Comment Jean-Xavier de Lestrade a réalisé la série Jeux d’influence

Comment Jean-Xavier de Lestrade a réalisé la série Jeux d’influence

13 juin 2019
Séries et TV
Jeux d'influence
Jeux d'influence Whats'Up Films

Jean-Xavier de Lestrade, oscarisé en 2002 pour son documentaire Un Coupable idéal, signe une mini-série Arte politique et engagée contre les pesticides. Un travail récompensé au Festival de La Rochelle en 2018.


Pourquoi est-ce que vous avez eu envie de vous attaquer au sujet des pesticides, des lobbies et des multinationales de l'agrochimie ?

L'idée ce n'était pas tant de parler des pesticides, mais plutôt de faire une fiction sur le monde politique et celui des lobbies. Essayer de savoir ce qui se passe dans ce milieu un peu opaque. Et à partir de là, il fallait trouver une toile de fond, une sorte d'arène. Et assez vite s'est imposé l'univers agricole, celui des pesticides. Parce que parler des lobbies, ça peut être quelque chose d'un peu ardu de prime abord, alors on a voulu y accoler une thématique de santé publique, quelque chose qui touche tout le monde en quelque sorte. Ce dont on parle est un peu complexe, mais c'est quelque chose qui concerne directement les téléspectateurs. D'autant plus que moi, à titre personnel, j'ai grandi dans une ferme. Mes parents étaient agriculteurs. C'est un milieu que je connais bien. J'ai vécu l'arrivée de la mécanisation, des pesticides dans l'agriculture. J'en ai été témoin. Du coup, je me suis senti assez à l'aise pour en parler.

Vous diriez que c'est une série engagée ? Il y a un vrai parti pris...

Oui... Parce qu'en fait, on nous ment ! On nous raconte des histoires. Et les lobbies sont un rouage essentiel dans la fabrication de ce mensonge. Ce sont d'énormes machines à distiller du doute. Vous croyez avoir des certitudes concernant des choses dangereuses pour la santé. On ne va pas vous répondre que c'est bon, mais on va vous répondre qu'il ne faut pas penser comme ça, que ce n'est pas aussi nocif, qu'utilisé à toute petite dose, avec des gants, avec des masques etc... On nous dit que cela n'a aucune conséquence sur notre santé. C'est ce mensonge-là qu'on veut dénoncer. Celui qui sape toutes nos certitudes.

Il y a d'ailleurs un scientifique, qui intervient dans les premiers épisodes, pour dire que le « Limithrol » (la molécule mise en cause dans la série) n'est pas vraiment dangereux, qu'il a fait des études sur le sujet, que ce n'est pas aussi simple...

Les lobbies ou les grandes multinationales vont toujours réussir à trouver des scientifiques qui vont soutenir la thèse défendue par l'industriel. Ce personnage de scientifique est inspiré d'un cas réel : un scientifique dont l’étude avait été dénoncée dans une tribune par 60 scientifiques de renom. On vit dans un monde de communication, gouverné par le « storytelling ». Et pour fabriquer des histoires, les lobbies sont des machines extrêmement efficaces.

Avoir été couronné au festival de la Rochelle, en 2018, au-delà de la joie que cela procure, vous l'avez vécu comme une sorte de validation ?

C'est toujours très agréable d'avoir un prix, cette reconnaissance-là de la part de la profession. Maintenant, je pense que ce prix récompensait la qualité de la série en elle-même, plus que le fond.

Quand on tourne une telle fiction, on se dit qu'on a une responsabilité ?

Moi qui viens du documentaire, j'ai toujours envie de raconter des choses qui ont du sens. De manière divertissante. Parce qu'il faut que ça ait une valeur distrayante pour les gens. Donc on y met du thriller, de la tension, de l'émotion... Mais en même temps, j'ai envie de raconter des histoires très fortes, sur ce que c'est que le courage, le sens de l'engagement, le sens des responsabilités. J'ai envie de dire au public : Attention, il faut avoir un sens critique extrêmement aiguisé sur ce qu'on nous raconte. Il faut arriver à se forger soi-même une idée sur les choses. C'est ça le plus important.

Votre réalisation a quelque chose de l'ordre du documentaire d'ailleurs, dans la manière dont vous amenez les choses, dans cette manière de décrire méticuleusement les rapports entre politiques, grandes industries, ces cabinets intermédiaires...

Je voulais effectivement qu'on soit au plus près de la réalité, être le plus crédible possible. Dire aux téléspectateurs : ce que vous regardez est une fiction, mais c'est une fiction très documentée. Voilà comment ça se passe. Même s'il y a quelques raccourcis, dans la procédure parlementaire notamment, il y a cet esprit-là.

Comment est-ce que vous avez travaillé pour décrire avec précision cette réalité justement ?

Il y a un gros travail d'enquête, en amont, comme un travail de journaliste ou de documentariste. On a beaucoup lu. Il y a eu quelques procès aux États-Unis, contre Monsanto notamment, qui ont permis l'ouverture au public de documents restés secrets pendant des années. Là, on a des sources assez extraordinaires, pour voir comment ont procédé les lobbies qui ont travaillé pour Monsanto, au début des années 2000. Et ensuite, on a rencontré des députés, des attachés parlementaires, des gens qui ont travaillé pour des cabinets de lobby et qui nous ont raconté des choses...

Jeux d'influence, sur Arte – 6 épisodes – Diffusion les jeudis 13, 20 et 27 juin 2019.