"Une nuit à l’Opéra" : quand Sergei Loznitsa s’amuse avec les archives de l’Opéra de Paris

"Une nuit à l’Opéra" : quand Sergei Loznitsa s’amuse avec les archives de l’Opéra de Paris

26 janvier 2021
Cinéma
Une Nuit à l'Opéra de Sergei Loznitsa
"Une Nuit à l'Opéra" de Sergei Loznitsa OnP (Opéra national de Paris) - LFP (Les Films Pelléas) - INA - Balthus
Mis en ligne sur le site de la 3e Scène (la scène digitale de l’Opéra national de Paris), également visible au sein du film collectif Celles qui chantent, ce court métrage du réalisateur d’Une femme douce détourne les images d’archives des soirées de gala au Palais Garnier dans les années 50-60.

Sergei Loznitsa Atoms & Void

C’est une sorte de recréation, presque une pastille humoristique, qui pourrait paraître surprenante dans la filmographie de Sergei Loznitsa, ou, au contraire, d’une logique implacable, pour qui suit de près le parcours du cinéaste ukrainien. En compétition au Festival de Cannes avec ses films de fiction My Joy (2010), Dans la brume (2012) et Une femme douce (2017), Sergei Loznitsa est également l’auteur d’une œuvre documentaire conséquente. Après Donbass, en 2018, qui l’avait vu franchir une nouvelle étape dans ses recherches formelles en brouillant les frontières entre réalité et fiction, il s’emploie désormais à fouiller dans les archives filmées du XXe siècle pour en extraire une matière qu’il revivifie, compilant, restaurant et collant ensemble des images qui ont été peu vues ou qui ne sont tout simplement plus regardées. Une nuit à l’Opéra fait ainsi suite au Procès (sur un procès stalinien des années 30) et à Funérailles d’État (sur l’enterrement de Staline), deux réflexions sur le pouvoir, le totalitarisme et le culte de la personnalité.

Court métrage d’une vingtaine de minutes, Une nuit à l’Opéra poursuit ce travail sur les images et la mémoire sur un mode plus léger et humoristique. Compilant des images d’archives des soirées de gala de l’Opéra de Paris datant des années 50 et 60, Sergei Loznitsa invente une sorte de fausse bande d’actualités sur une soirée imaginaire, un « à la manière de » pastichant les informations de l’époque, où une foule de badauds et de curieux, massée devant le Palais Garnier, serait venue applaudir et admirer un impressionnant aréopage de têtes couronnées, de stars et d’hommes d’État. On y croise Brigitte Bardot, Charlie Chaplin, le général de Gaulle, Elizabeth II, Jean Cocteau, Sacha Distel, Bourvil, Sacha Guitry, Michelle Morgan, Gérard Philipe, Françoise Sagan, Rainier et Grace de Monaco, Vincent Auriol, René Coty, André Malraux, le Shah d’Iran, Nikita Khrouchtchev, Félix Houphouët-Boigny… Une sorte de guest list idéale, un who’s who fantasmatique qui agit comme un instantané fulgurant du monde des puissants et de la jet-set de l’après-guerre.

Une nuit à l'opéra de Sergei Loznitsa Onp (Opéra national de Paris)/LFP (Les Films Pelléas)/ INA/Balthus

Tous ces beautiful people, dans le montage orchestré par Loznitsa, se pressent pour applaudir Maria Callas. Le ton de ce collage est allègre, vif, à la fois tendre et sarcastique, montrant tout autant la solennité et la beauté de ces soirées, la passion sincère de la foule pour les célébrités dans leurs tenues de gala, mais aussi le dérisoire et la naïveté des rituels – petits rats offrant des bouquets de fleurs aux reines, princesses et premières dames, sourires parfois forcés des vedettes face à la presse et aux photographes, torses bombés quand retentit La Marseillaise. Mais le temps suspend son vol quand la lumière s’éteint et que la Callas entonne « l’air de Rosine », du Barbier de Séville. Alors, l’art prend le pouvoir, et tous les spectateurs, célèbres ou non, sont plongés dans le noir, à égalité.

Réflexion sur la place de l’Opéra dans la société française, Une nuit à l’Opéra a beau se présenter sous des auspices ironiques, allant jusqu’à emprunter son titre à un succès comique des Marx Brothers, il s’achève ainsi sur une célébration très sincère de la puissance de l’art. « C’est le message le plus important du film, explique Sergei Loznitsa. Le pouvoir et la gloire de l’art sont plus grands que l’aura de n’importe quel politicien. (…) Si l’Opéra est le temple des arts, alors l’artiste est dieu en son temple. » Une nuit à l’Opéra peut aussi s’apprécier comme une célébration du spectacle vivant, de la représentation, mettant en scène la connexion intime et magique qui peut s’établir entre le public et l’artiste.

Visible sur le site de la 3e Scène, Une nuit à l’Opéra fait également partie du film Celles qui chantent, qui rassemble des cartes blanches autour de l’Opéra offertes à plusieurs cinéastes : en plus de celle de Sergei Loznitsa, on peut y voir les créations de Julie Deliquet, Karim Moussaoui et Jafar Panahi.

Une nuit à l’opéra
Réalisé et scénarisé par Sergei Loznita
Production : Les Films Pelléas (LFP), Opéra National de Paris, Balthus