« Qui brille au combat » vu par Joséphine Japy et Olivier Torres

« Qui brille au combat » vu par Joséphine Japy et Olivier Torres

29 décembre 2025
Cinéma
« Qui brille au combat » réalisé par Joséphine Japy
« Qui brille au combat » réalisé par Joséphine Japy Apollo Films

Dans son premier long métrage, découvert au Festival de Cannes, Joséphine Japy met en scène le quotidien d’une famille dont la cadette est atteinte d’un trouble génétique rare. La réalisatrice et son coscénariste Olivier Torres nous racontent le processus d’écriture de ce récit largement autobiographique.


Qu’est-ce qui vous a conduit à faire d’une histoire aussi personnelle votre premier long métrage ?

Joséphine Japy : Mon envie de réaliser remonte à peu près aussi loin que mon envie de jouer. Mais c’est comme si je me l’étais longtemps interdit parce que ça me paraissait inaccessible. Je manquais de modèles auxquels m’identifier. Et puis j’ai eu la chance que Mélanie Laurent m’engage dans Respire (2014). La voir au travail et maîtriser à ce point son plateau a débloqué quelque chose en moi. L’inaccessible devenait possible. Encore fallait-il trouver une histoire à raconter… Jamais je n’aurais pensé commencer par une histoire aussi personnelle. J’étais persuadée que, pour me lancer dans une aventure inédite, je devais trouver un sujet éloigné de moi, dans un même esprit de découverte.

Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?

JJ : Un moment que ma famille et moi attendions depuis des années, depuis vingt-deux ans exactement : un diagnostic sur le mal dont est atteinte ma sœur Bertille depuis sa naissance, à savoir le syndrome de Phelan-McDermid. Cette annonce a agi comme un déclic et a ouvert la porte à un film autour d’une jeune fille souffrant de cette maladie génétique rare et de son impact sur chacun des membres de la famille. J’ai commencé par confectionner une sorte de journal intime en allant interroger ma mère, mon père, ma sœur, car chez eux aussi, l’annonce du diagnostic a débloqué des choses. Et je me suis appuyée sur ce journal intime pour commencer à écrire un scénario.

Je voulais à tout prix éviter de tomber dans le piège du film à message. Je ne me voyais pas donner de leçons à quiconque sur le sujet.
Joséphine Japy
Réalisatrice

Vous auriez pu traiter cette histoire sous forme de documentaire, mais vous avez choisi la fiction. Comment, dès lors, parvenir à transcender votre propre histoire pour tendre vers un propos plus universel ?

JJ : Je n’ai évidemment jamais pensé que mon histoire pourrait intéresser au-delà de mon cercle familial. Il était évident que nous allions être à mille lieues de l’autofiction. J’ai donc choisi d’écrire avec un coscénariste, afin qu’il ait du recul sur cette histoire et puisse m’éviter d’entrer dans des considérations trop personnelles ou, au contraire, me perdre dans des circonvolutions pour ne pas traiter un moment trop intime ou douloureux, mais essentiel. C’est Anthony (Bajon), à qui j’en ai parlé, qui m’a conseillé de rencontrer Olivier (Torres) avec qui il travaillait sur son premier long métrage.

Olivier Torres : À ce moment-là, Joséphine avait déjà posé quelques éléments liés à son histoire. Tout a été très vite. Quatre jours après notre première rencontre, on s’est mis au travail. Nous avons commencé en mars et fin août, le scénario était terminé ! Ça m’est rarement arrivé…

 

Olivier Torres, qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler sur ce scénario ?

OT : Comme coscénariste, ce qui m’intéresse, c’est le monde des autres. Entendre Joséphine me raconter sa propre histoire m’a tout de suite capté et passionné. Et puis il y avait ce défi excitant à relever : comment raconter une histoire à partir de son vécu, sans qu’il s’agisse de sa propre histoire ? C’est la raison pour laquelle je n’ai pas voulu rencontrer les parents et la sœur de Joséphine pendant tout le processus d’écriture. Je voulais garder intact ce regard extérieur.

Comment s’est réparti le travail entre vous deux ?

JJ : J’ai donné à Olivier un dossier avec tout mon travail préparatoire. Mais à partir de là, il n’y a pas vraiment eu de répartition des choses. Nous avons tous les deux touché à tout.

OT : Nous avons développé un premier traitement très naturellement. Nous nous sommes vus tous les deux ou trois jours, nous avons échangé et nous avons avancé ensemble, sur la structure comme sur les dialogues. Comme un ping-pong permanent avec la chance d’avoir une liberté totale, aucune pression des producteurs. Ce premier traitement les a immédiatement séduits.

