« Banksy Wanted » portrait d’un artiste phénomène

« Banksy Wanted » portrait d’un artiste phénomène

29 janvier 2021
Séries et TV
Banksy Wanted réalisé par Aurélia Rouvier, Seamus Haley et Laurent Richard
Banksy Wanted réalisé par Aurélia Rouvier, Seamus Haley et Laurent Richard Scarlett Productions/Cross Borders Films/Canal+
La réalisatrice Aurélia Rouvier raconte les coulisses du documentaire qu’elle a tourné avec Seamus Haley et Laurent Richard, autour de l’énigme Banksy, artiste engagé dont l’anonymat engendre une fascination qui s’étend au-delà de son œuvre.

Pourquoi avez-vous eu envie de tourner un documentaire sur Banksy ?

Je me suis d’abord intéressée à l’anonymat dans l’art. J’avais un projet global en tête. Banksy était un élément parmi d’autres. C’est ce qui a nourri ma réflexion pendant une année, autour de 2018. Et puis je me suis aperçue qu’à lui seul, Banksy permettait de questionner pas mal de choses. C’est vraiment sa posture d’artiste anonyme qui m’a fascinée, comment elle résonne par rapport à l’époque actuelle, dans cette course au tout à l’ego. Et puis on n’a jamais vu de « street artist », générer autant de passion de la part de gens très divers. Il réactive un contact immédiat avec l’œuvre d’art en général, qu’on a peut-être perdu. Dans le même temps, le blanc qu’il a installé autour de son identité, malgré la mise en scène et le fait qu’il en joue, a laissé beaucoup de place à notre interprétation personnelle. Et je crois que les gens investissent cet espace libre. On était surpris de voir à quel point certains avaient développé une relation intime ou passionnelle avec Banksy, sans même l’avoir connu personnellement. On a été très intéressés par la manière dont les gens se sont approprié son œuvre, son histoire, sa mythologie.

Pour le tournage, vous avez interrogé beaucoup de gens, un peu partout dans le monde. Quel était votre angle d’approche ?

L’anonymat, d’abord et avant tout. Après, il y a plusieurs camps autour de Banksy. Des camps qui s’affrontent. Certains font tout pour que son anonymat reste entier et d’autres, au contraire, font tout pour le révéler. Il y avait donc à la fois ce fil rouge de la traque, qui était pour nous un élément narratif assez fort, à suspense, et autour de ça, on avait l’envie de raconter un artiste, sa carrière et la manière dont il est devenu un phénomène. On voulait raconter son ascension depuis Bristol, jusqu’à aujourd’hui, ses combats, son militantisme. Il y a aussi ce scénario de fiction autour de la quête de son identité, qui permet de nourrir le mythe. Ces deux fils se croisaient, ils ont dicté le tournage. Et à partir de là, on est partis en repérage.

Vous avez notamment rencontré l’ancien agent de Banksy, Steve Lazarides. Il est l’un des seuls à connaître la vérité ?

Non, pas vraiment. C’est quelqu’un qui a la nostalgie de cette époque et qui en parle très facilement. Le plus compliqué pour moi, ce fut les premiers contacts à Bristol, avec des gens qui sont sans doute assez proches de Banksy par la géographie et les réseaux qu’ils ont fréquentés. Ces gens-là étaient très méfiants, parce que l’anonymat fait peur, ils craignaient de révéler quelque chose qu’il n’aurait pas fallu exposer... Ce fut aussi un peu compliqué de faire parler de leurs pistes les journalistes qui enquêtent de leur côté.

Qu’est-ce qui est compliqué quand on tourne un documentaire autour de Banksy ? De savoir, dès le départ, qu’il n’y aura pas de réponse au mystère ?

Non parce qu’en réalité, on n’a pas véritablement envie de savoir. Il y a un côté excitant de partir à la recherche d’un mystère comme Banksy. C’est vrai qu’on peut être grisé par la perspective de trouver des traces, des preuves. Mais à un moment, il faut savoir pourquoi on fait ce documentaire. L’idée était vraiment de questionner ceux qui ont cru nécessaire et important de mettre un nom sur un artiste. Juste un artiste. Et en fil rouge, il y a cette question qu’on se pose tous : ai-je vraiment besoin de mettre un visage sur une icône ? Est-ce vraiment nécessaire ?


 

Est-ce que Banksy aurait le même impact, si on connaissait son identité ?

Je ne crois pas, effectivement. D’autant qu’à mon avis, son vrai nom a déjà pu sortir à la suite de certaines enquêtes. Mais on continue à dire qu’il est anonyme. Je pense qu’il y a quelque chose de plus fort qui l’emporte. Je crois qu’il demeure une envie qu’il reste inconnu.

Votre documentaire met largement en avant l’aspect engagé de l’artiste. C’est sa facette la plus prégnante ?

J’ai le sentiment que c’est le cas, oui. À la fois par l’accessibilité et le large public qu’il touche. C’est quelqu’un qui avait vraiment envie de sortir l’art des galeries et qui s’y est tenu. On voit pas mal de « street artists » qui décrochent et finissent par rentrer dans le circuit officiel, pour acquérir une certaine crédibilité qu’ils n’arrivent pas à avoir en restant dans la rue. On sent que Banksy continue encore et encore à chercher sa crédibilité de « street artist » dans la rue. Je pense qu’il a gardé son envie de rester populaire. Quand on va voir les œuvres qu’il a graffées, à Londres par exemple, c’est dans des quartiers, dans des endroits où il force les gens à le suivre. La dimension antisystème est forte chez lui.

Le film fait aussi un tour complet de l’œuvre de Banksy, qu’on connaît assez peu finalement.

C’était très important. Il ne fallait pas que ce soit un documentaire qui s’adresse à des spécialistes. Et honnêtement, à titre personnel, il y a plein de choses que j’ai découvertes en travaillant sur lui. Pour un artiste qui a voulu que son œuvre passe avant lui, son anonymat lui a un peu joué des tours. Le mystère Banksy a pris le dessus.

Vous abordez quelques-unes des théories qui ont cours à son sujet. Quelle est celle qui vous parle le plus ?

Celle qui suggère qu’il y a plusieurs personnes derrière Banksy a le plus de sens à mes yeux. Parce que c’est forcément ça, dans le fond. Même s’il y a un artiste, au départ, qui a eu l’idée, je ne crois pas qu’il a pu se passer d’une équipe autour de lui. Je pense qu’il doit avoir des « cellules » dans chaque ville, des gens capables de repérer des lieux pour lui, d’aller graffer à partir de pochoirs ou de plans qu’il aurait envoyés... Après, j’adore aussi la théorie selon laquelle il serait le leader de Massive Attack. Il y a un fantasme hyper fort derrière qui raccroche Banksy à un autre artiste antisystème...

À la fin du tournage, est-ce que vous avez fini, vous aussi, par avoir une idée de qui est Banksy ?

Je pense avoir une idée, mais sans certitude. Je n’ai pas cherché à vérifier les preuves ou quoi que ce soit, parce que ce n’était pas le but... Mais j’ai une idée, oui.

Banksy Wanted
Réalisé par Aurélia Rouvier, Seamus Haley et Laurent Richard
Produit par Léa Gabrié et Laurent Richard
Musique composée par Thomas Carteron
Par Scarlett Productions, Cross Borders Films, Canal+

Ce documentaire, disponible sur MyCanal, a été soutenu par le CNC et sera en compétition au Fipadoc 2021 (section « Panorama de la création francophone »).