Depuis 1989, les Etats Généraux de Lussas s’est imposé comme le rendez-vous incontournable du documentaire. Mais que représente cet événement pour vous ?
J'ai toujours adoré Lussas pour son côté « université d'été » du documentaire bien sûr, mais aussi parce que l'économie du documentaire réussit à faire vivre quarante personnes à l'année dans le village. Ce lieu est unique au monde. J’y suis venue la première fois en 1995 pour présenter Coûte que coûte et, depuis, la plupart de mes films y ont été projetés. Lussas est le type même du festival où on découvre toujours des choses auxquelles on ne s’attend pas.
C’est ce festival qui est à l’origine du Village ?
Non. Le Village n’est pas plus une série sur le festival que Le Concours n’était un documentaire sur la FEMIS. L’idée de ce projet est née le jour où j’ai appris que Jean-Marie Barbe, fondateur des Etats Généraux, avait envie d’écrire une nouvelle page de l’aventure Lussas. Jean-Marie est né dans ce village où ses parents tenaient une épicerie. Il a d’abord créé ce festival puis une vidéothèque - la plus importante au monde en termes de documentaires - avant de développer un Master avec l’Université de Grenoble puis de produire des films en parallèle. Sa nouvelle ambition était double : créer Tënk, une plateforme dédiée aux documentaires d’auteur et construire un bâtiment pour regrouper toutes ses activités dans un même lieu. J’ai eu envie de suivre le combat de cet entrepreneur qui, au-delà des activités liées au festival, veut faire entrer son village dans la modernité. Avec cette question centrale : est-ce qu’un village peut être aujourd’hui autre chose qu’un lieu déserté ou touristique ? Voilà pourquoi le festival ne tient qu’un infime rôle dans cette série que je vois, toutes proportions gardées évidemment, comme une version campagnarde de Citizen Kane (rires). Il y est question du rapport au travail dans des mondes qui changent et à l’intérieur desquels existent - en agriculture comme dans le documentaire - des oppositions entre les partisans des méthodes anciennes et ceux qui s’appuient sur les nouvelles. L’arc de ce projet va du numérique au béton.
Vous l’avez conçu dès le début sous la forme d’une série et non d’un film ?
Oui. Car je savais que le récit devait aller jusqu’au terme de la construction (unique au monde) de ce bâtiment dédié au cinéma documentaire qui provoque une vraie transformation dans la vie du village. Je voulais raconter cette métamorphose sur la durée, ainsi que les mille et un récits au cœur de ce récit principal. Tout ceci ne pouvait exister que sous la forme d’une série.
Combien de temps a duré le tournage ?
Je me suis lancée sans avoir le financement. Sinon, j’aurais passé deux ans de ma vie à essayer de convaincre les chaînes de télé avant de me rendre compte, une fois le feu vert accordé, que mon idée de départ avait perdu tout intérêt ! Je suis donc partie à la sauvage et le tournage s’est étalé d’août 2015 à décembre 2018, suivi par un an et demi de montage avec cette idée de terminer sur les agriculteurs venant visiter le bâtiment et comprenant enfin concrètement le travail des documentaristes. A ce moment-là, les deux mondes se rencontraient enfin.
Votre série sera présente sur Tënk en octobre. En quoi cette plate-forme change-t-elle la donne dans le monde du documentaire ?
C’est une plate-forme S-VOD très éditorialisée. L’idée n’est pas d’établir un catalogue de référence mais au contraire d’avoir une programmation tournante pour que le plus de films possibles soient accessibles et mis en valeur. C’est comme un continent de cinéma qui apparaîtrait après avoir longtemps été invisible. Pour moi, il s’agit d’une révolution !