Sébastien Lifshitz, le cinéaste des métamorphoses

Sébastien Lifshitz, le cinéaste des métamorphoses

01 décembre 2020
Cinéma
Petite fille de Sébastien Lifshitz
"Petite fille" de Sébastien Lifshitz Agat Films & Cie - Arte France - Final Cut for Real - Arte

Dans ses documentaires, le cinéaste aime filmer des êtres en pleine construction ou reconstruction. La preuve par trois à l’occasion de la diffusion de son nouveau long métrage, Petite Fille, ce mercredi 2 décembre à 20h55 sur Arte (ce documentaire est également visible jusqu’au 30 janvier 2021 sur Arte.tv).


Bambi (2013)

C’est au tout début des années 2010, lors d’un festival où ils sont jurés ensemble, que Sébastien Lifshitz fait la connaissance de Marie-Pierre Pruvot alias Bambi, une figure mythique des cabarets parisiens des années 50-60, mais surtout l’une des premières transsexuelles françaises. Bambi commence à lui raconter sa vie et ses confidences font naître chez le réalisateur une envie de porter à l’écran son destin hors du commun. Il pense un temps en faire l’un des grands témoins des Invisibles, son documentaire sur ces femmes et ces hommes nés entre les deux guerres qui ont choisi de vivre leur homosexualité au grand jour. Puis il se ravise pour deux raisons. D’abord parce que Bambi est une figure connue dans le monde de la nuit alors qu’il ne réunit pour Les Invisibles que des anonymes. Mais surtout parce que, comme il le confiait dans le dossier de presse de Bambi, « l’histoire de l’homosexualité et celle de la transsexualité sont deux histoires parallèles. L’une touche à l’identité, l’autre à la sexualité. » Bambi aura donc droit à son propre documentaire qui raconte comment, face à tous les périls et embûches auxquels elle a été confrontée, celle-ci a mené sa vie sans tergiverser. Avec cette idée que les transsexuels comme les homosexuels doivent réellement aller au bout d’eux-mêmes et affirmer plus fort que les autres leur identité pour faire face à un contexte souvent hostile. Bambi raconte donc le courage d’avoir vécu, sans être forcément militante, sa transsexualité de 17 à 35 ans mais aussi, dans ses dernières minutes, pourquoi Marie-Pierre Pruvot a choisi de cacher son passé afin d’entamer une carrière d’enseignante qui a duré vingt-cinq ans. Le film était prévu dans un format de 26 minutes, diffusé sur Canal+. Au vu d’un premier montage, la chaîne a accepté de porter sa durée à 60 minutes. Ce qui lui a permis d’être présenté au festival de Berlin en 2013 et de décrocher le Teddy Award du meilleur documentaire.

 

 

Adolescentes (2020)

Tout est parti d’une interrogation : qu’est-ce qu’un adolescent aujourd’hui ? Sébastien Lifshitz va donc suivre pendant cinq ans deux adolescentes et leurs parents, deux êtres en construction dans ce long tunnel tortueux qui mène de l’enfance à l’âge adulte. Avant de choisir ses héroïnes, le cinéaste commence par un casting de lieux et entame un tour de France des villes moyennes avant de jeter son dévolu sur Brive-la-Gaillarde pour sa douceur de vivre et son grand nombre d’établissements scolaires : plus d’une dizaine de collèges et lycées pour 47 000 habitants. Il va à la rencontre des proviseurs pour leur expliquer le film au long cours qu’il souhaite mettre en œuvre et son intention de suivre plutôt un garçon, pensant a priori qu’une adolescente aurait plus de mal à accepter le regard d’un homme sur ce moment de sa vie où son corps change. Mais tous les chefs d’établissement vont l’encourager à changer son fusil d’épaule en lui expliquant que si les adolescents d’aujourd’hui ressemblent à ceux d’il y a cinq ans, l’évolution des adolescentes est permanente, notamment dans leur rapport aux garçons et une manière plus forte de s’affirmer. Lifshitz les écoute, ouvre son « casting » aux deux sexes. Une cinquantaine d’ados se présente devant lui… dont 75 % de filles. Il en retient trois, deux filles et un garçon. Rencontre leurs parents pour savoir s’ils accepteront, eux aussi, de se laisser filmer. La mère du garçon jette l’éponge. Anaïs et Emma seront donc les héroïnes d’Adolescentes. Deux amies aux personnalités différentes et issues de milieux sociaux aux antipodes, venues séparément au casting. Durant ces cinq années, Lifshitz développe un processus de tournage récurrent : il se rend chaque mois à Brive pendant deux ou trois jours pour filmer le quotidien d’Anaïs et Emma, des moments d’exception (résultats d’examens) et des événements extérieurs à elles (le lendemain des attentats de 2015). Le tout sans voix off ni interview face caméra. Au final, le cinéaste parvient à raconter le mystère de cet âge si délicat et si compliqué à saisir, tout en signant un film puissant, qui agit comme une véritable caisse de résonance sociétale.

 

Petite Fille (2020)

Quelques mois après Adolescentes, Sébastien Lifshitz signe un nouveau documentaire, que diffuse Arte, centré sur un être en pleine métamorphose. En l’occurrence, Sasha, un garçon de 7 ans qui se vit comme une petite fille depuis la petite enfance. Et comme pour Adolescentes, le réalisateur et son équipe réduite (un chef opérateur, une ingénieure du son et un assistant) sont allés filmer le quotidien de Sasha et de sa famille ainsi que leur combat incessant pour l’acceptation de cette différence. L’idée de Petite Fille est née dans la tête de Sébastien Lifshitz pendant le tournage de Bambi, quand cette dernière lui avait confié que dès l’âge de 3 ans, elle avait ressenti au plus profond d’elle qu’elle était une fille dans un corps de garçon. « J’ai compris à travers ces mots que la question de l’identité était totalement séparée des questions de sexualité qui apparaissent à l’adolescence », explique le réalisateur dans le dossier de presse de son film. Restait cependant à trouver l’enfant et la famille qui accepteraient qu’une caméra fasse ainsi intrusion dans leur vie. Pour cela, le réalisateur place une annonce sur un forum d’échanges entre parents d’enfants en dysphorie de genre. L’accueil est plutôt méfiant, voire hostile. Mais deux familles répondent. L’une canadienne, l’autre française. La première avec enthousiasme, lui expliquant que dans leur pays existe une acceptation fantastique de la question de la transidentité. L’autre, plus prudente : Karine, la mère de Sasha, étant justement en train de s’interroger sur le besoin de raconter son histoire. Après plusieurs échanges, le réalisateur choisit d’aller à sa rencontre, avant qu’elle ne lui présente Sasha et le reste de sa famille. Avec Petite Fille, Sébastien Lifshitz saisit tout à la fois l’intimité – toujours à bonne distance – de Sasha, sa féminité en construction, l’union protectrice de cette famille autour de la fillette mais aussi le combat du clan pour qu’elle soit acceptée, notamment à l’école. Le réalisateur se fait à la fois témoin et porteur de solutions, comme lorsqu’il lui parle hors caméra de ce département de l’hôpital pédiatrique Robert Debré à Paris, qui accompagne les enfants en dysphorie de genre, pour qu’elle puisse être mieux entourée. Une fois encore, Sébastien Lifshitz revient à son thème de prédilection dont il s’empare en filmant à hauteur de ses « personnages » – en l’occurrence à hauteur d’enfant– ce que signifie concrètement grandir quand on n’est pas dans la norme. Découvert lors de la Berlinale 2020, Petite Fille a été primé depuis aux festivals de Gand et de Chicago.