100 ans de cinéma japonais : décryptage

100 ans de cinéma japonais : décryptage

24 janvier 2019
Asako I & II
Asako I & II Nagoya Broadcasting Networ/Bitters End

Suite du panorama autour de l’histoire du cinéma japonais à la Cinémathèque française. Le second volet présente des œuvres inédites ou marginales et permet de révéler la part secrète d’une cinématographie qui reste à découvrir.


On a coutume de dire qu’aux yeux de l’Occident, le cinéma japonais est né en 1951 à Venise. Cette année-là, Akira Kurosawa reçoit le Lion d’or et ouvre la boîte de Pandore. Dans la foulée, Kenji Mizoguchi avec Les Contes de la lune vague après la pluie et Teinosuke Kinaga et sa Porte de l’enfer flambent eux-aussi dans les festivals internationaux. En 1954, sur la Croisette, Jean Cocteau, président du jury du festival de Cannes parle même « des plus belles couleurs du monde ! » pour célébrer la Palme d’or donnée à La Porte de l’enfer. Le Japon qui n’a bien-sûr pas attendu cette reconnaissance pour faire des films, se retrouve soudain au centre du monde. Les Européens comme les Américains envoient leurs têtes chercheuses au pays du Soleil-Levant pour y trouver des pépites qui raviront les cinéphiles. Mais à l’heure où en France, la Nouvelle Vague triomphe, le public entend fuir le réalisme via de l’exotisme venu du lointain. Les samouraïs et geishas offerts par Kurosawa et Mizoguchi triomphent. Ils contentent un public fantasmant un Japon forcément archaïque qui n’aurait – du moins en apparence -  peu à voir avec la modernité. A contrario, les drames contemporain d’Ozu et Naruse restent à quai et devront attendre quelques années supplémentaires pour voir leurs noms s’ajouter au corpus.

Agrandir le cercle

Le cinéma japonais est aussi vieux que le septième art. Et les frères Lumière ne se sont pas trompés en envoyant illico des opérateurs filmer les rizières, les villages et les grandes villes. L’industrie nippone s’est très vite organisée sur le modèle américain avec de grands studios (Nikkatsu, Shochiku, Toho, Toei...) produisant un cinéma divers et ultra codé. Les films muets étaient commentés en live par des hommes  - les Benshi – qui n’hésitaient pas à outrepasser leur droit sur la fiction en extrapolant les récits pour se mettre en valeur. Les genres se sont aussi multipliés créant une singularité phénoménale : Shomingeki (mélodrame social), Jidai-geki (épopées historiques), chambara (films de sabres) ; Kaiju-eiga (films de monstres)… Ce cinéma a connu lui aussi ses crises, son avant-garde, son inflation galopante, ses fractures, sa remise en cause avec l’arrivée de la télévision et plus tard de la vidéo… Si l’Histoire est en partie connue, elle ne s’est pas totalement écrite sur nos écrans noirs et outre les grands noms qui reviennent comme des mantras cinéphiles (Ozu, Kurosawa, Mizoguchi pour les classiques, Imamura, Oshima, Suzuki, Wakamatsu pour la Nouvelle Vague), un travail de (re)connaissance reste à faire. Comme un effet miroir, le cinéma japonais visible en France aujourd’hui reste toujours parcellaire et les noms d’Hirokazu Kore-eda, Kiyoshi Kurosawa et Naomi Kawase semblent squatter toutes les places des grands banquets cinéphiles. Récemment, la découverte du majestueux Senses et d’Asako 1&2 de Ryusuke Hamaguchi a toutefois permis d’agrandir le cercle. Quant au grand Kitano, jadis déifié avec Sonatine, Violent cop ou Hana-bi – il a vu son dernier opus Outrage coda sortir en catimini en vod.

Article sur le même sujet

24 janvier 2019

Clair-obscur

Cette « reconnaissance », c’est justement ce que propose la Cinémathèque française avec sa programmation ouverte aux quatre vents mais d’une belle cohérence. Après une première partie l’année dernière, qui couvrait la période allant des années 20 à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la deuxième partie de ces « 100 ans de cinéma japonais » du 23 janvier au 25 février, nous plonge dans un voyage jusqu’aux années 2000 où les genres se télescopent, les couleurs se mélangent, les digues de la censure s’écroulent sous le poids d’une extravagance exacerbée…  

La partie immergée de l’iceberg nippon s’offre enfin aux regards. De « nouveaux maîtres » ont droit à la parole : Hiroshi Shimizu, Tai Kato, Tadashi Imai, Masaki Kobayashi, Kinji Fukasaku… Chez beaucoup d’entre eux le spectre de la deuxième guerre mondiale et les traumatismes qu’elle a laissés, permet des portraits néo-réalistes (le superbe Les Enfants de la ruche) ou acerbes (le violent Sous les drapeaux, l’enfer) d’un pays en perte de repères. Si la femme a toujours occupé une place à part voire centrale dans le cinéma nippon, la présente sélection en rend merveilleusement compte. Certains titres suffisent à dessiner les contours d’une représentation tout en clair-obscur : La Femme de là-bas, Orin la proscrite, La Vie d’une femme, La Vision de la vierge, L’Enfant favori de la bonne… Pour parcourir ce chemin, il faut savoir se laisser entraîner sans préjugés et entrer dans cette vaste maison-cinéma avec la curiosité de l’explorateur pour en forcer toutes les portes.