Africa Mia : la quête impossible de Richard Minier

Africa Mia : la quête impossible de Richard Minier

16 septembre 2020
Cinéma
Africa Mia de Richard Minier
Africa Mia de Richard Minier New Story
Le réalisateur Richard Minier raconte comment il a mis 20 ans pour retracer l’histoire incroyable des Maravillas de Mali.

Les premières images d’Africa Mia remontent à presque vingt ans. Avez-vous toujours eu en tête de faire un documentaire sur Les Maravillas de Mali ?

Richard Minier New Story

Tout a commencé en 1999, lors de mon premier voyage en Afrique. J’y ai rencontré Dramane Coulibaly, un flûtiste qui jouait dans un groupe afro-cubain et qui me raconte être parti à Cuba à la fin des années 1960. J’étais fasciné par son histoire, c’était un vrai sujet, musical et documentaire. En tant que producteur de musique, je me suis mis en tête de retrouver Les Maravillas de Mali, et je décide d’écumer l’Afrique avec ma caméra pour faire quelques images. Je voulais reformer le groupe et documenter ces retrouvailles. J’ai emmagasiné des images. Mais comme je ne suis pas du sérail - je ne suis ni réalisateur ni documentaliste - je n’avais pas de plan audiovisuel et j’ignorais que j’allais mettre vingt ans à le faire.

Qu’est-ce qui vous a fasciné dans l’histoire des Maravillas de Mali ?

Je ne connaissais pas la musique afro-cubaine et quand j’ai débarqué en Afrique je me suis pris une claque. Ce qui m’a fasciné c’est le destin de ces types pris dans l’histoire de la décolonisation. Sur une simple lettre de motivation, au milieu des années 1960, ils ont quitté le Mali socialiste pour le Cuba de Fidel Castro.

Ils ne se connaissaient pas, venaient de six régions différentes du Mali. J’ai aussi découvert toute l’euphorie de la création à La Havane, leur tube « Rendez-vous chez Fatimata », puis les années de vaches maigres du groupe liées à un changement politique. J’ai tout de suite admiré la force de ces musiciens, premiers d’Afrique de l’Ouest à écrire la musique dans un pays où la tradition est orale. J’avais l’impression de mettre le doigt dans l’histoire de la musique du monde avec un groupe complètement inconnu en Europe mais dont le tube était un hit en Afrique. J’ai vu cette quête comme une mission. Je voulais aller au bout avec eux. Mon ambition était de replacer sur l’échiquier de la musique du monde Les Maravillas de Mali.

Qu’est-ce qui a fait que vous n’avez jamais lâché votre histoire pendant 15 ans ?

Les maisons de disques ou les boîtes de production que j’allais voir avec mon projet m’ont toujours encouragé. Je ne trouvais pas de producteur, mais je commençais à être connu comme le « type avec le projet sur les Maliens ». J’assistais à l’éclosion de la world music africaine avec des gens comme Amadou et Mariam. J’ai été voir Damon Albarn, Manu Chao. Certains diffuseurs voulaient des stars pour que le projet soit bankable. Je passais d’espoirs et d’opportunités à des désillusions, mais je ne me suis jamais dit que je n’allais pas y arriver. Chaque fois, je retournais au Mali et je faisais des rencontres incroyables comme Mustapha, son violon sans archet et son copain au ministère de la Culture. Ce projet m’a accompagné pendant une grande partie de ma vie. Je l’ai nourri pendant des années avec toujours la même idée directrice : en faire un film.

Pourtant, en parallèle de votre quête pour monter votre film, les Maravillas disparaissaient…

Je me prenais des claques, car il s’agissait de personnes avec qui je passais du temps, c’était devenu des amis. J’étais submergé par une immense tristesse. En plus, je symbolisais l’espoir pour ceux qui étaient à Bamako et vivaient dans la misère. Ça devenait de plus en plus compliqué. En 2010, je pars avec un journaliste de Libération au Mali pour raconter cette histoire. Et puis… rien. Je me disais : « Les Maliens qui sont partis à Cuba sur fond de décolonisation, déjà ça n’intéressait pas grand monde, mais s’ils meurent tous un par un, ça devient très problématique. »

Africa Mia New Story/DR

Comment la situation s’est-elle débloquée en 2015 ?

J’ai découvert un groupe folk tahitien que je proposais aux maisons de disque. Je suis allé chez Mercury Universal rencontrer un DA (directeur artistique, ndlr) que je connaissais bien. Au cours du rendez-vous, je lui montre le trailer du documentaire sur les Maravillas que j’avais toujours dans mon ordi. Il fait venir Olivier Nusse, à l’époque patron de Mercury France [et aujourd’hui d’Universal Music], et lui parle de mon projet sur les Maliens. Pendant quatre mois, silence radio. Mais quand je m’enquiers de l’avancement de mon disque avec les Tahitiens, ils me répondent qu’ils sont intéressés par les Maliens. C’était surréaliste parce que je leur avais déjà proposé l’histoire des années auparavant. Tout a changé avec la signature du projet musical chez Universal Music – Decca Records. L’objectif a alors été de ramener Boncana Maiga (le maestro et seul survivant du groupe) à La Havane, de refaire le disque original de 1967 avec des featurings de Roldán Gonzalez (le chanteur cubain du groupe hip hop Orishas), de Mory Kanté, de Inna Modja. Il était inenvisageable pour Universal de ne pas filmer ça. Nous avons alors reçu le soutien de deux nouveaux partenaires : Off Productions et SRAB Films.

Pourquoi avoir fait appel à un coréalisateur ?

Je connaissais Edouard Salier depuis de nombreuses années, il a fait des clips pour mes artistes. A partir de 2015, je sais que je vais aussi gérer la réalisation du disque et je me dis qu’après dix ans à tenir la caméra tout seul, j’ai besoin de quelqu’un qui cadre et qui m’apporte un regard neuf. Ce qui était intéressant, c’est qu’Edouard voyait le film non pas comme l’histoire des Maravillas mais comme celle de la quête impossible de Richard Minier. Il décide de me mettre à l’écran. En me plaçant dans le cadre, je deviens le fil rouge du film, et mon récit la voix off du documentaire.

Comment Africa Mia s’est-il aussi décliné en exposition photo ?

A la demande du directeur des Rencontres d’Arles, Sam Stourdzé, j’ai mené une véritable enquête pour retrouver des documents photographiques sur cette époque. Cela a abouti, en 2016, à l’exposition Swinging Bamako que nous reprenons en partie à Paris. Finalement, Africa Mia est un vrai projet cross-media sur un pan méconnu de la culture africaine et du Mali.

Comment considérez-vous ce périple de 20 ans avec le recul ?

J’ai finalement construit un film sur le temps qui passe, sur la transmission. Aujourd’hui, ce qui ressort d’Africa Mia c’est cette capacité que j’ai eu de ne pas lâcher ; ça donne à l’entreprise un caractère hors-norme.

Africa Mia, qui sort le 16 septembre, a reçu l’Aide sélective à la distribution (aide au programme) du CNC.

Le disque est sorti en vinyle et en digital le 11 septembre chez Decca Records.

Exposition à la Feel good galerie : 24 rue Sainte-Croix de la Bretonnerie. 75004 Paris. Du 10 septembre au 10 octobre.