« Les Damnés de la Commune » : du roman graphique au film

« Les Damnés de la Commune » : du roman graphique au film

08 novembre 2022
Séries et TV
Les Damnés de la Commune - Gambetta prend les airs - Cinétévé - Arte France
"Les Damnés de la Commune" Cinétévé - Arte France

Auréolé du prix du public au festival Vrai de Vrai au Forum des images ce week-end, Les Damnés de la Commune raconte tout en animation l'épopée singulière de la Commune de Paris (18 mars-28 mai 1871). Un film de Raphaël Meyssan, construit autour de gravures d'époque et adapté de son roman graphique, dans lequel l’auteur et réalisateur conjugue documentaire, narration, petite et grande histoires. 


« Les Damnés de la Commune » est, à l’origine, un roman graphique en trois tomes publiés entre 2017 et 2019. À partir de quelle matière aviez-vous travaillé et comment l’aviez-vous collectée et utilisée ?

Raphaël Meyssan AlphaRé
J’ai commencé en faisant des recherches d’archives sur la Commune de Paris. C’est là que j’ai rencontré autre chose que des archives, c’est-à-dire des gravures datant de cette époque. Un déclic. Ces images étaient très nombreuses et je me suis dit qu’à partir de celles-ci, je pourrais sans doute faire une bande dessinée avec uniquement des dessins du XIXe siècle, sans ajouter de dessins actuels. J’ai collecté patiemment, année après année, les livres et journaux de l’époque chez des libraires spécialisés, dans des vide-greniers, chez Emmaüs…  J’ai maintenant une collection très importante de journaux et livres de cette période, que j’ai numérisés en haute définition. En tout, cela représente des milliers de documents.
Comment est né le projet d’adaptation de ces romans graphiques en film pour la télévision ?

L’idée germait dans ma tête, mais tout est parti d’une rencontre : celle de la productrice Fabienne Servan-Schreiber, qui a adoré les livres et m’a fait part de son désir de les adapter. J’avais de mon côté envie d’écrire le scénario et de réaliser le film, alors que je n’avais aucune expérience dans ce domaine. Fabienne Servan-Schreiber m’a alors fait passer une sorte de test : elle a financé un teaser de trois minutes que nous avons fait avec une petite équipe. Elle est ensuite allée voir Arte et est parvenue à les convaincre.

Qu’est-ce que la forme filmique allait pouvoir apporter de plus par rapport aux bandes dessinées ?

Je me suis beaucoup amusé avec le roman graphique à écrire cette histoire seul, à jouer avec la forme des cases, avec les intervalles, à les faire exploser. Mais le film allait offrir une nouvelle dimension : l’image animée avec toutes les possibilités que cela offre et, au-delà de l’image, le travail sur le son. Cela a été la vraie nouveauté par rapport au livre : l’incarnation des voix par des comédiens et tout les effets sonores qui viennent s’ajouter. Dans le film, on entend la ville, on la ressent. Il y a eu un travail énorme de la monteuse son, Maylis Collet. Et puis les musiques de Yan Volsy et Pierre Caillet, qui nous transportent pendant tout le film, qu’elles soient épiques ou sensibles et émouvantes.

Ce film est très particulier ; c’est l’histoire de personnes qui ont vécu il y a un siècle et demi, dont nous sommes les héritiers, et qui ont été balayées du roman national. Ce film, on ne le faisait pas pour nous mais pour eux.

Quels sont les principaux défis que posait ce passage du roman graphique au film animé ?

Graphiquement, ce n’est pas du tout la même chose. Il fallait trouver un nouveau langage car on ne pouvait plus jouer avec la forme des cases. C’était très amusant de trouver de nouvelles astuces pour animer les images. Soit avec un effet de parallaxe qui donne de la perspective à une image, soit en rajoutant des effets comme de la pluie, de la neige, le vol des oiseaux, soit en déplaçant les ciels, en jouant avec les coups des fusils et la poudre qui se dégage au ralenti… On a parfois l’impression d’être dans un film en slow motion. Cela donne un côté poétique, on sort de la dimension réaliste, documentaire.

