Renaud Barret : Passion Kinshasa

Renaud Barret : Passion Kinshasa

14 janvier 2020
Cinéma
Système K
Système K La Belle Kinoise - Les Films en vrac - Le Pacte
Avec Système K, Renaud Barret, le coréalisateur de Benda Bilili ! – nommé aux César en 2011, signe un nouveau documentaire qui plonge dans la scène artistique bouillonnante de la capitale du Congo où il s’est installé au milieu des années 2000. Récit d’un coup de foudre.

L’histoire d’amour entre Renaud Barret et Kinshasa débute au milieu des années 2000, tout à fait par hasard. Alors qu’il dirige une petite agence de publicité à Paris, Florent de La Tullaye, grand reporter photo international, lui propose de l’accompagner faire des images à la frontière du Rwanda et de la République démocratique du Congo. Les deux hommes se retrouvent en pleine zone de guerre dans un camp de démobilisation d’enfants soldats. Renaud Barret commence à faire des clichés, mais, très vite, lui et Florent de La Tullaye doivent quitter les lieux, bombardés par des tirs d’obus de mortier. Ils sont alors exfiltrés et ramenés à Kinshasa. « Pour moi, ça n’a pas été une simple rencontre avec cette ville, mais un vrai choc, une sorte d’hallucination », se souvient Renaud Barret. Dès lors, les allers-retours vont se succéder et donner naissance à une multitude de projets.

« À Kinshasa, le ghetto est accolé à la ville. Là, en allant chercher des cigarettes, je rencontre un musicien qui marche dans la rue avec sa guitare sur le dos. On commence à discuter et on entre ensemble dans la cité ghetto. Il y régnait une énergie incroyable. Je n’avais jamais ressenti un truc pareil dans une ville. » Renaud Barret prend alors sa décision : tout plaquer pour s’installer au cœur de ce réacteur artistique. Il rentre à Paris pour acheter des caméras et repart immédiatement. Dès 2007, il signe, avec Florent de La Tullaye, un premier documentaire, La Danse de Jupiter qui plonge dans les ghettos de Kinshasa à la rencontre des innombrables musiciens qu’ils ont pu y croiser. Puis le duo enchaîne avec un deuxième documentaire, Victoire Terminus, où il raconte cette fois-ci le quotidien de deux jeunes boxeuses congolaises qui montent sur le ring pour nourrir leur famille. Un film sélectionné au festival de Berlin.

Mais c’est en 2010 que leur travail accède à une plus grande notoriété grâce à Benda Bilili ! qui fait l’ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes, puis obtient, quelques mois plus tard, une nomination au César du meilleur documentaire. Il s’agit du portrait d’un groupe de musiciens handicapés découverts sur les trottoirs de Kinshasa avant de connaître un triomphe international. « Avec Florent, c’est le hasard des rencontres qui nous a conduits vers le staff Benda Bilili. On nous parlait d’eux depuis un moment comme d’un gang assez difficile à localiser. Une nuit, ils jouaient devant la terrasse d’un restaurant fréquenté par des Blancs et des huiles (personnages importants ndlr) de Kinshasa. Leur musique nous a immédiatement attirés, avec ses accents blues à la Elmore James. Ils nous connaissaient de réputation, car nous passions beaucoup de temps en immersion, à filmer comme des malades. Et nous avons décidé rapidement de produire un album avec ce groupe incroyable tout en le filmant. On ne s’était jamais imaginés producteurs de musique, c’est eux qui nous ont fait croire que c’était possible. » Les deux documentaristes pensent au départ arrêter le tournage à la fin de l’enregistrement du disque, mais l’annonce d’une tournée qui allait les conduire jusqu’en Europe les pousse à continuer en se débrouillant pour trouver les moyens pour les accompagner.

Le succès critique et public que rencontre le film n’éloignera pas les deux compères de Kinshasa. Bien au contraire. En 2012, ils cosignent pour France 5 Pygmée Blues où ils suivent le retour dans leur village, en amont du fleuve Congo, de deux pygmées découragés par l’ostracisme dont ils font l’objet à Kinshasa. Et, en parallèle, Renaud Barret poursuit son activité de producteur de musiciens congolais.

C’est en solitaire qu’il a choisi de réaliser son nouveau documentaire Système K, découvert l’an passé dans la section Panorama du festival de Berlin. Renaud Barret y part à la rencontre de la scène contemporaine bouillonnante qui se déploie au milieu du chaos social et politique permanent régnant dans les rues de la ville. Des hommes et des femmes qu’il a connus – comme le staff Benda Bilili ! – au gré des découvertes qu’il a faites depuis la quinzaine d’années qu’il arpente Kinshasa dans tous les sens. « Quand j’allais d’un endroit à un autre, je voyais sans cesse des artistes en train de fabriquer des choses. Mais l’un d’entre eux, en particulier, a déclenché mon envie de faire ce film : Beni Baras qui était en train de brûler du plastique avec une incroyable motivation dans son geste, un désir de vie dans une situation très limite, entre la vie et la mort. »

Comme pour Benda Belili ! commence alors un long parcours du combattant puisque Renaud Barret met 5 ans à aller au bout de ce projet, le temps évidemment de dénicher les artistes qui se succèdent devant sa caméra (sculpteurs, plasticiens, performeurs, peintres, musiciens…) et de tisser des liens avec eux pour qu’à l’écran, on puisse non seulement découvrir leurs œuvres, mais tout le processus créatif politique qu’il y a derrière. Un temps indispensable pour atteindre son but qu’on pourrait croire sur le papier contradictoire : « un manifeste de l’urgence ». « Car il ne faut jamais oublier que la durée de vie moyenne en République du Congo est autour de 45 ans, avec des morts qui peuvent être violentes. » À ses yeux, Système K est donc une œuvre engagée qui s’assume. « Ce n’est pas juste un film sur l’art, mais un film sur la fonction des artistes dans une société. Ces artistes participent à la culture d’un pays, ils en sont les ferments, les principes actifs. » Et Renaud Barret les raconte avec une précision rare, car il n’est pas qu’un simple observateur, il vit parmi eux.

Système K, qui sort ce mercredi 15 janvier 2020, a reçu l’Avance sur recettes après réalisation et l’Aide sélective à l'édition vidéo (aide au programme) du CNC.