« Sœurs » : filmer le quotidien d’un monastère à l’heure d’Internet

« Sœurs » : filmer le quotidien d’un monastère à l’heure d’Internet

14 juillet 2023
Séries et TV
Sœurs, réalisé par Lorraine David Pidoux et Lola Pidoux.
Sœurs, réalisé par Lorraine David Pidoux et Lola Pidoux. Arte / Les Batelieres

Lorraine David Pidoux et Lola Pidoux cosignent ce film documentaire, tourné au cœur du prieuré Sainte-Bathilde de Vanves, poursuivant un travail entamé avec un court métrage. Les réalisatrices nous expliquent comment elles ont discrètement posé leur caméra dans ce décor très solennel, pour nous faire vivre le quotidien d’une communauté de sœurs bénédictines, entre prières et travail. Rencontre.


Pourquoi avoir choisi ce prieuré de Vanves ?

Au départ, nous voulions filmer des frères, c’est-à-dire des moines. Nous avions repéré une congrégation dans le Jura. Mais nous étions en période post-confinement et c’était trop compliqué à organiser. On s’est alors mises à chercher un monastère en région parisienne. On a trouvé ce prieuré en découvrant des photos sur Google. L’endroit paraissait très beau à filmer. Par le plus grand des hasards, on était en relation avec un prêtre qui connaissait la mère supérieure des lieux. Il nous a mises en contact, et tout est allé très vite. Deux semaines après, on tournait le court métrage.

Ce fut difficile d’obtenir une autorisation du diocèse ou des autorités religieuses ?

Pas du tout. Parce que les sœurs bénédictines sont assez libres et autonomes. Elles choisissent ce qu’elles ont envie de faire. Par ailleurs, le sujet du documentaire n’était pas politisé. Peut-être que dans un autre contexte, cela aurait pu être plus compliqué… Mais là, tout s’est fait naturellement. D’autant plus que la mère supérieure de Vanves est aussi celle de toute la congrégation de Sainte-Bathilde, en France et à l’étrange. De toute façon, les sœurs sont très accueillantes et très ouvertes sur le monde. Elles ont aussi conscience qu’elles s’éteignent un peu : elles étaient 23 quand on a commencé à échanger avec elles. Aujourd’hui, elles ne sont plus que 15. Elles ont envie de s’ouvrir davantage, de montrer qu’elles ne sont pas si loin du monde, comme on l’imagine parfois.

Qu’est-ce qui vous attirait au départ dans ce sujet ?

Nous ne sommes pas du tout pratiquantes, ni même catholiques d’ailleurs. Ce qui nous intéressait, c’était le principe de communauté. Pour la petite anecdote, on a revu Le Nom de la Rose (Jean-Jacques Annaud, 1986) et on s’est demandé ce que faisaient les moines, de nos jours, en 2023 ? Comment s’organise une communauté à l’heure d’Internet et des réseaux ? C’est l’image de cet anachronisme qui nous plaisait. On était curieuses aussi de voir si les choses de la vie retrouvaient du sens dans ce monastère… D’autant plus qu’à l’époque du court métrage, on sortait du Covid.

Soeurs
Sœurs Arte  / Les Batelieres

Dès l’ouverture du film, on entend les sirènes sur le périphérique juste à côté du monastère…

Ce qui nous a séduites dans cet endroit, c’était effectivement qu’on était à deux pas du périphérique parisien. Mais dès qu’on franchit le pas de la porte, on entre dans une espèce de bulle sonore et visuelle. On a l’impression d’être dans un autre temps, dans un autre lieu.

Pourquoi avoir décidé de transformer votre court métrage en long métrage ?

On a tourné le court en février 2021. On était déjà ravies de faire partie des 17 sélectionnées dans le cadre de l’opération « Et pourtant, elles tournent ». Et puis Arte a organisé des rencontres à la Scam avec des producteurs. Le lendemain, Les Batelières Productions nous ont appelées et nous ont proposé de réfléchir à une version longue.

Comment avez-vous pensé cette nouvelle version ?

On avait cette fois une grosse vingtaine de jours de tournage, et deux possibilités s’offraient à nous : soit on filmait en continu et on ne quittait pas les sœurs pendant trois semaines, soit on étalait le tournage sur une année entière. On trouvait plus intéressant de les suivre durant plusieurs mois. Cela montrait une évolution. Le court métrage avait été filmé en plein hiver. Elles nous avaient alors raconté ce qu’elles faisaient en été, au printemps. On a eu envie de les filmer à différents moments de l’année. De plus, cela permettait d’évoquer les différentes périodes religieuses, le carême, Pâques… et de voir du mouvement au sein de la communauté, des sœurs arriver, d’autres partir.

Se sont-elles laissées filmer facilement ?

On s’est montrées très discrètes. Et elles nous ont fait confiance très vite en nous laissant de plus en plus de place. Elles savaient qu’on ne les trahirait pas. Après, ce sont des bénédictines, qui respectent les préceptes de Saint-Benoît et notamment la notion d’accueil. Elles sont donc habituées à recevoir des gens toute l’année. De nombreux civils passent du temps dans ce monastère. Elles sont à l’aise avec les gens de l’extérieur. Elles ont fini par nous accepter, comme si nous étions des membres de la communauté.

Quelle a été la ligne directrice de votre mise en scène ? La discrétion ?

L’idée, bien sûr, c’était de rester dans le décor. Mais en même temps de faire aussi de belles images. Pour les scènes d’office, de prière, l’enjeu était à chaque fois de décider où placer la caméra dès le départ, parce qu’on ne peut plus traverser la nef une fois que la prière commence. Il fallait bien choisir. Mais petit à petit, ce sont elles qui nous ont dit de nous mettre ici, de ne pas hésiter à nous positionner là… Elles nous aidaient à assumer plus franchement notre mise en scène pour qu’on ait les meilleures images possibles. C’était amusant.

Le film ne montre pas de témoignages face caméra…

C’était un choix de réalisation. On a énormément parlé avec elles. Ces confessions sont dans nos rushes. Mais on s’est dit qu’elles n’étaient valables que sur des temps plus longs et ce n’était pas compatible avec notre projet. On voulait le faire exister comme un film et non comme un reportage. Que chacun se fasse son avis sur ces scènes de vie, juste en regardant ces femmes vivre.

Qu’est-ce qui a été le plus compliqué durant cette année de tournage ?

L’après-tournage a été dur, parce qu’on avait 120 heures de rushes et il y avait 80 heures qu’on trouvait formidables. Et choisir 54 minutes parmi 80 heures, ça veut dire sacrifier beaucoup de choses !

Est-ce qu’à l’arrivée, le quotidien des sœurs correspond à l’idée que vous vous en faisiez ?

Pas du tout. On ne connaissait vraiment rien aux codes de la religion catholique. On a tout découvert. Elles passent ainsi 70 % de leur temps à chanter, elles prient un peu tout le temps, sans arrêt. Même quand elles ne prient pas, elles prient.

Quelle image voudriez-vous que les gens gardent de cette congrégation après avoir vu Sœurs ?

On a découvert des femmes bienveillantes. On aimerait que les gens, même les plus anticléricaux, parviennent à percevoir la simplicité de ces femmes, qu’ils voient les êtres humains derrière la religion. Elles passent leur temps à prier pour ceux qu’elles connaissent et ceux qu’elles ne connaissent pas. C’est leur vocation. Elles sont comme des sentinelles qui empêchent le monde de partir à vau-l’eau. C’est très pur.

Sœurs

Réalisé par Lorraine David Pidoux et Lola Pidoux
Coproduction : ARTE France, Les Batelières Productions
Disponible sur Arte.tv