Raphaëlle Martin-Holger, une monteuse entre « instinct et rationnel »

Raphaëlle Martin-Holger, une monteuse entre « instinct et rationnel »

07 janvier 2021
Cinéma
Raphaëlle Martin-Holger
Raphaëlle Martin-Holger DR
Monteuse et chef monteuse, Raphaëlle Martin-Holger s’est illustrée sur des projets venus d’horizons différents, du court Mon amour de Sigrid Bouaziz (2012) à Made in Bengladesh de Rubaiyat Hossain (2018) en passant par J’attends Jupiter d’Agathe Riedinger (2018), que nous vous proposons de découvrir pendant 48h. Portrait.

Agathe Riedinger dit d’elle qu’elle aborde le montage « avec bienveillance, délicatesse, sensibilité et subtilité ». Autant de qualités qui permettent à la réalisatrice d’avoir une « entière confiance » en celle avec qui « elle travaille depuis presque toujours » et qui a monté récemment son court métrage J’attends Jupiter. Reconnue dans le milieu du cinéma pour ses talents de monteuse, Raphaëlle Martin-Holger était loin pourtant de se destiner à une telle carrière. « J’avais envie de costumes et de décors lorsque j’étais au lycée. Et de peindre également », nous explique-t-elle. Elle laisse pourtant ces envies derrière elle pour rentrer en hypokhâgne. « J’ai eu mon bac avec mention et tout le monde attendait de moi des études brillantes. Mais j’ai rapidement commencé à déprimer. J’avais envie de faire des choses, d’être autonome ». Ses études supérieures abandonnées, elle commence à travailler à l’âge de 19 ans dans la sphère créative et artistique, une évidence pour elle qui a grandi entourée d’un beau-père critique d’art et poète et d’une mère qui écrit des livres de cuisine.

La question de l’image, du design et de la créativité a donc toujours été là, sans pour autant qu’elle n’envisage un avenir dans le septième art. « C’est venu par hasard, au fil des rencontres. Je voulais faire des décors de théâtre et j’ai finalement croisé la route d’une personne qui m’a proposé un stage décor pour un court métrage. J’ai adoré car j’avais l’impression d’apprendre beaucoup de choses ». Se laissant porter par les événements, Raphaëlle Martin-Holger travaille comme accessoiriste puis pour le milieu de la publicité et du clip avant de monter des bandes annonces de premiers films et de films d’auteurs– notamment pour Virgil Vernier qu’elle retrouve ensuite pour les montages de son court métrage Andorre (2013) puis de son premier long Mercuriales (2014). Elle passe ensuite des bandes annonces aux courts métrages puis aux longs métrages aussi bien de documentaires que de fictions. « Il y a eu des propositions et j’ai dit oui. Je n’avais pas peur car je ne m’étais jamais mis la pression sur le fait de faire carrière dans ce milieu. Les choses se sont faites comme ça, un peu mystérieusement ».

L’importance de l’instinct

Raphaëlle Martin-Holger, qui a découvert le cinéma sur le tard – « Nous allions de temps en temps au cinéma avec ma famille mais je n’ai pas été éduquée à la cinéphilie » -, travaille aujourd’hui aussi bien pour des réalisateurs français qu’étrangers. Les projets qu’elle embrasse, elle les choisit avec le cœur, allant d’un genre à l’autre, passant par exemple d’un documentaire audiovisuel sur l’école dans l’après-guerre (Révolution Ecole 1918-1939 de Joana Grudzinska, 2016) à la « folie qui sort du lot » de Diamantino de Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt (Grand Prix de la Semaine de la Critique à Cannes en 2018). Une diversité qui jalonne son parcours depuis plus de vingt ans et représente bien la ligne directrice de cette monteuse pour qui l’instinct est omniprésent dans son travail, aussi bien pour le choix des projets que pour la construction de ses montages. « Il y a un va-et-vient permanent entre le rationnel et l’instinctif au montage. Face à toute la matière tournée pour une scène, il faut bien commencer à poser quelque chose : on peut choisir un plan pour des raisons logiques et rationnelles, mais on peut aussi se laisser guider par un autre parce qu'il nous attire, qu'on le trouve très beau, et construire autour de celui ci. Les plans et les sons ont un impact physique sur nous. Je m'autorise à construire des séquences non pas en fonction de leur découpage initial mais de la manière dont les plans me parlent et se répondent ».

