Anne Georget : « Le réel se transmet sous toutes les formes... »

Anne Georget : « Le réel se transmet sous toutes les formes... »

20 janvier 2023
Cinéma
FIPADOC 2023

La 5e édition du FIPADOC, qui ouvre ce 20 janvier à Biarritz, sera marquée par le lancement de l’Année du documentaire 2023. La présidente du festival dévoile les lignes de force de la programmation et sa joie de retrouver un public toujours plus nombreux.


2023 est l’année du documentaire. Elle sera officiellement lancée durant le FIPADOC...

Sur une idée de la Cinémathèque du documentaire, à laquelle la Scam a immédiatement adhéré, le CNC a décidé de lancer cette opération. Le FIPADOC, qui se déroule en janvier, se réjouit d’être le parfait écrin pour lancer cet événement. Dans « festival » il y a « fête » et après deux années difficiles en raison de la crise sanitaire, nous sommes soucieux de créer davantage de convivialité, de dialogue entre les professionnels, les spectateurs, les pays... C’est une édition que nous souhaitons également empreinte de légèreté. C’est pourquoi nous avons fait le choix d’une affiche très souriante avec cet enfant suspendu, même si évidemment, une programmation de documentaires se doit d’être le reflet du monde dans lequel nous vivons : la géopolitique, l’engagement, l’évolution de l’Histoire font partie du réel. Cette Année du documentaire doit permettre de rappeler à ceux qui en doutent encore que la forme documentaire utilise toute la grammaire du cinéma. Elle est d’une variété incroyable, se réinvente en permanence... Son ampleur et son universalité n’ont donc rien à envier à la fiction. Avec Christine Camdessus, déléguée générale du FIPADOC, nous sommes attachées à proposer une grande diversité, non seulement dans les thèmes abordés mais aussi dans les écritures.

Justement, quelles sont ces différentes « écritures » ?

Le réel se transmet sous toutes les formes. Prenez, par exemple, dans la sélection, le long métrage de Muriel Coulin et Delphine Coulin, Charlotte Salomon, la jeune fille et la vie, portrait et confessions en animation d’une femme peintre sous l’Occupation. Ce film entre en résonance avec celui de Valérie Manns, Journal d’une bonne, qui lui aussi raconte le destin d’une femme à part. Celui-ci est construit exclusivement à partir d’images d’archives. Je pourrais aussi vous citer des films qui sont de la pure investigation, d’autres qui s’apparentent à de vrais films d’aventure. Tous ces documentaires sont écrits par des scénaristes à partir d’une trame commune qui est la vie même...

La forme documentaire utilise toute la grammaire du cinéma. Elle est d’une variété incroyable, se réinvente en permanence...

Cette pluralité des formats sera mise en valeur dès la soirée d’ouverture du FIPADOC avec le film 29 173 NM de Romain De La Haye-Serafini et Vincent Bonnemazou. Pourquoi ce choix ?

C’est un film très étonnant et une première mondiale. Les réalisateurs ont placé des caméras sur le voilier de Thomas Ruyant, durant le Vendée Globe de 2020. Son bateau était équipé d’un dispositif de cinq caméras réparties à bord et qui filmaient de façon aléatoire pendant toute la durée de la traversée. Cela permet d’avoir des axes incroyables, notamment en haut du mât. La projection du film prendra la forme d’un ciné-concert avec le musicien Molécule.


Le format sériel semble prendre une ampleur de plus en plus importante dans le documentaire. Quelle place lui donnez-vous au sein de votre sélection ?

Depuis plusieurs années nous en recevons, en effet, un nombre croissant, nous obligeant à réfléchir à la façon de les programmer. Nous avons décidé de les proposer dans leur intégralité. Il y aura donc des projections au long cours où les spectateurs pourront s’immerger totalement dans la série documentaire choisie, un peu à la manière de certaines consommations compulsives sur nos ordinateurs. Cette année nous proposons entre autres : L’Affaire d’Outreau d’Olivier Ayache-Vidal et Agnès Pizzini, Le Ventre de la bête de Dominique Baumard et Antoine Guerre autour de la façon dont les pouvoirs politiques et judiciaires ont essayé de passer sous silence des cas d’abus sexuels sur l’île de Jersey, Évangéliques à la conquête du monde de Thomas Johnson, sur les liens parfois étroits entre politique et religion... À noter aussi 1942 de Véronique Lagoarde-Ségot et Marc Ball qui, à partir d’archives, s’intéresse à une année charnière de la Seconde Guerre mondiale...

