La « British Touch » des séries anglaises : « une forme de radicalité populaire »

La « British Touch » des séries anglaises : « une forme de radicalité populaire »

22 juillet 2022
Séries et TV
« British Touch » d'Olivier Joyard aborde ce qui fait l'excellence des séries outre-Manche.
« British Touch » d'Olivier Joyard aborde ce qui fait l'excellence des séries outre-Manche. Canal +

Elles en imposent sur le petit écran depuis des décennies. Encensées, adorées, honorées, les séries britanniques ont ce petit quelque chose en plus qu’Olivier Joyard a cherché à expliquer à travers un documentaire édifiant intitulé British Touch, visible en ce moment sur myCANAL.


Est-ce de votre passion pour les séries britanniques qu’est née l’envie de faire ce documentaire ?

Ma passion pour les séries britanniques a mis un peu de temps à venir en fait. Parce que j’ai un tropisme très fort pour le cinéma américain en général. Historiquement, j’étais donc plutôt du côté des séries américaines... Et puis, petit à petit, j’ai découvert l’ampleur de la production sérielle en Grande-Bretagne. Et ça a été un choc ! Depuis le début du petit écran, seuls les Anglais sont parvenus à se positionner face aux Américains. Cela fait soixante-dix ou quatre-vingts ans qu’ils font de très bonnes séries, à leur manière. Il s’agit d’un vrai contre-modèle. Donc, j’ai eu envie de creuser cette idée et de montrer que les séries anglaises sont peut-être aujourd’hui plus pertinentes que les séries américaines.

Qu’est-ce que vous avez appris en réalisant British Touch ?

En parlant aux intervenants, en allant à Londres et Bristol, les principaux lieux où j’ai tourné, j’ai surtout eu la confirmation que la grande différence entre l’Angleterre et les autres pays, c’est le rapport qu’entretiennent les Britanniques à la culture populaire. On le sent tout de suite en discutant avec les gens. La notion de hiérarchisation de la culture est beaucoup moins prononcée outre-Manche. Il n’y a pas autant cette idée de « haute culture » et de « basse culture ». Que ce soient les auteurs, les autrices, les producteurs, les productrices, tous ceux et celles qui font la télévision, il y a toujours cette même façon d’aimer autant Doctor Who que Fleabag (NDLR : objet d’un remake français, Mouche par Jeanne Henry) ! Ils n’ont pas un rapport élitiste aux choses. Surtout, la télévision a été prise au sérieux très vite. C’est un phénomène sociétal qui s’illustre totalement dans les décisions prises en matière de politique culturelle, comme la création de la BBC, qui a façonné cette idée que ce qui s’adresse au plus grand nombre doit être aussi exigeant que ce qui s’adresse à un public plus restreint.

Quel est le rapport des Anglais avec la télévision ?

Le créateur de Peaky Blinders, Steven Knight, m’expliquait cela : il n’y a pas de repas commun dans le foyer le soir en Angleterre. Pas de dîner familial en gros. Alors tout se passe un peu devant la télévision. Le créateur de Skins, Bryan Elsley, me parlait ainsi de ses rendez-vous quotidiens, avec sa mère, devant des « soaps » comme Coronation Street. On n’a pas les mêmes rituels en France.

Et puis la hiérarchie des classes et les problèmes qu’elle engendre constituent un ciment de la société.

C’est aussi pour cela que les séries sont en même temps populaires et spectaculaires : elles touchent toujours à quelque chose d’extrêmement vivace dans la société britannique.

Vous notez dans le documentaire qu’il n’existe pas d’antagonisme entre petit et grand écran outre-Manche...

