Angela Soupe (HP) : "A aucun moment nous ne devions nous moquer des patients"

Angela Soupe (HP) : "A aucun moment nous ne devions nous moquer des patients"

12 décembre 2018
Séries et TV
HP
HP OCS - Lincoln TV

Lauréate du Prix de la meilleure série format 26 mn au dernier Festival de la Fiction TV de La Rochelle, HP suit les premiers pas de Sheila, une jeune interne, au sein d’un hôpital psychiatrique. Lancée le 6 décembre dernier sur OCS Max, la série, dépeignant un univers qui peut être anxiogène, arrive pourtant à garder une certaine légèreté. Angela Soupe, co-créatrice et coscénariste de HP, revient pour le CNC sur ce ton oscillant entre gravité et légèreté pour traiter de la folie.


Pourquoi avoir choisi de mettre le quotidien d’un hôpital psychiatrique en lumière ?
C’était une double envie de Sarah Santamaria-Mertens, ma coscénariste, et moi. Elle avait depuis longtemps envie de faire quelque chose autour de l’hôpital psychiatrique car, lorsqu’elle était adolescente, elle avait des amies internées. Elle s’est longtemps demandé : « Pourquoi elles et pas moi ? ». De mon côté, l’idée est née à l’époque où nous étions à la Fémis (École nationale supérieure des métiers de l'image et du son ndlr). Nous cherchions notre projet de fin d’étude. Le soir de Noël, ma belle-sœur, qui était interne en psychiatrie, m’a raconté sa journée. Elle avait une patiente se prenant pour Beyoncé, un autre qui ne lui parlait qu’avec ses pieds et le soir-même elle avait décroché un pendu. Ce manège émotionnel très intense m’a attirée. J’ai trouvé fascinant le fait de passer du rire aux larmes en permanence, de façon très violente. Je me suis dit : « Cette fille est une héroïne et il faut écrire sur elle ». Nous étions la première promotion « création de séries TV » de la Fémis. Nous n’imaginions pas du tout que l’on puisse vendre nos projets. HP est vraiment un exercice de style. Nous ne l’avons pas écrit en nous disant : « On va le vendre à telle ou telle chaîne ». Il n’y avait vraiment aucune autocensure.

C’est un sujet assez lourd. Pourquoi avoir choisi de le traiter avec un ton plutôt léger ?
Nous n’avons pas décidé de faire une comédie sur un hôpital psychiatrique ou de traiter le projet avec légèreté. Nous avons enquêté pour savoir ce qu’était « être interne en HP ». Nous avons interviewé une dizaine d’entre eux. Ils nous parlaient tous de leur vie professionnelle de manière extrêmement drôle. Ils avaient tous cette légèreté, qui est sans doute une stratégie de défense, et cet humour. Le ton s’est donc imposé naturellement. Nous avons juste fait un univers tel qu’il nous a été décrit. Nous voulions faire quelque chose de réaliste. Lorsqu’on est du côté du personnel médical, c’est un univers plein de fantaisie et d’humour. Je suis une grande fan de séries médicales. Mais dans la plupart des séries françaises - je ne parle pas d’Hippocrate -, les médecins sont toujours dépeints d’une manière très « premier degré », comme des gens qui ne rient jamais, qui parlent tout le temps très sérieusement. Quand on décrit la réalité, c’est en fait un terrain de comédie. Ils se servent également beaucoup de l’humour avec les patients et pour décompresser entre eux. Nous avons été suivies tout au long de l’écriture par un interne qui vérifiait tout ce qu’on écrivait. La plupart des anecdotes de la série sont celles qu’il nous a racontées.

Le fait d’être trois scénaristes (Angela Soupe, Sarah Santamaria-Mertens et Camille Rosset), a-t-il aidé à ne pas tomber dans la caricature et la moquerie ?
Oui, il y en avait toujours une qui levait la main quand elle trouvait qu’on déviait du chemin. Nous avons fait très attention à ça. A aucun moment nous ne devions nous moquer des patients. Quand on se moque dans la série, c’est envers les soignants. Les névroses des patients font rire mais ce n’est pas de la moquerie. On sourit de l’univers, on s’amuse de ce qu’il s’y passe avec beaucoup de tendresse mais on ne fait pas non plus l’économie du drame. On décrit les choses telles qu’elles sont. Le fait de rester au plus près de la réalité a aidé également. La scène avec des assistantes sociales dans l’épisode 3 est le seul moment où nous sommes sorties de la réalité. Mais nous ne visions pas les patients donc nous pouvions nous permettre d’être burlesques. On nous a raconté l’anecdote du tigre, loué pour une soirée, qui s’échappe dans l’hôpital. C’était dans un service de cancérologie et les internes ont fait croire aux patients qu’ils avaient eu des hallucinations… Mettre cette anecdote du tigre au début était une manière de faire entrer dans la série d’une manière plus légère. Nous sommes dans la fantaisie de l’hôpital qui est une sorte de terrain de jeu pour les internes.

Les internes et soignants de HP ont tous des failles et des névroses. Les montrer est-il un moyen d’alléger le côté anxiogène du sujet en montrant que les patients ne sont pas les seuls concernés ?
C’est un constat auquel nous sommes arrivées en faisant les interviews : on ne devient pas psy par hasard. Les personnes qui tiennent en psychiatrie sont celles qui ont une faille qu’elles n’ont pas pu combler, quelqu’un de leur entourage qu’elles n’ont pas pu sauver… C’est le point commun de tous les internes rencontrés. On ne reste pas psychiatre s’il n’y a pas une vocation chevillée au corps qui vient souvent d’un drame dans l’enfance ou l’adolescence. Eux-mêmes ont des fêlures qui leur permettent de comprendre celles des autres.