Pour la deuxième année, le podcast documentaire est mis en valeur...

Après un lancement l’année dernière qui servait de galop d’essai, nous allons mettre en avant ce format via des écoutes collectives en salles. Les podcasts seront aussi disponibles en écoute individuelle sur des transats placés face à la mer. Le festivalier aura à sa disposition un casque et pourra ainsi s’immerger dans un cadre exceptionnel. Nous avons fait en sorte de créer des ponts entre les sujets des podcasts et ceux de certains films présentés dans les sélections... Ainsi, le podcast Condamnés-victimes, un dialogue possible de Johanna Bedeau qui traite de réparation en matière de justice fait écho à Des sœurs dans l’attente d’Elita Klavina – par ailleurs présenté dans la section « Focus 2023 » consacrée aux pays baltes et à la Finlande –, un film où des femmes incarcérées dans une prison lettonne trouvent refuge dans l’expression théâtrale... Ce dialogue parfois invisible entre les œuvres participe à cette convivialité que j’évoquais plus haut.

Quelle est la fonction particulière de la section dédiée aux pays baltes et à la Finlande ?

Elle regroupe des œuvres de Lettonie, Lituanie, Estonie et de Finlande. Ces pays, trop petits pour leur consacrer un focus à part entière, ont l’habitude de travailler ensemble via des coproductions, et ce, tout en gardant leur spécificité. L’idée est de favoriser la découverte du travail de ces territoires peu connus et de créer des liens qui déboucheront, pourquoi pas, sur de futures coproductions avec la France. C’est le but de nos Focus : faire découvrir aux professionnels du secteur la façon dont fonctionne la production du documentaire dans des pays dont on ne connaît pas bien l’activité.

On note aussi la présence d’une section baptisée « Visions d’Ukraine » ...

D’habitude nous avons un invité d’honneur spécifique, il s’agit d’un ou d’une cinéaste que nous entendons célébrer. Contexte oblige, c’est l’Ukraine qui sera à l’honneur. Cela fait maintenant un an que la guerre dure... Nous avons envie d’offrir une vision qui puisse donner des clés de compréhension au conflit. Ainsi, le film Moissons sanglantes, sous-titré 1933, la famine en Ukraine, de Guillaume Ribot permet de remonter aux origines des tensions entre ces deux peuples. De son côté, Trois Femmes de Maksym Melnyk explore une géographie singulière de l’Ukraine. Quant à Mariupolis 2 de Mantas Kvedaravicius, passé par le dernier Festival de Cannes, il s’agit d’un hommage au réalisateur décédé à Marioupol en avril 2022 durant la réalisation de son film. Ses producteurs et ses collaborateurs ont décidé d’achever son travail...

J’entends de plus en plus de grands cinéastes, comme Gus Van Sant, affirmer trouver dans la forme documentaire une liberté et par extension une fraîcheur que ne leur offre pas l’économie parfois lourde du cinéma de fiction. Les perspectives du documentaire semblent infinies.

Le FIPADOC est aussi très soucieux de sensibiliser les jeunes à la forme documentaire... Pourquoi ?

Ce travail s’inscrit dans ce que nous appelons le « Pôle Campus » dirigé par Marion Czarny. Elle effectue un travail tout au long de l’année auprès des académies, des enseignants, des élèves... Le temps du festival, ce pôle propose aux jeunes des thématiques très ciblées, accompagnées de fiches pédagogiques. Tout cela se fait conjointement avec des enseignants particulièrement motivés.

Vous évoquiez les deux années difficiles liées à la crise sanitaire. En quoi la situation du documentaire a-t-elle évolué ?

En tant que réalisatrice et présidente d’un festival, ce qui me frappe, c’est l’urgence de se retrouver, de discuter, de débattre, de créer du lien... Les amateurs de documentaires sont particulièrement désireux de l’échange avec les équipes. Le FIPADOC entend créer cette synergie. Par définition, le documentaire rend compte du réel. Il évolue donc avec lui. J’entends de plus en plus de grands cinéastes, comme Gus Van Sant, affirmer trouver dans la forme documentaire une liberté et par extension une fraîcheur que ne leur offre pas l’économie parfois lourde du cinéma de fiction. Les perspectives du documentaire semblent infinies.

 La 5e édition du FIPADOC a lieu du 20 au 28 janvier à Biarritz.