Cinq influences filmiques du jeu vidéo « Immortality »

Cinq influences filmiques du jeu vidéo « Immortality »

14 novembre 2022
Jeu vidéo
« Immortality » de Sam Barlow.
« Immortality » de Sam Barlow. Half Mermaid Productions

Il y a quelques semaines sortait Immortality, le dernier projet de Sam Barlow à qui l’on doit déjà les jeux narratifs et interactifs Her Story et Telling Lies. Immortality utilise une fois de plus le FMV (Full motion vidéo – soit des scènes cinématiques tournées avec des acteurs réels), mais entend cette fois dialoguer directement avec le cinéma. Un jeu purement cinéphile, qui s’inspire de l’œuvre de quelques-uns des plus grands réalisateurs. Tour d’horizon.


Dans Immortality, le joueur est invité à résoudre une énigme : après avoir joué dans trois films – dont aucun n’est sorti – l’actrice fictive Marissa Marcel a mystérieusement disparu. Il faut reconstituer son destin à travers des extraits des trois longs métrages, des rushes ou des interviews, en cliquant sur les images en mouvement à la recherche d’indices qui mèneront eux-mêmes à d’autres clips. 

David Lynch

Certainement l’influence majeure d’Immortality qui pourrait être la plus belle lettre d’amour au réalisateur de Mulholland Drive. Sam Barlow, qui cite régulièrement Inland Empire en interview, lui emprunte son sens de l’étrange et nous propose en quelque sorte de créer notre propre montage « lynchien » du jeu : la structure narrative étant éparpillée et unique à chaque joueur, on cherchera à créer du sens dans les raccords d’images, et à remettre de l’ordre dans une histoire labyrinthique. Et si, dans le jeu, le film fictif Two of Everything (censé avoir été réalisé en 1999) semble avoir été tourné par David Lynch lui-même, ce n’est certainement pas un hasard : Barlow s’est entouré de Barry Gifford, l’écrivain derrière la saga Sailor et Lula et le co-scénariste de Lost Highway

Kiyoshi Kurosawa

Construit sur des forces contraires (le fantastique et l’intime, la mémoire et l’oubli, la destruction et la reconstruction…), Immortality est un jeu qui hante l’esprit longtemps après son générique de fin. Une volonté de Sam Barlow, qui cite volontiers Cure de Kiyoshi Kurosawa comme référence. Dans ce long métrage de 1997, un inspecteur enquête sur des meurtres et se retrouve face un suspect soi-disant amnésique. « Le genre de film qui n’explique pas assez de choses pour vous laisser tranquillement sortir du cinéma et rentrer chez vous. Le film continue en vous. Mes films d’horreur préférés ont en commun d’avoir quelque chose de légèrement dangereux. J’aime quand j’ai l’impression qu’ils ont laissé quelque chose dans mon cerveau. Je voulais tenter la même chose avec ce jeu, je voulais qu’il semble presque malveillant. ».

 

Alfred Hitchcock

Il y a bien sûr le thème de l’identité dissoute, le sens aigu du mystère et du cadre, la mécanique extrêmement précise du scénario et ce sentiment diffus de peur qui semble rôder sur chaque image… Mais Immortality cite encore plus directement Alfred Hitchcock à travers un personnage de réalisateur – celui du segment Ambrosio (censé avoir été achevé en 1968). On y retrouve un metteur en scène avec un certain embonpoint, simili Hitchcock qui avance entre perversité et perfectionnisme. Ne pas forcément y voir une critique du Maître du suspense, mais plutôt un pastiche, voire un hommage. Sam Barlow explique ainsi avoir « beaucoup emprunté à Hitchcock en faisant [ses] jeux. Parce que c’est un réalisateur qui avait compris que l’essence d’un film n’est pas son intrigue, pas plus que ses dialogues ou son histoire. Mais plutôt : ‘’Qu’est-ce qui se passe dans le cerveau du spectateur ?’’ Il jouait avec le public en lui donnant des bouts d’information savamment pensés, sachant très bien ce que le public désirait. Après, il pouvait le surprendre. » Soit, à peu de choses près, tout le mécanisme d’Immortality.

Stanley Kubrick

Sam Barlow a beau changer d’époque trois fois dans le jeu, l’ombre de Stanley Kubrick reste obstinément présente. Minsky, l’un des trois films d’Immortality, rappelle la Nouvelle Vague, mais en citant constamment l’esthétique baroque d’Orange Mécanique ou de Barry Lyndon. Sur Two of Everything, c’est Eyes Wide Shut qui joue en sourdine, avec une précision dans la composition des plans qui frise la maniaquerie kubrickienne. Et la mécanique même du gameplay, qui génère des raccords successifs d’images, permet parfois – et complètement aléatoirement – d’atteindre la grâce du match cut le plus connu de toute l’histoire du cinéma : celui de 2001, L’Odyssée de l’espace

 

 

Nicolas Roeg

L’inquiétude dans le hors champ, l’occultisme, la perte de repères, le désordre chronologique, le dédale mental… Difficile de ne pas penser au réalisateur anglais Nicolas Roeg en jouant à Immortality, et plus particulièrement à son chef-d’œuvre, Ne vous retournez pas (1973). Logique : Allan Scott, qui a écrit ce sublime et inquiétant giallo, est également au scénario du jeu. Sam Barlow voue un certain culte à Roeg, ainsi qu’à cette vague de cinéastes britanniques, qui dans les années 70 ont fait bouger les lignes esthétiques. Parmi eux, Ken Russell, Peter Greenaway ou Derek Jarman. « Ils ne faisaient peut-être pas forcément des films parfaits, par contre ils ne retenaient pas leurs coups. Ils y allaient toujours à fond pour tenter de créer des visions qui faisaient sens pour eux, avec un sens du désordre et de l’extravagance qui me semble très humain », assure le créateur d’Immortality.

Immortality, est disponible sur PC, Mac et Xbox.