Plongez dans le futur avec "MOA"

Plongez dans le futur avec "MOA"

24 novembre 2020
Création numérique
MOA (My Own Assistant) de Charles Ayats, Alain Damasio et Fréderic Deslias
"MOA (My Own Assistant)" de Charles Ayats, Alain Damasio et Fréderic Deslias RedCorner - France Télévisions, La Volte, Le Clair Obscur, Le Forum des Images, Small Studio et Chroniques
MOA – My Own Assistant est une application en réalité augmentée adaptée du roman SF d’Alain Damasio, Les Furtifs. Marie Blondiaux, sa productrice au sein de la société Red Corner, nous détaille la genèse et le fonctionnement de l’expérience, conçue en partenariat avec France Télévisions, le Forum des images et Small Studio, et avec le soutien du CNC.

Vous avez tiré des Furtifs d’Alain Damasio une vision du futur sur la relation des habitants avec l’intelligence artificielle. Comment s’est déroulé le processus d’adaptation ?

Cette adaptation des Furtifs est d’abord le fruit d’une rencontre. Alain Damasio a été l’un des premiers testeurs des projets précédents de Red Corner, SENS et 7 Lives. Nous discutons ensemble depuis plusieurs années maintenant de création avec les nouvelles technologies. Comme tous les lecteurs de La Horde du Contrevent, son précédent roman, nous attendions avec impatience la publication des Furtifs. Alain et son éditeur (La Volte) sont venus nous voir avec l’envie de proposer une adaptation pour un public nouveau, hors du cercle des connaisseurs. Nous avons réfléchi à la meilleure façon d’offrir une passerelle vers l’univers des Furtifs et avons choisi d’emblée de nous concentrer sur l’univers du roman plutôt que sur sa trame narrative. Le monde de 2040 qu’il évoque était riche de propositions : L’organisation d’une ville en fonction de points de crédit social, la collusion du marketing et de la surveillance au sein de l’espace public, la centralisation de tous les aspects de la vie à travers une seule intelligence artificielle, incarnée par MOA (My Own Assistant) : tout cela constituait un matériau formidable pour donner le goût du roman, mais aussi d’un futur proche, déjà à l’œuvre dans nos vies quotidiennes.


Comment la réalité augmentée s’est-elle imposée à vous ? Pourquoi pas de la VR ou de la BD interactive, formes que vous aviez déjà expérimentées chez Red Corner ?

La réalité augmentée est au cœur du roman. Dans Les Furtifs, les murs de la ville en 2040 sont tout aussi gris qu’aujourd’hui, mais c’est une couche de réalité augmentée, perçue à travers des lentilles, qui change tout. Alors que vous marchez dans la rue, une foule de services, de publicités, de contacts, vous sont proposés. Ainsi, vous naviguez dans un flux de data en même temps que vous êtes vous-même une source de données en temps réel, par la moindre de vos réactions. L’adaptation en réalité augmentée semblait donc évidente. Par ailleurs, la réalité augmentée étant aujourd’hui accessible sur la plupart des smartphones, la distribution en ligne et en LBE (Location Based Experience) en était d’autant plus simplifiée. Il existe assez peu d’expériences narratives en AR (Augmented Reality) aujourd’hui, c’était l’occasion d’expérimenter un nouveau type de contenus, avec des savoir-faire proches de ce que nous avions déjà fait en VR (Virtual Reality) aux côtés de Small Studio comme l’utilisation du moteur de jeu Unity, le design interactif, etc.

Avez-vous immédiatement envisagé des partenaires ?

Nous arrivons aujourd’hui à un vrai point de maturité dans la création de nos contenus. Cela se fait avec une équipe de création solide, Charles Ayats pour le design interactif et Franck Weber pour la réalisation sonore. Alain Damasio a participé à l’écriture du scénario et à la rédaction des dialogues. Pour la programmation et la réalisation graphique, nous nous sommes appuyés sur un partenaire de longue date, Small Studio. Nous avons fabriqué ensemble 7 Lives et connaissons bien nos possibilités et contraintes respectives. Au-delà de ce partenariat privilégié, MOA réunit d’autres acteurs très divers : un diffuseur public (France Télévisions), une maison d’édition (La Volte), une compagnie de théâtre (Le Clair Obscur), un lieu de diffusion (le Forum des images), un festival d’art numérique (Chroniques). Cela incarne, selon moi, une vraie ouverture de tous les secteurs dans la création numérique et ouvre la possibilité de combiner de multiples opportunités de visibilité et de diffusion.

MOA (My Own Assistant) de Charles Ayats, Alain Damasio et Frédéric Deslias Red Corner - France Télévisions - La Volte - Le Clair Obscur - Le Forum des images - Smal Studio - Chroniques

 

Comment s’est déroulée l’écriture de l’application ? À quels défis avez-vous dû faire face ?

Nous avons commencé par une phase d’expérimentation autour de véritables fonctionnalités décrites dans le roman : assistant vocal, géolocalisation, reconnaissance de silhouettes humaines… Ces outils existent aujourd’hui : nous ne nous sommes pas confrontés à la faisabilité, mais plutôt à la difficulté de proposer la même expérience sur un parc de smartphones très large. Aujourd’hui encore, pas un assistant vocal n’a la même voix ni le même temps de réaction, y compris dans la même gamme de téléphones. Comme notre projet était avant tout de plonger émotionnellement l’utilisateur dans un futur proche, nous avons fait le choix de privilégier la fiction et le récit, à travers une expérience plus linéaire qu’imaginée à la base, mais qui nous permettait de travailler vraiment les émotions que nous voulions explorer.
 