Si elle s’appuie sur le scénario pour construire son montage pour certains films, ce n’est pas toujours le cas. « Il y a des films pour lesquels je ne le lis pas. Je préfère parler avec le réalisateur et découvrir ensuite les séquences au fur et à mesure du dérushage que l’on fait ensemble ». Elle se laisse ainsi guider par ce que le réalisateur raconte au fil des séquences et se plonge directement dans la matière. Une méthode qui n’est pas adaptée pour « un film très découpé, très précis et très écrit avec des scènes plus compliquées et techniques », précise-t-elle malgré tout en soulignant l’importance de dérusher les images avec le réalisateur. C’est lors de ce dialogue avec lui, au travers des images tournées, qu’elle arrive à sentir la direction dans laquelle il veut aller et ce qu’il veut tirer des plans. « Je me laisse ‘’incorporer’’ par sa vision. Ce qui ne m’empêche pas, lorsque je travaille seule, de faire mes propres choix avec ce qui me paraît juste pour proposer une version », poursuit-elle en évoquant le dialogue perpétuel qui s’engage alors ; certaines scènes étant montées et remontées sans relâche tant que le film n’est pas en place.

Première étape du travail de montage : réaliser un ours, c’est-à-dire une première version du montage rassemblant toutes les séquences - dont elle a tiré ce qui lui semblait optimal - mises bout à bout. Cet ours, généralement plus long que le film fini, lui permet d’avoir une première vision globale du film. « A cette étape le film commence à nous parler : on voit tout de suite si une information est entendue plusieurs fois, ou bien si là par exemple il faut faire un choix et décider avec quel personnage plutôt qu'un autre on veut vivre cette scène qu’on devra donc finalement remonter différemment. etc..». Nous décrire le travail de montage au téléphone n’est pas des plus simples pour Raphaëlle Martin-Holger qui souligne le côté abstrait de l’exercice. « C’est délicat. Lorsque je donne des cours de montage, je guide davantage les étudiants que je ne leur inculque quelque chose. Je tente de les nourrir en essayant de faire naître une boîte à outils dans laquelle ils puissent puiser de bonnes questions à se poser, et surtout pas des règles ou de la théorie ».

Une « approche physique »

Pour Agathe Riedinger, Raphaëlle Martin-Holger a abordé le montage de J’attends Jupiter avec une « approche physique et corporelle ». « Elle travaille beaucoup avec la respiration, avec le sous-texte, avec l’invisible », ajoute-t-elle en évoquant leur collaboration sur ce film centré autour d’une jeune fille qui, après avoir été retenue pour une émission de télé-réalité, « délite ce qui l’entoure pour embrasser avec radicalité ce grand chamboulement ». « Raphaëlle a mis en valeur le rythme présent à l’écriture du film en travaillant les respirations, en saccadant par moments ce qui aidait à raconter le paysage intérieur du personnage dans sa frustration », ce qui correspondait à la ligne directrice donnée par la réalisatrice. Cette dernière voulait en effet de la radicalité et des partis pris de montage pouvant déstabiliser le spectateur. « Il ne fallait pas forcément aller dans le sens de la douceur pour épouser ainsi la quête du personnage et sa violence intérieure. Il ne fallait pas avoir peur de la longueur et du silence », affirme Agathe Riedinger.

Les deux femmes, qui se sont rencontrées alors qu’elles évoluaient toutes deux dans le milieu de la publicité, ont « réalisé un vrai travail de collaboration » pour monter ce court métrage. Après avoir sélectionné tous les moments intéressants, émouvants ou qui les ont interpellées, elles ont réalisé une première version du montage « très scolaire » en suivant la partition scénaristique. Avant de détricoter et défaire les choses pour confronter d’autres idées et trouver d’autres évidences. « Travailler avec Raphaëlle est toujours très rassurant pour moi car elle a une approche complète. On échange même parfois les rôles. C’est ce que j’aime chez elle », conclut Agathe Riedinger.

J’attends Jupiter
Réalisé et scénarisé par Agathe Riedinger
Compositeurs : Bastien Burger et Audrey Ismaël
Productrice déléguée et exécutive : Elsa Rodde
Production : Germaine Films
Distribution : TWR – The Wild Room