Comment s’est nouée votre relation avec Tarik Saleh, aujourd’hui forte de trois films ?
Alexandre Mallet‑Guy : J’ai découvert Le Caire confidentiel à Berlin, au Marché du film. Il venait d’obtenir le Grand Prix de la compétition internationale à Sundance en janvier, et un mois plus tard, il n’avait toujours pas de distributeur français. La vendeuse de Match Factory a insisté pour que je le voie, pensant qu’il pouvait m’intéresser. J’ai été immédiatement convaincu. J’ai acheté les droits France à Berlin, et c’est ainsi que ma relation avec Tarik Saleh a commencé – d’abord en tant que distributeur. Nous avons sorti le film quelques mois plus tard, mi‑juillet. La sortie a été couronnée de succès : plus de 400 000 entrées. Pour un premier long métrage, c’était inespéré. À la suite de cette réussite, Tarik m’a envoyé le scénario de son nouveau projet, La Conspiration du Caire. J’ai été de nouveau séduit par le script et je lui ai proposé de le distribuer en France et de le coproduire. C’était un projet ambitieux, plus lourd en production que le précédent : beaucoup de figurants, un lieu compliqué à trouver. Il avait besoin de partenaires étrangers pour le financer. La France, avec ses mécanismes de soutien – le CNC bien sûr, la région Île‑de‑France, Arte – a joué un rôle déterminant. Sans la coproduction française, je pense que le film n’aurait pas pu se faire. Nous avons apporté plus de 30 % du budget. Le film a été présenté à Cannes, a remporté le prix du scénario, puis nous l’avons sorti à l’automne, fin octobre. Là encore, succès : plus de 500 000 entrées, encore mieux que le précédent. J’étais coproducteur minoritaire. Nous avons ensuite décidé de poursuivre la collaboration, cette fois en codélégués : la France était coproducteur délégué avec Unlimited Stories (Suède) pour Les Ailes de la République. Nous sommes passés sur un budget de 9 M€ (contre environ 6 M€ pour La Conspiration du Caire). Le film avait besoin d’encore plus de financements extérieurs à la Suède : nous avons réuni plus de 3 M€ côté France, soit environ 35 % du budget, avec une équipe française encore plus importante. En plus des techniciens – tout le département image était français, ainsi que les costumes – plusieurs acteurs français ou ayant un lien avec la France sont présents : Lyna Khoudri, Zineb Triki, Amr Waked (qui a quitté son pays il y a plusieurs années et vit aujourd’hui en France).
Avec 9 millions d’euros, il s’agit de l’une des productions en langue arabe les plus ambitieuses ?
A. M.-G. : Je pense. En tout cas, je n’ai pas connaissance d’un autre film en langue arabe avec un tel budget. Le financement du film est 100 % européen, c’est une coproduction avec la Suède, le Danemark, la Finlande et l’Allemagne. Nous n’avons donc pas été soumis à des pressions extérieures. En revanche, nous n’avons pas de distribution au Moyen‑Orient, et plusieurs distributeurs du Golfe ont décliné, jugeant le film trop politiquement sensible.
Qu’avez‑vous découvert en abordant un projet d’une telle ampleur ?
A. M.-G. : Les films de Tarik sont toujours complexes, parce qu’ils sont très politiques et qu’ils traitent du monde arabe. On a besoin d’y tourner, mais c’est souvent impossible compte tenu des sujets abordés. Initialement, nous devions tourner au Maroc. Nous avions déjà deux mois de préparation quand l’autorisation de tournage, qui tardait, a finalement été refusée. Nous avons dû tout relancer ailleurs, très vite. Nous nous sommes rabattus sur Istanbul, comme pour son film précédent, où nous avions déjà nos attaches. Nous avons tout remis en route et tourné quelques semaines plus tard. Pour La Conspiration du Caire, c’était la période du Covid qui rendait la situation très compliquée. Nous tournions en Turquie, avec un dispositif lourd : beaucoup de figurants, de costumes. Et sur Le Caire confidentiel, ils avaient initialement prévu de tourner en Égypte ; deux‑trois semaines avant le tournage, ils ont reçu des menaces les avertissant qu’il serait impossible de garantir la sécurité des équipes.
Comment décririez‑vous votre manière de travailler avec Tarik Saleh ?
A. M.-G. : Les moments clés se situent vraiment sur le scénario et le montage. Sur le tournage, il y a peu d’intervention de ma part. En revanche, l’écriture est un espace d’échanges très fort, et Tarik est toujours à l’écoute. Comme au montage. Ce sont des échanges très fructueux avec lui et son monteur.
Comment conciliez‑vous votre rôle de producteur – financier, logistique, stratégique – avec la liberté artistique du réalisateur ?
A. M.-G. : Tarik est aussi coproducteur délégué de ses films : via sa société Atmo sur les deux premiers, puis via une nouvelle société après la fermeture d’Atmo. Il est totalement impliqué dans la production, et cela change le rapport : il a toujours conscience des enjeux financiers, du coût de chaque demande. C’est agréable de travailler avec un réalisateur à la fois créatif et responsable.
Le film était en compétition à Cannes cette année. Quel a été l’impact sur la distribution internationale et en France ?
A. M.-G. : Playtime assurait les ventes. Ils se sont engagés très en amont, dès le scénario, et avaient déjà réalisé de nombreuses préventes au marché de Cannes l’année précédente. La sélection à Cannes a permis de compléter quelques ventes. Les films de Tarik s’exportent très bien en Europe ; c’est plus compliqué en Asie et aux États‑Unis. Les films issus du monde arabe ne sont pas les plus faciles dans ces territoires, surtout lorsqu’ils abordent des sujets sensibles, comme les institutions religieuses. En France, nous avons suivi la stratégie des précédents films : une sortie à la fin de l’automne. Mais cette année, la période est beaucoup plus chargée qu’au moment de la sortie de La Conspiration du Caire, post‑Covid, quand il y avait peu de films américains et moins de concurrence. Aujourd’hui, l’offre est importante et le marché moins vigoureux.
Cherchez‑vous un impact sociétal particulier avec ce film – déclencher des débats, mettre en lumière un territoire – ou visez‑vous avant tout l’efficacité du thriller ?
A. M.-G. : C’est toujours difficile à mesurer : on espère tous que les films puissent faire bouger les choses. Mais Les Aigles de la République reste avant tout un film de divertissement : une première partie qui flirte avec la comédie à l’italienne, puis une seconde partie qui bascule vers quelque chose de plus sombre : un film politique, un film d’action.
Et la suite de votre collaboration avec Tarik Saleh ?
A. M.-G. : Tarik développe toujours deux ou trois projets en parallèle. Il m’a fait lire deux traitements sur lesquels il écrit actuellement. Nous espérons un tournage à l’été 2026.
LES AIGLES DE LA RÉPUBLIQUE
Réalisation et scénario : Tarik Saleh
Production : Memento Production, Arte France Cinéma, Unlimited Stories, Apparaten
Coproduction : Ström Pictures, Bufo, Films Boutique
Distribution : Memento
Ventes internationales : Playtime
Sortie le 12 novembre 2025
Soutien sélectif du CNC : Aide aux cinémas du monde avant réalisation