Rabah Ameur-Zaïmeche : « Terminal Sud n’a pas de frontières »

Rabah Ameur-Zaïmeche : « Terminal Sud n’a pas de frontières »

22 novembre 2019
Cinéma
Terminal Sud
Ramzy Bédia dans Terminal Sud Potemkine
Après deux films historiques, Rabah Ameur-Zaïmeche revient avec un long métrage qui explore un pays non défini dévasté par une dérive sécuritaire. Entretien avec un réalisateur qui pour la première fois ne joue pas dans son film.

Après deux longs métrages historiques, Les chants de Mandrin (2012) et Histoire de Judas (2015), ce Terminal Sud (2019) marque un retour du contemporain dans votre cinéma… 

C’est vrai et pourtant le film brouille les pistes. Ni le lieu, ni l’époque ne sont clairement définis. Terminal Sud n’a pas de frontières. Le récit porte en lui des ramifications qui vont des campagnes coloniales à notre présent en passant par la guerre d'Algérie et les années noires qu’a connues le pays dans les années 90. En creux se dessine l'histoire passionnelle entre l'Algérie et la France. Une histoire qui passe mal parce que mal expliquée, mal racontée, mal diffusée... Il était temps pour moi d'évacuer tout ça. Et la façon la plus logique - j’allais dire la plus bête -  de le faire, était de réaliser un film.

L'évacuer certes, mais sans la nommer puisque, comme vous le dites, nous ne savons avec exactitude où se situe cette histoire…

Je voulais ouvrir d’autres perspectives !  Il y a quelque chose de plus global. Le chaos généré par l'ordre économique actuel s’accompagne de dérives autoritaires. Et ça ne concerne pas que l’Algérie ou la France. Quand j’écrivais Terminal Sud, est survenu un soulèvement dans le Rif marocain suite à la mort d’un pêcheur à qui on avait confisqué le fruit de son travail. Le mouvement populaire qui s’en est suivi pour réclamer plus de justice sociale a été fortement réprimé. Je pourrais vous parler également des nombreux naufrages de migrants sur les côtes méditerranéennes ou des guerres pour le contrôle des matières premières dans les pays du Levant… Quel est le rôle de la France là-dedans ? En tant que Français et amoureux de mon pays, ça me fait mal au cœur de le voir régulièrement bafouer ses propres valeurs au profit d’intérêts économiques. Notre pays est atteint de schizophrénie. Pour revenir à l’Algérie, la population en veut encore à la France. Il faut se demander pourquoi ?

Revenons à cette idée de contexte. Nous ne savons pas exactement où nous sommes mais l’époque, en revanche, c’est la nôtre…

… Pas sûr. L’Algérie d’hier ? La France d’aujourd’hui ou de demain ? Voire la Suède ? J’ai utilisé sciemment des berceuses suédoises dans la séquence dans la grotte, alors que le spectateur s’attend plutôt à entendre des chants folkloriques berbères. Les dérives autoritaires concernent tout le monde. Le retour des extrêmes partout dans le monde le prouve. Ce n’est pas qu’un problème nord-africain.

Que signifie exactement ce titre, Terminal Sud ?

C’est dans un terminal que sont stockées les matières premières. C’est là qu’arrivent le pétrole, le gaz… Des pays sont prêts à se battre pour garder la mainmise sur ce marché énergétique... C’est très violent…

Mais là encore, cet élément reste en périphérie du film. Vous laissez le contexte hors-champ pour vous intéresser à l’humain…

En tant que cinéaste, c’est la solitude des êtres qui me préoccupe. Comment les hommes et les femmes peuvent se retrouver broyés par l'angoisse, la peur, l'épouvante… Tout ça se voit dans la chair, dans la lumière des yeux, voire dans le rayonnement du soleil au-dessus des êtres. Je veux rester le plus près possible de la matière donc de l'esprit... L'esprit de la matière, voilà c’est ça que j’entends explorer !  Vous parlez de hors-champ et de fait, les politiques, les dirigeants des grandes entreprises, bref les responsables de cette situation, je veux toutefois les rendre palpables. Or on peut les toucher du doigt en restant proche de celles et ceux qui subissent leur violence. Pour filmer ça, j’ai d’abord besoin d’espace puis je me rapproche petit à petit du cœur des hommes. Quand le film débute le chaos et la confusion sont déjà installés. La peur gangrène la population, elle asphyxie, elle consume les corps et les âmes.

Où a été tourné le film ?

En France uniquement. A Nîmes, Istres, Miramas et Grasse...

Pas du tout en Algérie ?

Je ne me sentais pas à l'aise de tourner là-bas avec un tel sujet... C’est trop sensible. Déjà quand j’ai tourné Bled Number One mon deuxième long métrage en 2006 en Algérie, il y a des séquences que j’avais écrites et que je n’ai finalement pas tournées. Certaines de ces séquences se retrouvent aujourd’hui dans Terminal Sud, celle où les miliciens braquent le bus par exemple. Les tourner finalement en France c'est comme si l'histoire algérienne se transposait ailleurs... Ça explose les cadres...

On avait d’ailleurs déjà vu Ramzy Bédia dans Bled Number One. Cette fois il a le premier rôle. Vous avez pensé à lui dès le départ ?

Non, j’avais écrit le rôle de ce docteur en pensant l’interpréter moi-même. Et puis, je me disais qu’avec lui, cela sortirait le film de sa confidentialité. C'était une raison fondamentale. Mais pas la seule. Lorsque je cumule les rôles d'acteur et de réalisateur, je donne, consciemment ou non, l'humeur générale du tournage... Sur Histoire de Judas, j'étais très à vif, écorché, fébrile. On ne pouvait pas me demander grand-chose sur le plateau... Je ne voulais pas répéter cette expérience. En confiant le rôle à quelqu’un d’autre, j’étais soudain plus apaisé, plus serein... Ce docteur reçoit quand même toute la douleur humaine de ses patients sur ses seules épaules. Je ne me voyais pas me plonger dans cet état.

Comment Ramzy Bédia s’est-il approprié le rôle ?

Dès qu'il a lu le scénario, il a dit oui tout de suite... Presque trop vite ! Je n’avais pas eu le temps de me résigner à céder le rôle à quelqu’un d’autre. Il a pris le rôle à bras le corps... On rigolait sur le tournage en se disant qu'il avait fini par devenir mon double. Cela s'est fait naturellement, intuitivement. Nous avons noué une relation étroite. Je ne crois pas à ce que l’on nomme habituellement la direction d’acteur. Tout passe par le sensible, pas par les mots. L'échange est souterrain. Avec Ramzy nous avons d’abord travaillé sa façon d’arriver et de sortir du champ. C’est tout bête mais la façon d’occuper l’espace définit un caractère, une présence. Au fur à mesure, on plonge ensuite vers les sensations, la psychologie...

L’idée de faire de votre protagoniste un docteur pour illustrer une société malade, est presque naïve …

Peut-être mais j’aime cette idée du médecin qui prend en charge physiquement les malades. Ça passe par les mains, le contact. S’il avait été un intellectuel, un journaliste par exemple, tout passerait par les mots et une idéologie. Je ne voulais pas de ça. Un médecin se doit de soigner tout le monde. Il en a fait le serment.

Teminal Sud a bénéficié de l'Avance sur recettes avant réalisation et de l'Aide sélective à la distribution (aide au programme).