"Les Damnés de la Commune" - Proclamation de la Commune Cinétévé - Arte France

Le film a été écrit en collaboration avec le scénariste Marc Herpoux. Quel a été son rôle ?

Il a vraiment fait un travail d’accompagnement de l’écriture. Il m’a surtout permis de gagner un temps incroyable, de prendre les décisions rapidement, de faire des choix… Car l’écriture, c’est faire des choix, et on les fait beaucoup plus facilement quand on est à plusieurs. On rumine moins ! Il a apporté toute sa connaissance du rythme, de la narration, des effets de suspense, de surprise du spectateur, de construction des personnages. Bref, toute son expérience de séries TV ! C’était particulièrement intéressant de travailler avec lui car, certes, on est sur un documentaire, mais on conçoit Les Damnés de la Commune beaucoup plus globalement, comme un film avec une portée et un souffle narratifs que l’on retrouve dans les films de fiction. Ce qu’il a notamment apporté, et qui est très différent du livre, c’est le temps. Dans les romans graphiques, en effet, le temps n’existe pas : les cases donnent un rythme, mais c’est le lecteur qui tourne les pages. Dans le film, le temps est intangible, il faut vraiment jouer avec.

Dans le film, on entend la ville, on la ressent. Il y a eu un travail énorme de la monteuse son, Maylis Collet. Et puis les musiques de Yan Volsy et Pierre Caillet, qui nous transportent pendant tout le film, qu’elles soient épiques ou sensibles et émouvantes.

Comment avez-vous abordé le montage ?

J’ai travaillé le montage avec Rémi Sagot-Duvauroux. C’est lui qui a vraiment apporté une autre dimension à ce que l’on avait fait avec Marc au scénario. Le travail sur un film d’animation est différent de celui d’un film en prises de vue réelles. On fait un montage au départ, qu’on appelle l’animatique, avec les images qui ne sont pas encore animées. Le montage existe donc dès le début, et c’est lui qui va donner le rythme, la structure, la narration au film. Rémi a vraiment fait un travail de coécriture et apporté sa touche personnelle. Nous avons travaillé deux mois et demi sur le montage de l’animatique. Durant cette étape, on met en place une maquette avec des voix-témoins et on inclut des effets sonores-témoins ainsi que des musiques-témoins. Le montage son se fait bien après, une fois que tout est calé à l’image. Et les musiques sont composées sur le dernier tiers du film, lorsqu’on est en train d’animer les images.

Avez-vous travaillé avec un studio d’animation ?

Oui, nous avons monté une équipe d’une dizaine d’animateurs, dirigée par Frédéric Barbe, au sein du studio Miyu qui nous a accompagnés sur tout le projet. La réalisation d’un film d’animation, c’est aussi de la fabrication, qui fait intervenir beaucoup de monde. Il faut être très méthodique, car dès qu’on déplace un seul élément du château, tout bouge ! Cette rigidité propre au travail sur un film d’animation peut d’ailleurs parfois être douloureuse. Si l’on veut modifier un élément, cela implique des réactions en chaîne et de revenir sur le travail de nombreuses personnes. Quand on est seul devant sa planche, on peut s’autoriser cela, mais quand on est dans la production d’un film, on ne peut pas échapper à cette contrainte. Dans le scénario, tout est possible, mais une fois que c’est décidé il faut s’y tenir. Et après l’animatique, on ne peut plus faire des modifications qu’à la marge.

Nous nous sommes longtemps posé la question de qui pourrait incarner la voix du personnage principal, Victorine. Puis, un jour, j’ai entendu une interview de Yolande Moreau et j’ai été saisi par l’émotion car j’ai entendu le personnage.

Yolande Moreau, Simon Abkarian, Mathieu Amalric, Fanny Ardant, Charles Berling, Sandrine Bonnaire, André Dussollier, Anouk Grinberg, Arthur H, Félix Moati, François Morel, Denis Podalydès, Michel Vuillermoz, Jacques Weber… La liste des comédiens incarnant les voix des personnages de votre film est imposante.  Comment s’est fait ce casting ?

