauté du musée stambouliote. Construit au XVe siècle, le palais de Topkapi domine le Bosphore et la mer de Marmara. Transformé en musée en 1921, il abrite de nombreuses collections de vêtements, d’armes, de miniatures ottomanes, de manuscrits anciens, de porcelaine et de joaillerie. C’est une dague incrustée d’émeraudes forgée pour le sultan Mahmud 1er – véritable joyau du musée – que convoite l’intrigante Elizabeth Lipp, interprétée par Melina Mercouri. Elle rassemble une équipe composée d’un as de l’effraction, d’un génie de la mécanique, d’un colosse cynique, d’un acrobate muet et d’un étrange contrebandier (Peter Ustinov) pour parvenir à ses fins. Le climax du film est atteint lors d’une impressionnante scène de casse qui influencera Brian De Palma pour le premier Mission : Impossible.

 

Le Louvre dans La Ville Louvre (1990)

Le documentariste français Nicolas Philibert a investi le Louvre à la fin des années 80 pour illustrer le quotidien du musée quand le public n’y est pas. Sa caméra s’est attachée à filmer les conservateurs, les restaurateurs, les gardiens, les charpentiers, les électriciens… Philibert montre les coulisses de cette ville dans la ville où la nuit, on accroche des tableaux, on déplace des œuvres. Il s’attarde sur le trajet d’un coquetier de salle en salle jusque dans les réserves où se cachent d’autres trésors. Cinq mois de tournage ont été nécessaires pour percer quelques-uns des secrets du plus grand musée du monde.

 

L’Ermitage dans L’Arche russe (2002)

Le Russe Alexandre Sokourov s’est immergé dans le palais d’Hiver du musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg pour raconter en un plan séquence trois cents ans d’histoire de son pays. Dans L’Arche russe, on suit un mystérieux narrateur qui, au fur et à mesure qu’il évolue dans les différentes salles du musée, réanime les fantômes de l’histoire comme Catherine la Grande ou l’empereur Nicolas II. La séquence finale du film reconstitue le dernier bal de l’Ermitage en 1903, sommet de la splendeur des tsars.

 

Le Muséum d’histoire naturelle de New York dans La Nuit au musée (2006)

Le scénario de La Nuit au musée, comédie familiale signée Shawn Levy, procède du rêve de gosse : « Que se passerait-il si les collections d’un musée s’animaient ? » Écrit par le duo de New-Yorkais Thomas Lennon et Robert Ben Garant [d’après l’œuvre de Milan Trenc, NDLR], le film montre des personnages et des créatures légendaires prendre vie sous les yeux du gardien remplaçant, interprété par Ben Stiller. Pour ce film, le chef décorateur Claude Paré a fait un minutieux travail de reconstitution du musée, car si l’équipe avait l’autorisation de filmer les extérieurs et les salles, il n’était pas question d’y tourner les scènes d’action où de nombreuses vitrines volent en éclat. Les précieuses collections ont été placées dans des salles reconstruites grandeur nature par les équipes techniques sur les plateaux des studios Mammoth au Canada. Il leur a aussi fallu reproduire le squelette du Tyrannosaurus Rex, la galerie des singes capucins, la statue de Theodore Roosevelt, le diorama sur les hommes de Néandertal, la statue de Papa Nui… La zone des pyramides, elle, est inspirée de celle du Metropolitan Museum of Art de New York. Le film a fait l’objet de deux suites, dont une qui a pour décors le British Museum de Londres.

 

Le musée d’Orsay dans Orsay (2011)

Pour ses 25 ans, le musée d’Orsay a ouvert ses portes au documentariste Bruno Ulmer. Revenant sur l’origine du musée, ancienne gare où furent notamment accueillis les prisonniers de la Seconde Guerre mondiale, il nous balade avec Orsay dans le vaisseau d’acier situé face au jardin des Tuileries. Devenu l’antre de la peinture impressionniste, le bâtiment nous révèle l’étendue de ses collections, au son d’un commentaire dit par Éric Ruf, actuel administrateur de la Comédie-Française.

 

La National Gallery de Londres dans National Gallery (2014)

Le cinéaste américain Frederick Wiseman s’est appliqué à dresser le portrait de lieux emblématiques dans lesquels sa caméra nous fait voyager sans interviews, sans commentaires en voix off, et sans musiques additionnelles. C’est le cas de National Gallery, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes en 2014. Au milieu des chefs-d’œuvre de la peinture occidentale, Wiseman donne à voir un lieu emblématique, ses peintures (2400 tableaux peints entre le XIIIe et le XIXe siècle), son public, son personnel, son fonctionnement, son rapport au monde. Dans un perpétuel jeu de miroirs, le cinéma regarde la peinture et la peinture regarde le cinéma…