Rencontre avec Violaine Bellet, la « psynariste » d’Une belle histoire

Rencontre avec Violaine Bellet, la « psynariste » d’Une belle histoire

11 mars 2020
Séries et TV
Une belle histoire - David (Sébastien Chassagne) et Charlotte (Tiphaine Daviot)
Une belle histoire - David (Sébastien Chassagne) et Charlotte (Tiphaine Daviot) Rémy Grandroques/France Télévisions/Tetra Media Fiction/Monogo
Scénariste diplômée de la Fémis, Violaine Bellet s’est ensuite formée à la psychologie et à la psychothérapie ; des disciplines qui lui permettent de développer davantage la caractérisation des personnages ainsi que la dramaturgie des séries sur lesquelles elle travaille comme consultante. Après avoir collaboré avec Frédéric Krivine pour Un village français, elle a retrouvé le scénariste et producteur pour Une belle histoire, série mettant en scène trois couples, qui démarre ce mercredi sur France 2.

Vous vous qualifiez de « psynariste » (contraction de psychologue et scénariste). D’où vous est venu cet intérêt pour la psychologie ?

J’ai étudié le scénario à la Fémis et les personnages étaient abordés sous un angle sociologique, via leur salaire ou leur milieu social, et non pas d’un point de vue psychologique à l’inverse du cinéma américain par exemple. Je me suis demandé ce qu’il manquait aux films et séries français, et la réponse était pour moi la caractérisation des personnages qui n’était pas assez creusée. J’ai eu la chance de rencontrer une réalisatrice et psychanalyste dont je suis devenue la scénariste. Elle avait un cabinet, ce qui m’a permis d’entendre des parcours de vie qui m’ont inspirée et m’ont donné envie de mettre de côté l’artistique pour me concentrer sur l’étude de la psychologie par plusieurs biais : l’hypnose, la sexologie, la psychothérapie de couple… J’ai cherché dans ces différentes approches les outils qui pouvaient être intéressants pour la caractérisation des personnages. Je suis ensuite revenue vers l’écriture avec cette mallette à outils.

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Qu’apportent ces outils à des personnages comme ceux d’Une belle histoire ?

La caractérisation des personnages est encore plus poussée que pour Un village français, d’autant plus qu’Une belle histoire est une série sur le couple. D’un point de vue psychologique, on cherche, lorsqu’on se met en couple, à compenser ses propres névroses en choisissant un partenaire qui va soit les réparer soit les exacerber. Le coup de foudre active également des choses anciennes chez nous : la personne qui nous rappelle ces affects du passé va animer des éléments déjà présents inconsciemment en nous. Souvent, ces affects sont traumatiques, sinon ils ne surgiraient pas comme ça au détour d’un sourire, d’un regard. Le couple, tout comme une série, est cathartique. Il y avait donc un double besoin dans Une belle histoire.

Quel était votre matériel de départ pour cette série ?

J’ai d’abord travaillé avec Frédéric Krivine (coscénariste, coproducteur et directeur d’écriture de la série ndlr) sur la création des personnages, presque même avant d’avoir la bible de la série. Nous dialoguons beaucoup : il m’envoie les arches dramatiques et au fur et à mesure de nos discussions, les personnages émergent et Frédéric les construit seul, en s’appuyant sur nos échanges. Je peux rebondir ensuite et il a le mot de la fin. Mais il y a ce jeu de ping-pong qui permet d’affiner et d’arriver à un personnage qui paraît juste à l’un comme à l’autre. Nous nous voyons dès qu’il en ressent le besoin : il y a un vrai rapport de confiance entre nous qui me permet d’intervenir sur toute la série, contrairement à d’autres productions où je ne fais qu’une consultation externe, comme une urgentiste.

Comment avez-vous construit les couples d’Une belle histoire, qui sont tous de milieux différents ?