Nous nous sommes longtemps posé la question de qui pourrait incarner la voix du personnage principal, Victorine. Puis, un jour, j’ai entendu une interview de Yolande Moreau et j’ai été saisi par l’émotion car j’ai entendu le personnage. Je lui ai écrit pour lui proposer et elle a accepté. Quant au narrateur, je voulais un homme, par contraste, et avec une certaine force dans la voix. Le choix s’est vite porté sur Simon Abkarian. Concernant les douze autres interprètes, c’est une chance exceptionnelle ! Nous avons eu l’idée avec Fabienne Servan-Schreiber de demander à de grands comédiens et comédiennes de le faire gracieusement pour rendre hommage aux révoltés de la Commune. Elle les a appelés et ils ont dit oui ! Cela donne au film une dimension que je n’aurais jamais pu espérer !

"Les Damnés de la Commune" - Chute de l'Hôtel de Ville Cinétévé - Arte France

Comment s’est déroulé le travail avec votre productrice et Arte tout au long de ce processus d’adaptation ?

C’est beaucoup d’allers-retours. Tout le monde s’est engagé alors que j’avais seulement écrit le premier tome, donc il me restait toute l’histoire à raconter ! À partir du moment où l’histoire a vraiment été terminée, je me suis attaqué au scénario avec Marc Herpoux. Le temps nous était compté car il fallait absolument tenir le délai pour coller aux 150 ans de la Commune (Ndlr : en mars 2021). Cela a duré près d’une année, avec beaucoup d’allers-retours entre Marc, moi, la productrice et la chaîne. On avait un énorme défi : les livres font près de 500 pages, il y a beaucoup de personnages et il fallait tenir sur 1h30. Si on avait voulu les adapter totalement, il aurait fallu un film de 6 ou 7h. Il fallait donc faire des choix, et des choix très importants. Le choix principal a été de centrer le film sur le personnage de Victorine, puis d’avoir un narrateur plus classique que celui du livre. Cela a demandé beaucoup de sacrifices et d’efforts pour y parvenir ! Puis il a fallu choisir les dates clés, les événements. Et il nous a fallu condenser ce qui avait été fait dans le livre. Heureusement qu’il y avait Marc Herpoux car il a apporté un regard extérieur que moi je ne parvenais pas à avoir. Anne Grolleron de chez Arte nous a suivis du début à la fin, nous a aiguillés avec des idées très précises parfois, tout en restant très ouverte. Il y a eu un dialogue très riche de bout en bout.

Réaliser un film est un travail collectif auquel vous n’étiez pas habitué. Quelles ont été les principales difficultés auxquelles vous avez été confronté durant ce processus d’adaptation et comment les avez-vous surmontées ?

Je crois que la principale difficulté, quand on est auteur d’un livre et qu’on devient réalisateur d’un film, c’est qu’on ne travaille plus seul. C’est à la fois exaltant et difficile, car il faut composer avec l’énergie, l’enthousiasme et les envies différentes des uns et des autres. Cela permet de produire une œuvre collective, mais c’est une énergie très différente. Pendant des années, j’ai travaillé seul sur mes livres, j’ai vécu seul avec mes personnages, j’ai pleuré avec eux, j’ai été bouleversé par leur histoire. Et là j’ai partagé avec des équipes ce que j’avais ressenti et vécu et ils se sont tous approprié cela. C’est magnifique. Ce que j’ai dit à tous, c’est que ce film est très particulier ; c’est l’histoire de personnes qui ont vécu il y a un siècle et demi, dont nous sommes les héritiers, et qui ont été balayées du roman national. Ce film, on ne le faisait pas pour nous mais pour eux. Et ça, nous le ressentions tous.

 

Les Damnés de la Commune

Les Damnés de la Commune a été soutenu par le CNC
Réalisé par Raphaël Meyssan
Écrit par Raphaël Meyssan, avec la participation de Marc Herpoux, d’après les romans graphiques de Raphaël Meyssan (éditions Delcourt)
Produit par Cinétévé et Arte France
Musique composée par Yan Volsy et Pierre Caillet