Alexandre Perez : « SEANCE 129 est une sonde temporelle invitant à voyager jusqu’en 1918 »

Alexandre Perez : « SEANCE 129 est une sonde temporelle invitant à voyager jusqu’en 1918 »

13 novembre 2018
Création numérique
Alexandre Perez
Alexandre Perez DR

11 novembre 1918, 129ème séance de l’année de l’Assemblée nationale. Georges Clémenceau, alors président du Conseil et ministre de la Guerre, prend la parole pour proclamer l’armistice. Son vibrant discours est à revivre, en immersion, grâce au film en réalité virtuelle SEANCE 129. Rencontre avec Alexandre Perez, son réalisateur.


Comment est né ce film ?
C’est un projet initié début 2018 par Cinétévé Expérience et France Télévisions Nouvelles Ecritures. Il a d’abord été accompagné par l’auteur Joffrey Lavigne qui avait cette envie de proposer une expérience en réalité virtuelle dans le cadre des commémorations, cette année, du centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale. J’ai rejoint le projet au début de l’été pour le mettre en scène. Cinétévé Expérience et France Télévisions Nouvelles Ecritures m’ont donné la liberté de m’exprimer, de donner ma vision du film. Nous avons beaucoup discuté avant que j’accepte car j’avais envie d’étudier la problématique du sujet avant de me lancer.

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SEANCE 129 évoque un moment fort de l’Histoire. Comment avez-vous travaillé pour rester fidèle à la réalité ?
Il existe très peu d’éléments visuels du discours. Ça justifie un peu l’existence du film et cette envie de rétablir une réalité. Nous n’avons pas complètement fantasmé ce moment. Nous nous sommes en effet basés sur des éléments concrets, dont le discours en lui-même qui a été intégralement retranscrit à l’époque par les sténographes de l’Assemblée nationale, avant d’être publié dans le Journal Officiel. L’atmosphère de la salle des Séances, moment de communion nationale, a été décrite par les journalistes présents dans l’hémicycle. Pour un même événement, il y a une interprétation des faits différente, ce qui est intéressant. Mais l’étude de ces coupures de presse nous a permis d’établir une réalité des faits fidèle à ce qu’il s’est passé. SEANCE 129 évoque également une époque bien précise, avec des coutumes, un code vestimentaire… Nous nous sommes servis de nombreuses photos pour retrouver les députés et même la position précise de l’élu qui intervient dans le film. Enfin, pour Clémenceau, il fallait chercher un mimétisme physique avec le personnage moustachu que l’on a tous en tête. Avec Daniel Mesguich, qui l’incarne, nous avons notamment essayé de trouver son ton en écoutant quelques archives audio de lui qui existent.

Ce film est présenté comme une « libre interprétation du discours de Georges Clémenceau ». Quelles distances avez-vous pris face à la réalité ?
« Libre interprétation » est un terme un peu fort. Nous sommes restés quasiment 100% fidèles au discours de Clémenceau. Nous précisons « libre interprétation » car nous n’y étions pas. Il n’y a pas de vérité, juste de l’interprétation grâce à plusieurs sources. De plus, le discours a duré 40 minutes alors que le film, lui, n’en fait que 7. Nous avons gardé à l’ouverture quelques conditions de l’acte de l’Armistice - lu entièrement par Clémenceau -, avant de mettre en scène la partie plus personnelle du discours.

Il y a une vraie évolution, dans le film, en passant du noir et blanc à la couleur. Pourquoi un tel choix artistique ?
Il faut imaginer que SEANCE 129 est une sonde temporelle qui invite le spectateur à voyager jusqu’en 1918. J’aimais beaucoup l’idée d’assumer un film dont l’image gagne en précision au fur et à mesure qu’il avance et que le discours avance également. Il y a d’abord un rapport de formes, puis le noir et blanc, et ensuite la couleur. J’aimais beaucoup ce rapport à l’image qu’on pouvait avoir, où le spectateur questionne sa position, son rôle... Ce qui amène à une lecture ludique du film. Il occupe la seule position à l’Assemblée nationale qui lui permet d’être lui-même. Il est entre la tribune des orateurs et l’hémicycle. Il n’est pas un personnage, juste un témoin des choses. Quand je suis arrivé sur le projet, nous avons tout de suite réfléchi à la position de la caméra. Il n’y avait qu’un seul point de vue intéressant à écrire pour nous, celui-là.

Il y a également une progression dans ce que voit le spectateur : les députés, le public et l’hémicycle n’apparaissent qu’épisodiquement…
Il y avait cette idée de progression visuelle et de gradation. Plus on avance dans le film, plus la bulle qui s’ouvre permet de voir davantage de choses. Le décor est un personnage à part entière, bourré de symboles. Même aujourd’hui, il n’y a pas un élément dans la salle des Séances qui ne soit pas un symbole, une métaphore, une allégorie de la démocratie. Tous les mots que Clémenceau est en train de prononcer ont un impact sur le décor. Nous devions trouver à la fin, lorsqu’on voit tout, un moyen de faire ressentir cette ferveur rare. La Marseillaise n’a en effet été chantée que deux fois dans l’hémicycle : en 1918 et après les attentats du 13 novembre 2015 en France. Pour faire ressentir cette ferveur, nous avons travaillé une forme de frustration intelligente avec cette progression qui permet à la fin, d’avoir cette liberté visuelle et sonore de se rendre compte complètement du lieu dans lequel on se trouve.

Afin de retranscrire le plus fidèlement possible l’hémicycle, vous avez scanné la salle des Séances en 3D…
C’est la première fois que je fais ça. Et c’est également une première pour l’Assemblée nationale. Pour de nombreuses raisons, nous n’avons pas pu tourner à l’Assemblée. Nous l’avons donc capturée en la scannant avec une caméra qui envoie des points lumineux afin de réaliser un modèle 3D, permettant de poser la caméra où nous voulions. Nous avons ensuite tourné un film en studio, avant d’intégrer les comédiens dans l’espace virtuel. Nous avons fait jouer Daniel Mesguich mais aussi d’autres acteurs. Sur les mille personnes présentes à l’image, il faudra regarder celles qui sont réelles et qui ne le sont pas !

SEANCE 129 n’est pas votre premier film en réalité virtuelle. Pourquoi vous êtes-vous tourné vers ce mode d’expression après avoir fait des courts métrages de fiction ?
C’est l’opportunité qui a créé l’envie. C’est toujours comme ça. J’ai une carrière jeune. J’ai fait une école de cinéma et quelques courts métrages, très courts, après avoir fait de la production. J’ai ensuite rencontré un producteur qui m’a proposé de travailler sur un projet à 360 degrés pour un concours d’écriture organisé par Google et un festival parisien (Paris Courts Devant). Ça m’intéressait d’écrire les choses pour une personne dans un casque. Sergent James était mon entrée dans le monde de la réalité virtuelle. SEANCE 129 est dans la continuité, même si cette expérience d’animation, avec le gameplay (l’expérience de jeu ndlr) du jeu vidéo, était inédite pour moi.

Le film SEANCE 129 est  en ligne sur YouTube, et visible sur des casques de réalité virtuelle, le 11 novembre 2018. Cette expérience est également à retrouver chaque mercredi et samedi, jusqu’au 10 février 2019, au Panthéon.