Le choix de construire le récit du point de vue des membres de la famille de Bertille et non de Bertille elle-même est-il venu assez tôt ?

OT : Oui, car l’histoire de Bertille, c’est celle d’un enfermement dans un monde inaccessible. Or pour ce film, nous ne voulions pas d’une approche psychologique ou explicative, mais comprendre comment résonne le monde qui entoure Bertille.

JJ : Je voulais à tout prix éviter de tomber dans le piège du film à message. Je ne me voyais pas donner de leçons à quiconque sur le sujet. Il ne s’agissait pas non plus d’être trop didactique pour raconter une maladie génétique que presque personne ne connaît. Voilà pourquoi j’ai voulu cette scène inaugurale où une crise de Bertille se termine en bataille d’eau généralisée. Inspirée par la manière dont nous désamorcions nous-mêmes les moments les plus compliqués, cette scène chorale me permet tout à la fois de montrer ce que ce symptôme induit chez Bertille, comment la famille y réagit, mais aussi l’aspect organique que je souhaitais insuffler à mon récit. Comme un pacte avec le spectateur. En tout cas, je ne pouvais pas, moi, détourner le regard. J’ai voulu un film sans complaisance en montrant, par exemple, la saleté sur le visage de Bertille, la couche qu’on lui enfile… J’assume une brutalité à cet endroit-là.

Comme coscénariste, ce qui m’intéresse, c’est le monde des autres. Entendre Joséphine me raconter sa propre histoire m’a tout de suite capté et passionné.
Olivier Torres
Coscénariste

OT : Une phrase que dit la mère de Bertille dans le film raconte notre manière d’aborder cette famille : « Bertille est dans son monde et nous en faisons partie. » Notre travail d’écriture a consisté à nous interroger sur cette famille pour nous concentrer sur ce que signifie vivre auprès de cette enfant. Nous ne voulions ni jugement ni condescendance, juste décrire une réalité qui passe par des hauts et des bas permanents. Je n’ai jamais traversé ce que Joséphine a vécu, mais j’ai essayé de me mettre à sa place, de comprendre cette envie régulière qu’elle a pu avoir de s’échapper de tout ça. Ce qui est impossible parce qu’elle en fait partie et parce qu’il y a au centre de cette appartenance un amour fou pour sa sœur.

L’émotion est une donnée intrinsèque d’un tel récit. Comment réussir à la doser ?

OT : Précisément en jouant sur la dualité de chaque personnage face à cette situation. Ce père qui se réfugie dans le travail parce qu’il faut des moyens pour faire face à ce que la famille traverse, mais qui le vit aussi comme une échappatoire. Cette mère qui est tout sauf une simple « mère courage ». Qui tient la baraque certes, mais dans une lutte permanente entre l’amour qu’elle porte à sa fille et l’envie de tout envoyer balader pour penser enfin à elle. Tous nos personnages font des erreurs, ne sont pas toujours aimables ou sympathiques. C’est ce qui tue dans l’œuf toute mièvrerie.

Une fois le casting de la famille choisi (Mélanie Laurent, Angelina Woreth, Sarah Pachoud et Pierre-Yves Cardinal), avez-vous réécrit les personnages en fonction des comédiens ?

OT : Très peu, si ce n’est sur des détails. Entre la version 1 et la version 3 quasi-finale de ce scénario, il y a eu très peu de changements structurels. L’essentiel était là dès le départ.

Oliver Torres, avec le recul, qu’est‑ce qui vous a le plus frappé dans cette collaboration avec Joséphine Japy ?

OT : Son intelligence, rare. Et la manière dont nous nous sommes tout de suite compris. Cette écriture fut vraiment d’une fluidité totale. Nous avons depuis commencé à écrire son deuxième long métrage…
 

QUI BRILLE AU COMBAT

Affiche de « QUI BRILLE AU COMBAT »
Qui brille au combat Apollo Films

Réalisation : Joséphine Japy
Scénario : Joséphine Japy et Olivier Torres
Production déléguée  : Cowboys Films
Distribution : Apollo Films
Ventes internationales : Pulsar Content
Sortie le 31 décembre 2025

Qui brille au combat a bénéficié de l’Appel à projets Les Uns et Les Autres en faveur de l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap dans les filières du cinéma, de l’audiovisuel, des industries techniques, de l’animation et du jeu vidéo.