La force de MOA, c’est de confronter l’utilisateur à une série de choix d’apparence anodins puis plus lourds de conséquences, le poussant ainsi à devenir un autre. Que vouliez-vous démontrer ?

Nous voulions mettre en évidence la mécanique de ce qu’on appelle le « nudge ». C’est une notion de marketing à l’œuvre dans les interfaces de contenus et de services. C’est un « petit coup de coude » amical qui vient vous suggérer ce qui pourrait vous plaire et qui est en réalité une injonction ; l’autoplay qui fait se succéder les vidéos les unes après les autres sur les plateformes audiovisuelles en est un bon exemple. Elle active un mécanisme de frustration et de récompenses en continu, qui vous pousse à toujours consommer plus. Appliquée au crédit social, à travers une interface proche d’un jeu, cette mécanique vous pousse à chercher toujours plus de points et possiblement d’aller bien au-delà de ce que vous pensiez. L’enjeu pour nous était de montrer que tout cela peut se passer avec beaucoup de douceur, à travers l’intelligence artificielle qui vous parle et semble vouloir votre bien.

On a même parfois du mal à aller contre la volonté de l’intelligence artificielle. Comment expliquez-vous qu’on recule ainsi nos seuils d’acceptation ?

Nous sommes habitués à obéir aux interfaces, à répondre à leurs injonctions. Cela active notre dopamine, l’hormone de la récompense. Et comme toute addiction, cela nous pousse à aller toujours plus loin pour avoir le même niveau de satisfaction. Il est difficile, mais pas impossible, d’avoir un rapport critique à cela et de rester maître de ce que nous faisons avec les machines qui nous entourent.

Dans MOA, nous jouons sur un temps très court sur ces réactions pour faire réfléchir et prendre du recul.

Quelle force la réalité augmentée ajoute-t-elle à ce propos ?

Comme la VR, la réalité augmentée a son lot de magie et de désirabilité. Plonger les utilisateurs dans cet univers est un moyen de susciter la curiosité, mais tout en leur proposant un contenu critique sur le conditionnement auquel cela peut conduire. Voir le futur ainsi incarné dans la vie quotidienne (prendre soin de son chat, retrouver des amis dans un bar), le rendre accessible, permet de se poser plus de questions qu’une démonstration théorique sur l’intelligence artificielle et ses conséquences. C’est une chose de savoir que ces nouvelles technologies sont potentiellement dangereuses, c’en est une autre d’en faire vraiment l’expérience. C’est sans doute l’un des aspects essentiels de la création numérique contemporaine : utiliser l’immersion pour questionner nos usages, travailler directement sur nos perceptions pour mieux comprendre ce qui est en jeu et proposer des alternatives, cela me semble plus important que jamais.

Un utilisateur de MOA (My Own Assistant) Red Corner- France Télévisions - La Volte - Le Clair Obscur - Le Forum des images -Small Studio - Chroniques - DR

 

Vous montrez une société où les rues, les espaces verts, les centres commerciaux ne sont pas accessibles à tout le monde, il faut être « premium » pour y accéder. Pensez-vous que ce futur de 2040 soit plausible ?

Cette vision appartient à Alain Damasio, bien sûr. Ce que je peux en dire, c’est que tout au long de notre production, nous nous sommes aperçus à quel point les outils et les usages sont très proches de ce qu’il décrit. Le crédit social existe en Chine. Les assistants vocaux se multiplient. L’insertion de publicités dans tous les aspects de notre vie est déjà en place. Nous savons que les nouvelles technologies sont des vecteurs forts d’inégalité et de fractures. Tout cela me semble plausible et rend d’autant plus urgente la nécessité d’en faire un usage critique, de réfléchir aux mécanismes qu’elles induisent. Et ultimement, dans notre cas, de continuer à proposer des contenus qui poussent à la prise de recul au cœur même des supports où tout cela a lieu : votre smartphone, vos plateformes de contenus et d’application.

Où et comment peut-on expérimenter MOA ?

MOA est disponible sur l’Apple Store et Googleplay, il suffit de la télécharger, elle est gratuite. Parallèlement à cette mise à disposition sur les stores, nous sommes en train de développer une campagne à part entière sur des lieux de diffusion, notamment à travers les réseaux de bibliothèques en France. Ces lieux nous semblent tout indiqués pour nous adresser au public le plus jeune, qu’il faut sensibiliser sur ces questions. Nous avons notamment reçu un accueil enthousiaste du réseau des bibliothèques de la Mairie de Paris et avançons sur la réalisation d’un kit de médiation pour mettre à disposition l’œuvre dans le plus grand nombre de structures en France.

MOA a reçu le Grand Prix du jury au dernier festival NewImages. Que représente cette récompense pour vous ?

On est d’abord très heureux qu’une compétition AR ait été ouverte pour la première fois cette année au NewImages [festival international de la création numérique et des mondes virtuels, NDLR], et très honorés que le jury, composé de métiers très différents, ait souhaité nous récompenser. Nous mesurons déjà la chance que nous avons de travailler sur ces expériences, aussi passionnantes qu’exigeantes en matière de conception et de diffusion. Lorsqu’elles sont reconnues, c’est autant d’encouragements à continuer ce travail d’exploration et de partage, qui me semble vraiment crucial dans une société numérique si difficile à déchiffrer.