Mental : « La série pour ados prend la liberté dont elle a besoin dans le digital »

Mental : « La série pour ados prend la liberté dont elle a besoin dans le digital »

14 mars 2020
Séries et TV
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Mental
Mental EndemolShine - Blacksheep Films - France Télévisions
Succès sur la plateforme Slash de France Télévisions, Mental marque un renouveau dans le genre de la série adolescente française. Récompensé au dernier Festival de la Fiction TV de La Rochelle grâce à cette fiction, le réalisateur Slimane-Baptiste Berhoun détaille sa vision du genre et revient sur l’impact de la digitalisation sur les séries pour les jeunes adultes.

Comment vous est venue l'idée d'adapter en France la série finlandaise Sekasin ?

C’est une idée du producteur Augustin Bernard. Il a senti qu'il y avait un vrai sujet de société, encore tabou en France. Vu le succès de la série en Finlande, il a pensé qu’on pouvait donner la parole aux adolescents sur ce thème-là et qu’on pouvait traiter ce sujet chez nous parce qu’il allait forcément résonner chez de nombreuses personnes. Il a proposé cette idée à Slash, en précisant bien qu’il faudrait faire quelque chose d'original, adapter Sekasin mais en s'appropriant à la fois le propos mais aussi la forme – les épisodes durent en effet 8 à 10 minutes dans la version originale.

Vous aviez donc misé dès le début sur une diffusion digitale ?

Oui c’était le pari. A partir du moment où Slash rentrait dans l’équation, ça devenait même une nécessité. Cette plateforme visant une audience plus jeune que le linéaire, tout a été conçu dès le début pour le transmédia. On avait l’exemple de Skam qui utilisait le concept du temps réel, et permettait d’avoir de nombreux points d'entrée dans la série. C'est une expérience. Aujourd’hui le digital offre une plus grande prise de risque pour les créateurs, mais aussi pour les producteurs. La série pour ados prend du coup beaucoup plus de liberté - dont elle a absolument besoin. Sur une diffusion linéaire le récit est plus codifié.

Peut-on encore parler aux jeunes hors du digital ? Avec une série télé classique ?

Je poserais la question différemment. Est-ce que les jeunes sont déconnectés de la télévision parce que le contenu ne leur correspond pas ou est-ce le mode de consommation qui ne leur correspond plus ? De moins en moins de jeunes ont le réflexe, aujourd'hui, d'aller voir une série sur les grandes chaînes hertziennes. C'est davantage une question d'habitudes de consommation. Mais la réciproque est également vraie : mes parents n'auraient pas forcément l'idée d'aller regarder une série sur le digital.

 

Ces séries (Mental et Skam par exemple), très innovantes, rencontrent leur public, mais sont également saluées par la profession, comme en témoigne votre prix au Festival de la télévision de La Rochelle. Comment l’expliquez-vous ?

Sur Mental, je crois qu'il y a eu une vraie cohésion artistique et technique. Il y a eu un véritable échange entre le producteur, les scénaristes et moi. Et sur le tournage, tout le monde a senti qu’il s’agissait d’une série qui racontait quelque chose d'important et qui n'était pas dans le divertissement pur. Cette thématique, les (excellents) comédiens qui composent le casting, et tout ce qu'on a raconté étaient le supplément d'âme qui a permis à l’équipe de s’investir à 200%. Ce projet n’a jamais été traité comme une websérie ! Nous avons vraiment soigné la production pour faire de la qualité. Et puis il y a dans Mental une justesse de ton et un humour qui plaisent. Nous sommes même surpris de voir à quel point les gens sont touchés par cette série, c’est inattendu.

Vous dites n’avoir pas traité Mental comme une websérie. Quelle est la différence entre les deux selon vous ?

C'est essentiellement une question de terminologie. Le terme websérie est galvaudé aujourd'hui et fait désormais penser à quelque chose d'amateur, "fait maison". Je ne renie pas cela : je viens de là. Mais il y a ceux qui le font pour s’amuser, et ceux qui le font dans un but professionnel, pour passer à la série digitale quand ils auront plus de moyens. Je préfère parler de série digitale pour des projets comme Mental. Nous étions d'ailleurs très contents d'avoir remporté à La Rochelle la catégorie des séries de 26 minutes et pas celle des séries du web... Ce n'est tout simplement pas la même forme de production. On peut regarder Les Grands ou Irresponsable (diffusés sur OCS) sans rougir : on fait partie de la même cour aujourd'hui.

Comment expliquer que les problèmes mentaux n’aient pas été plus fréquemment abordés dans la fiction française ?

La question du trouble psychique chez les adolescents a été peu traitée, et le plus souvent, très mal d'ailleurs. Pour Mental, les scénaristes ont beaucoup travaillé en amont : ils sont allés dans des hôpitaux psychiatriques, ont rencontré des professionnels de santé… Ce qui est compliqué, avec les patients adolescents, c'est qu'on ne peut pas poser un diagnostic définitif : ils sont à une époque de la vie où des troubles peuvent apparaître et s'effacer. On ne peut pas mettre les patients dans des cases. C’est l’une des raisons pour lesquelles la série a beaucoup parlé au public : nous n’arrivons pas en caricaturant les personnages, en disant que tel personnage est schizophrène, que tel autre est bipolaire etc… Les choses ne fonctionnent pas ainsi dans les établissements. On ne colle pas d'étiquette sur les ados. Il est tentant de le faire dans une série, mais nous avons précisément essayé d’éviter ce piège. Du coup, le retour a été très positif ; aussi bien des professionnels que du public. Tous ont apprécié que nos personnages ne soient pas caractérisés par leur maladie.

Vous avez donc eu une approche presque médicale pour penser la série ?

Marine Maugrain-Legagneur et Victor Lockwood, les scénaristes, ont travaillé avec deux pédopsychiatres référents. Nous nous sommes déplacés dans des cliniques pour voir la manière dont le personnel parlait des patients. Nous n’avons évidemment pas eu le droit de rencontrer de vrais patients mineurs. Les comédiens ont eux aussi pu rencontrer des professionnels pour poser toutes les questions qu'ils avaient sur les personnages et les troubles dépeints... Il était important qu'ils puissent se réapproprier le texte pour qu'ils soient vraiment justes. Les scénaristes ont pris soin de bien faire relire les scripts par des pédopsychiatres : les entorses par rapport à la réalité étaient donc faites sciemment pour la fiction. Les soignants, par exemple, ne tutoient pas les patients en réalité. Notre série n'est pas un documentaire. Mental s'adresse principalement aux ados et elle a une mission pédagogique : dédramatiser, casser les tabous sur la maladie.

Mental a été soutenue par le CNC.