Pour certains, il restera à jamais le Joffrey de Peyrac balafré de la saga des Angélique. Pour d’autres, le metteur en scène de la comédie musicale Les Misérables, le réalisateur de La Nuit des espions tourné en 5 semaines à la manière d’une pièce de théâtre ou le metteur en scène de pièces à grand spectacle, de Ben Hur au Stade de France à Je m’appelais Marie-Antoinette où il demandait, chaque soir, au public de voter pour choisir entre sa mort et son exil.
Robert Hossein est tout cela à la fois. Une gueule, une voix, une passion et une curiosité inextinguibles comme le racontent ceux qui ont eu la chance de le croiser. Fils d’un musicien et d’une couturière, il fait les 400 coups dans son enfance avant, très tôt, de se rêver en comédien. Ce métier, il l’apprend sur les bancs des cours de théâtre grâce à René Simon ou Tania Bolachova mais aussi et surtout au contact des différentes bandes de Saint-Germain-des-Prés, se liant d’amitié avec Michèle Morgan, Boris Vian, Jean-Paul Sartre, Roger Vadim ou encore Frédéric Dard qui le prendra sous son aile.
Il a tout juste 20 ans quand il fait ses premiers pas au cinéma en enchaînant les apparitions notamment dans Le Diable boîteux de Sacha Guitry et Aux yeux du souvenir de Jean Delannoy avant de rencontrer son premier succès d’estime sur scène dans Les Voyous au Théâtre du Vieux-Colombier, une pièce qu’il écrit, met en scène et tient le rôle principal. L’homme-orchestre était né.
Sa notoriété décolle cinq ans plus tard, en 1954, avec Responsabilité limitée, dont il est aussi l’auteur, qu’il enchaîne avec son premier rôle important au cinéma dans Du rififi chez les hommes de Jules Dassin et sa première réalisation pour le grand écran avec Les Salauds vont en enfer, adaptation d’une pièce de Frédéric Dard dont il est aussi l’interprète face à Serge Reggiani et Marina Vlady qui partage alors sa vie. Le premier de ses 15 longs métrages (Le Jeu de la Vérité, Les Misérables avec Lino Ventura en Jean Valjean…) jusqu’à Le Caviar rouge en 1986.
Mais c’est au milieu des années 60 avec un rôle qu’il a d’abord décliné que Robert Hossein va s’installer définitivement dans la mémoire collective. Il sort alors du Repos du guerrier de Roger Vadim face à Brigitte Bardot. Et quand on lui propose d’incarner Joffrey de Peyrac dans Angélique, marquise des anges, il ne se sent pas d’enchaîner avec un nouveau rôle de séducteur et ajoute qu’il ne se sent pas capable de bien jouer un boîteux. Le producteur lui demande d’accepter comme un service. Robert Hossein cèdera et trouvera donc un de ces rôles rares qui accompagnent des générations de spectateurs. Sans pour autant que ça l’empêche d’en tourner d’autres, en plus des autres épisodes de ce qui allait devenir une saga et de ses films à lui. On le retrouyera ainsi, au fil du temps, chez Christian- Jaque (La Seconde vérité), Nadine Trintignant (Le Voleur de crimes), Henri Verneuil (Le Casse), Claude Lelouch (Les Uns et les autres), Georges Lautner (Le Professionnel), Gérard Oury (Lévy et Goliath), Yannick Bellon (Les Enfants du désordre), Tonie Marshall (Vénus Beauté (Institut)) ou Sophie Marceau (La Disparue de Deauville).
Mais son grand œuvre, ce fut le théâtre. Au début des années 70, il décide ainsi quasiment du jour au lendemain de quitter Paris pour aller diriger le Théâtre Populaire de Reims. C’est là qu’il va développer ce qui va faire son triomphe dans les années 80 : des mises en scène à grand spectacle avec l’idée de faire du théâtre comme du cinéma. Personne n’y croit mais il s’accroche, entraîne Jacques Weber dans sa troupe qui va aussi accueillir en son sein des talents naissants qu’il va participer à former comme Isabelle Adjani, Isabelle Huppert, Jacques Villeret et Francis Huster.
Faute de moyens, il devra fermer cette école mais sans renoncer à ses ambitions. Et c’est Paris qui va devenir la capitale de sa démesure. Il y monte Le Cuirassé Potemkine. Puis, avec Alain Decaux, il crée Notre-Dame de Paris et Danton et Robespierre. On le retrouve à la tête – avec Claude-Michel Schönberg et Alain Boublil - de la comédie musicale Les Misérables, dont la version anglophone fera le tour du monde. Suivront Jules César, L’Affaire du courrier de Lyon ou Jésus était son nom dans un Palais des Sports de Paris qui affiche complet chaque soir. Et ce sans pour autant délaisser des spectacles plus « classiques » comme lorsqu’il orchestre avec Kean le grand retour au théâtre, après 28 ans d’absence, de Jean-Paul Belmondo qu’il mettra dans la foulée en scène en Cyrano de Bergerac au Théâtre Marigny qu’il dirigera de 2000 à 2008.
Robert Hossein avait le goût du public qui le lui a toujours rendu au centuple. Et s’il fut régulièrement malmené par la critique, ses pairs avaient su trouver le geste pour lui rendre hommage à travers un Molière d’honneur en 1995. La disparition de cet homme de spectacle(s) va laisser un grand vide.