Nous avons volontairement pris des personnages qui n’ont pas de points communs socialement parlant, mais qui sont aussi liés par leur amitié et leur complémentarité. C’est à la fois une série sur le couple, sur l’amitié et sur la famille car ces amis très proches forment une famille de cœur avec les mêmes fonctionnements qu’une entité biologique. Et en même temps, chacun crée sa propre famille, comme Georges (Jean-Charles Clichet) et Malika (Juliette Navis) qui vont avoir un bébé. Est-ce que la famille biologique va bousculer celle de cœur fondée sur les amitiés ? Est-ce que les deux sont compatibles ou va-t-on perdre celle de cœur – ou y renoncer - lorsqu’on fonde une famille ? Ces questions sont universelles : nous avons choisi des personnages qui ont des problématiques rejoignant celles de tout le monde.

Une belle histoire - Georges (Jean-Charles Clichet) et Malika (Juliette Navis) Rémy Grandroques/France Télévisions/Tetra Media Fiction/Monogo

Revenons à Georges et Malika qui sont très différents. Elle travaille dans une banque et lui, plus discret, est père au foyer. Quels étaient les enjeux psychologiques pour ce couple ?

Il fallait oser parler de leur sexualité et montrer un rapport homme/femme différent des stéréotypes - l’homme qui travaille et la femme au foyer – alors qu’ici c’est l’inverse. J’ai notamment aidé à construire le caractère un peu sadomasochiste de leur relation qui se verra davantage dans la saison 2. Ils ont tous deux un problème pour se faire respecter, Georges aura par exemple du mal à prendre sa place à la maison où il est dans l’ombre de Malika. Ce rapport sadomasochiste sur le plan psychologique sera assumé à l’extérieur du couple. Nous avons caractérisé ce couple en pensant à ce ressort psychologique inconscient. Nous avons dès le départ réfléchi à la manière de le matérialiser et de le pousser jusqu’au bout, tout en restant dans le symbolique.

Quel était le couple le plus difficile à construire ? Philippe (Ben) et Caroline (Louise Monot), les bourgeois au couple plein de non-dits ?

Ils sont un peu le couple de nos parents, un modèle de refoulement. Ce couple est très névrosé : lui se réfugie dans le travail, elle avec les enfants. Il y a également une éviction de la sexualité : quand ça va marcher pour elle, ça ne marchera plus pour lui. Ce renversement, qui existe dans de nombreux couples névrosés, est un ressort de comédie absolu. Mais curieusement, le personnage le plus difficile à caractériser habituellement est le héros principal. On l’apprécie, on a l’impression que les choses fonctionnent et on pense donc davantage aux autres personnages. Pour Une belle histoire, nous avons fait un important travail pour rendre David sympathique même si le comédien qui l’incarne, Sébastien Chassagne, inspire tout de suite ce sentiment. Le deuil l’a rendu fermé, un peu à côté de la plaque. Mais il ne fallait pas que Charlotte (Tiphaine Daviot) ou le public se braque contre lui. Nous avons donc rajouté chez lui des choses qui manquaient, comme son cochon d’Inde Mélanie pour qu’on sente son affect pesant. Nous avons également travaillé son empathie avec sa propriétaire. L’objectif était que cet homme très blessé ne soit pas un personnage rebutant et agressif.

Une saison 2 est-elle déjà en écriture ?

Oui et la saison 1 portait déjà en elle le germe de cette saison 2. Cette dernière comporte elle aussi une ébauche de saison 3 et même chose pour la saison 4 même si l’avenir de la série dépend de son accueil public. C’est assez nouveau : j’ai par exemple travaillé sur Les Revenants, et à cette époque-là, les auteurs et producteurs ne souhaitaient pas déployer dès la bible un développement sur plusieurs saisons. Ce qui était dommage car certains éléments n’avaient pas été plantés ou l’avaient mal été. Ecrire une saison 2 nécessitait donc davantage de temps et le téléspectateur n’était plus forcément au rendez-vous car le développement avait été trop long. Aujourd’hui, mon rôle est d’amener les auteurs à se pencher sur une caractérisation cohérente pas seulement pour une saison, mais pour plusieurs. Evidemment, le temps d’élaboration de la bible est plus long, mais ça permet de gagner du temps par la suite.

Une belle histoire, diffusée sur France 2 à partir du 11 mars, a été soutenue par le CNC. La série a remporté le prix de "Meilleure série en 52 minutes" lors du Festival de la Fiction TV de La Rochelle 2019. Tiphaine Daviot a reçu pour sa part le prix de "Meilleur espoir féminin Adami".