Si l’on veut être provocateur, on peut dire que c’est peut-être parce que le cinéma britannique, pendant longtemps, n’était pas vraiment à la hauteur. C’est ce que disait François Truffaut par exemple, qui trouvait que les mots « cinéma » et « Angleterre » n’allaient pas ensemble ! Bien sûr, c’est excessif et il y a des films anglais géniaux... Mais ce qui est vrai, c’est qu’il y a très tôt eu de la place pour la télévision. Ce n’était pas le cas en France pendant longtemps. Culturellement, il y avait une hiérarchie très forte, comme cela a pu exister aux États-Unis également. En Angleterre, cette hiérarchie était beaucoup plus floue. D’ailleurs, des cinéastes comme Ken Loach ou Mike Leigh ont commencé sur la BBC. À partir de ce moment-là, difficile de se dire qu’il ne faut pas s’y aventurer...

Les acteurs et actrices britanniques sont partout, au cinéma ou à la télévision, même à Hollywood. Cela fait partie de la « British Touch » ?

Les comédiens et comédiennes anglais sont vraiment l’incarnation de cette « British Touch ». Ils doivent être prêts pour tout. Être capables de jouer au théâtre, dans des films, des blockbusters hollywoodiens, et en même temps, dans des séries. Dans la façon dont ils sont formés, il y a cette idée d’être passe-partout. De tout faire à fond. Il y a chez eux une éthique de travail impressionnante. Une partie importante de mon documentaire y est consacrée. On sait tous qu’il y a de grands acteurs anglais, mais on sait moins qu’ils trustent de nombreux rôles dans les séries américaines. Et ça ne vient pas de nulle part. Quand on va dans les écoles d’art dramatique anglaises, comme je l’ai fait pour mon documentaire, on comprend que les jeunes comédiens se sentent héritiers de cette tradition et qu’ils savent que leur terrain de jeu sera le monde entier, et toutes les formes d’expression possibles. Il y a en eux une ouverture d’esprit puissante.

 

Qu’est-ce qui fait la spécificité du génie sériel britannique ?

J’ai le sentiment qu’ils ne font jamais de séries pour faire plaisir au public. Ça part toujours de quelque chose de fort, que ce soit une colère, un désir ou autre sentiment. Comme I May Destroy You (2020) de Michaela Coel. Ce sont des cris, en quelque sorte, qui ne peuvent exister que là-bas. C’est un peuple qui s’autorise à penser que leur intimité est universelle. Ensuite, l’autre spécificité, c’est la qualité de l’écriture. Si la réalisation est toujours très illustrative, c’est qu’il y a en Angleterre une culture de l’image qui accompagne l’écrit. Et pas l’inverse. On laisse les auteurs et les autrices s’exprimer, de façon dangereuse en un sens. Quitte à donner quelque chose d’un peu tranchant... Dans d’autres pays, ce serait compliqué d’avoir une telle confiance dans les scénaristes.

Pendant longtemps, le modèle anglais se basait sur ce concept : « éduquer et divertir ». Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?

Je pense que ça existe toujours... Mais dans le fond, on n’a jamais perdu de vue l’ambition artistique et le discours social. Je me souviens de cette minisérie, Three Girls (2017), basée sur un fait divers, qui parlait de viol, du consentement et du système judiciaire, et qui était surtout, en substance, une série racontant le rapport entre les hommes et les femmes dans un petit quartier anglais. Il y avait quelque chose de très incarné. C’est souvent le cas.

I May Destroy You a une portée éducative contre le viol, mais en même temps, c’est une sorte de déflagration politique...

Quelle serait la meilleure série britannique selon vous ?

La première série anglaise marquante, c’est Le Prisonnier, en 1967. C’est celle qui a traversé les époques et qui reste toujours très pertinente aujourd’hui. Sinon, plus récemment, je dirais Fleabag !

Finalement, en un mot, c’est quoi la « British Touch » ?

Je crois que c’est une sorte de radicalité populaire. Une forme de contradiction assumée.

British Touch

Réalisation et écriture : Olivier Joyard.
Photographie : Julien Pamart et Julien Gidoin.
Montage : Cécile Husson et Olivia Chiche. 
Production : Empreinte Digitale. 
Diffusion : Canal + Séries 

British Touch a bénéficié du Fonds de soutien audiovisuel (FSA) du CNC.