Youssef Chahine, l’homme-orchestre

Youssef Chahine, l’homme-orchestre

15 novembre 2018
Cinéma
Dalida sur le tournage du film Le Sixième Jour
Dalida sur le tournage du film Le Sixième Jour Orange Studio / Lyric internationnal / MISR International Films - Collection La Cinémathèque française – Fonds Humbert Balsan

Le cinéaste égyptien disparu en 2008 bénéficie d’une exposition à la Cinémathèque Française de Paris et d’une rétrospective en salles, révélant une œuvre aussi foisonnante que surprenante.


Gare Centrale (1958)

Youssef Chahine, né à Alexandrie en 1926, grandit avec en toile de fond les comédies musicales égyptiennes et hollywoodiennes. La première partie de son œuvre de cinéaste (Papa Amin….) assume cet amour pour le genre. Ce Gare Centrale constitue toutefois une rupture dans sa pourtant jeune carrière : « C’est à ce moment que je deviens adulte, un peu plus conscient de mes responsabilités effectives à l’égard des autres, confie le cinéaste dans La revue du cinéma en 1970. Jusqu’à présent, le sentiment individuel l’emportait chez moi sur le sentiment social. » Dans une veine néo-réaliste, ce film raconte les sentiments contrariés d’un vendeur de journaux simple d’esprit de la gare du Caire pour une vendeuse de boissons. Youssef Chahine, derrière mais aussi devant la caméra, tient ici le premier rôle.

Le retour de l’enfant prodigue (1976)

Après une décennie (les sixties) à expérimenter plusieurs genres (polar, film social, drame psychologique…), Youssef Chahine signe au mitan des seventies avec ce Retour de l’enfant prodigue, une comédie musicale crépusculaire, très engagée. Le film suit l’itinéraire d’Ali, un idéaliste qui revient dans son village pour reprendre les rênes de l’entreprise familiale mais va décevoir celles et ceux qui voyaient en lui un humaniste. Chahine critique en creux la politique du président Gamal Abdel Nasser et son vaste programme de nationalisations qui, selon le cinéaste, va contribuer à isoler l’Egypte du reste du monde. Outre son thème, ce film brille par la vitalité de ses couleurs qui n’en cache pas moins une mélancolie tenace. 

Alexandrie pourquoi ? (1978)

Autre grand tournant dans la carrière de Youssef Chahine avec cette comédie musicale autobiographique. Une petite révolution dans le cinéma égyptien qui prône une certaine distanciation entre l’auteur et son sujet. L’intrigue se déroule à Alexandrie en 1942, sous domination britannique. Alors que l’arrivée des troupes allemandes est imminente, un adolescent féru de cinéma américain cherche à mettre en scène un spectacle. Si Chahine s’épanche alors sur son enfance, c’est qu’au-delà de l’écran, la mort rôde : « J’avais les artères bouchées, explique le cinéaste aux Cahiers du Cinéma en 1980. J’étais à Londres et le docteur m’a dit : « Je t’opère à cœur ouvert, tu as 3 ou 4% de chances que ça marche (…) Je me suis dit : « Si je m’en tire, je ferais un film où je m’engagerais vraiment dans ma vie privée. » Chahine va poursuivre ce travail introspectif avec notamment La mémoire (1982), Alexandrie encore et toujours (1990) et Alexandrie-New York (2004).

Adieu Bonaparte (1985)

Film historique co-produit avec la France, l’action de cet Adieu Bonaparte se déroule en 1798 pendant la campagne d’Egypte. Les armées françaises tentent de repousser l’oppression turque. Sur place un général français se lie d’amitié avec deux jeunes Egyptiens. C’est une révélation. L’officier découvre un pays et une culture, qu’il convient désormais de protéger contre un Napoléon avide de conquêtes. Le rôle du général est tenu par Michel Piccoli,  Napoléon Bonaparte est campé par le metteur en scène Patrice Chéreau. Quant à la musique, c’est Gabriel Yared qui est à la baguette. A travers ce destin historique, Chahine ne cherche pas tant à ternir la figure de l’empereur qu’il relègue à l’arrière-plan, qu’à célébrer l’humanisme d’un général français capable de s’enrichir au contact d’une autre culture. Youssef Chahine va entretenir jusqu’à la fin de sa carrière des liens très étroits avec la France.    

Le Sixième jour (1986)

Dalida - née au Caire en 1933 - et Youssef Chahine se sont rencontrés à leurs débuts sur un plateau de tournage. Si leurs vies respectives ont pris des directions différentes, les retrouvailles artistiques seront intenses avec ce mélodrame. Le cinéaste ne capitalise pas sur l’image « disco queen » de la chanteuse mais va au contraire lui offrir un rôle tragique. Dalida incarne avec force et fougue, une femme soumise qui va tenter de protéger son petit-fils d’une épidémie de choléra qui ravage l’Egypte en 1948.  Durant cinq jours, elle remue ciel et terre pour éloigner l’enfant de cette menace attendant le sixième jour où : « soit l’on meurt, soit l’on ressuscite ! » Le scénario du film est adapté d’un roman d’Andrée Chedid.

Le Destin (1997)

Alors que tout le monde voit Le Destin couronné d’une Palme d’or cannoise, le jury présidé par Isabelle Adjani lui préfère L’anguille de Shohei Imamura ex-aequo avec Le goût de la cerise d’Abbas Kiarostami. Le Destin repart toutefois avec le Prix du cinquantième anniversaire. Youssef Chahine connaît enfin une reconnaissance internationale.  Le Destin préfigure la montée des intégrismes en cette fin du 20ième siècle à travers ce drame historique autour de la figure du philosophe Averroès. L’action se déroule entre l’Andalousie arabe du 12ième siècle et la France. Averroès, dont la pensée et les écrits influenceront plus tard les Lumières, subit les foudres du Calife soucieux de contenter les religieux les plus radicaux. Les disciples du savant décident alors de copier clandestinement son œuvre. Youssef Chahine prend des libertés historiques et surtout artistiques avec une musique anachronique qui lui permet de saisir toute l’universalité de cette histoire.

Tous ces films, (+ 6 autres) ressortent en salles en versions restaurées.

Parmi les 14 films qui ressortent en salles, deux un reçu une aide pour un scan 4K du matériel originial (Ciel d'enfer, Les Eaux noires) et six ont été soutenus par l'aide à la restauration et à la numérisation des films du patrimoine (Adieu Bonaparte, Alexandrie, encore et toujours, L'Autre, Le Destin, L' Emigré, Le Sixième jour).

Youssef Chahine sur le tournage du film Le Sixième Jour © Orange Studio / Lyric internationnal / MISR International Films - Collection La Cinémathèque française – Fonds Humbert Balsan
Youssef Chahine sur le tournage du film Le Sixième Jour © Orange Studio / Lyric internationnal / MISR International Films - Collection La Cinémathèque française – Fonds Humbert Balsan
Dalida sur le tournage du film Le Sixième Jour © Orange Studio / Lyric internationnal / MISR International Films - Collection La Cinémathèque française – Fonds Humbert Balsan
Michel Piccoli dans Adieu Bonaparte © MISR International Films / collection Cinémathèque française
Nour El-Sherif dans Le Destin © MISR International Films / collection Cinémathèque française