« Eden », une fiction ancrée dans le réel

« Eden », une fiction ancrée dans le réel

29 avril 2019
Séries et TV
Eden
Eden Pierre Meursaut - DR
Diffusée les 2 et 9 mai prochain sur Arte, la série Eden met en lumière cinq destins parallèles, liés à la crise des réfugiés. Mais comment les scénaristes ont travaillé pour ancrer la série dans le réel ? Explications avec Dominik Moll, qui a réalisé et co-scénarisé Eden.

Comment s’est passée l’écriture de la série ?

A l’origine, la série devait être tournée par le réalisateur allemand Edward Berger. Sous sa direction, un premier groupe de scénaristes a mis en place le principe d’un récit choral. Mais lorsque Berger a quitté Eden et que j’ai été approché pour reprendre le projet, j’ai trouvé les textes existants peu satisfaisants, notamment parce que je sentais que le travail manquait de documentation, et qu’on n’était pas assez proche des personnages. Tout en gardant le principe des cinq histoires parallèles, il y a donc eu une réécriture assez conséquente, avec une nouvelle équipe de scénaristes formée par Constantin Lieb, Pierre Linhart, Felix von Boehm et moi-même.

Comment s’est concrétisé ce travail de recherche ?

Il y a eu des lectures bien sûr (notamment The New Odyssey du journaliste anglais Patrick Kingsley), mais aussi de la documentation de terrain, notamment en Grèce où nous avons visité les camps de réfugiés autour d’Athènes, rencontré les gérants appointés par le gouvernement grec, les membres des ONG qui interviennent dans ces camps, et des réfugiés bien sûr. Les échanges avec les comédiens syriens ont également été primordiaux. Ils sont eux-mêmes en situation d’exil en France, après avoir été obligés de fuir le régime de Bachar el-Assad. L’un d’entre eux, Jalal Altawil, a été aux avant-postes de la révolution syrienne et a connu la prison et la torture. Son témoignage nous a beaucoup aidés à construire l’histoire de la famille syrienne à Paris.

Qu’en est-il de la gestion privée des camps, cela existe-t-il vraiment ?

Pas en Grèce, où tous les camps sont sous le contrôle du gouvernement, mais dans d’autres pays d’Europe oui, notamment en Italie ou en Suède. C’est pour cela que le camp géré par Hélène, le personnage incarné par Sylvie Testud, est présenté comme une expérimentation. Elle a convaincu le gouvernement grec de lui confier la gestion de ce camp et elle espère obtenir le feu vert de Bruxelles et du gouvernement grec pour en ouvrir d’autres. Il nous semblait important d’aborder l’aspect financier et économique de la crise des réfugiés, et pas seulement l’aspect humain, même si celui-ci est déjà suffisamment riche et passionnant en soi.

Y avait-il un risque de faire un film à thèses ?

C’est ce que nous voulions éviter à tout prix. Ce qui nous intéressait était de raconter quelques destins individuels liés à cette crise migratoire, de mettre des visages sur ce terme anonyme de « réfugiés », de nous les rendre plus proches. Mais aussi de montrer la complexité de la situation, par exemple à travers cette famille allemande qui accueille un jeune Syrien. Elle a les meilleures intentions du monde mais la présence du jeune homme s’avère plus compliquée à gérer que prévu. Ce n’est qu’à travers les histoires individuelles qu’on peut arriver à montrer cette complexité, même si Eden est bien sûr loin d’être exhaustif sur le sujet. Mais au moins pouvons-nous ouvrir quelques petites fenêtres pour sensibiliser les téléspectateurs à ce sujet, et surtout aux destins souvent dramatiques de toutes ces personnes. Je pense que rien qu’en faisant cela, Eden est de fait une série politique.

Le tournage s’est déroulé en plusieurs langues et dans plusieurs pays dont la Grèce, la France et l’Allemagne. Pourquoi ?

La crise des réfugiés a des répercussions sur beaucoup de pays. Nous voulions parler de l’Europe, pas seulement de la France ou de l’Allemagne. C’est pour cela que le tournage en Grèce était important, parce que ce pays est aux portes de l’Europe, que beaucoup de réfugiés restent confinés là-bas, notamment depuis la fermeture de la route des Balkans et des accords entre l’UE et la Turquie. Et la multiplicité des langues fait aussi partie du sujet : les réfugiés viennent de pays différents, et ne comprennent pas forcément la langue des pays où ils arrivent.

Est-ce que cet aspect a compliqué les choses pour vous au niveau de la réalisation ?

Je me suis bien sûr demandé comment allait se passer le tournage dans des langues que je ne maitrisais pas, notamment le grec et l’arabe syrien. Mais dans la pratique, ce n’était pas si compliqué et même plutôt passionnant. L’important est d’avoir une langue commune (l’anglais ou le français) pour pouvoir échanger avec les comédiens. On s’habitue très vite à la musicalité de la langue, et on se rend assez facilement compte si le ton est juste et si l’émotion passe, surtout quand on a la chance de travailler avec des comédiens aussi talentueux.

La série Eden est ancrée dans le réel mais avec des aspects de thriller. Pourquoi ?

Parce qu’Eden est une fiction. La phase de documentation était une étape primordiale, pour savoir de quoi on parlait, et nous aider à construire une intrigue cohérente. Mais c’est par la fiction que nous essayons d’intéresser le spectateur à ce sujet. Il faut donc utiliser tout ce qu’elle offre pour créer de la tension, de l’émotion, pour faire entrer le spectateur dans ces histoires et les construire d’une telle façon qu’il ait envie de les suivre jusqu’au bout.

Eden est soutenue par le fonds d’aide franco-allemand au co-développement de séries audiovisuelles de fiction du CNC.