Comment s’est faite la rencontre avec Maha Haj ?
Je l’ai rencontrée à l’époque où elle était mariée avec un premier assistant caméra avec qui j’avais travaillé sur Paradise Now de Hany Abu-Assad en 2005, qu’on avait tourné dans les territoires occupés. Maha Haj écrivait déjà, mais pas pour le cinéma. De mon côté, j’ai régulièrement travaillé avec des réalisateurs israéliens et palestiniens comme pour Wajib d’Annemarie Jacir. C’est pendant le tournage de ce film, en 2017, qu’a eu lieu l’avant-première du premier long métrage de Maha Haj, Personal Affairs, que je suis allé découvrir. On s’est revus à cette occasion. J’ai pu lui dire tout le bien que j’avais pensé de son film. Et un an plus tard, elle m’a rappelé en me disant qu’elle avait un projet qu’elle aimerait faire avec moi.
Qu’est-ce qui vous donne envie d’accepter sa proposition ?
Quand je lis un scénario, je ne pense jamais spontanément lumière, mais je me laisse embarquer par une histoire et les émotions qu’elle peut dégager. Là, je connaissais la ville d’Haïfa où se situe l’action et j’ai réussi tout de suite à me projeter. Ce qui m’a beaucoup touché, c’est l’histoire d’amitié qui va naître entre ces deux contraires : Walid, le dépressif aux velléités littéraires non abouties et Jalal, le petit escroc dont la fréquentation va redonner à Walid le goût de vivre. J’aime le fait que ces personnages ne soient pas identifiables tout de suite mais riches en ambiguïtés et insaisissables avant qu’ils ne se révèlent totalement à nous. Et puis j’ai aussi retrouvé dans ce scénario le ton du premier film de Maha Haj, ce sens de l’absurde hérité de son admiration pour Elia Suleiman avec qui elle a travaillé à la déco et qui l’a beaucoup encouragée à écrire pour le cinéma.
Personal Affairs fonctionnait, précisément comme dans un film d’Elia Suleiman, par une succession de longs tableaux. Ce n’est pas le cas dans Fièvre méditerranéenne. Il y avait dès le départ une volonté de s’en écarter ?
Cet aspect a été tout de suite au cœur de notre discussion. Je lui ai demandé si elle avait envie de renouer avec le même type de mise en scène tout en lui disant que, de mon point de vue, cela ne me semblait pas approprié pour cette histoire. Tout de suite, Maha Haj m’a expliqué vouloir tenter autre chose, ne pas s’enfermer dans un schéma. C’est ce qu’on a essayé de développer ensemble en partant sur l’idée d’un découpage minimaliste par exemple. Le rythme s’est également situé d’emblée au cœur de nos discussions tout comme une réflexion propre aux personnages. Dans leurs deux appartements, on a pris le parti d’être uniquement en plans fixes et un peu larges pour qu’on les observe comme des entomologistes. Le premier qui procrastine et repousse le moment où il va se mettre à l’écriture, le second un peu plus agité qu’on accompagne d’ailleurs, pour souligner ce mouvement, avec quelques plans en caméra portée souple.
Comment éclaire-t-on un film où la parole tient un rôle central ?
J’ai travaillé avec le chef déco Andreas Antoniou pour créer une sorte d’artificialité, de théâtralité dans la disposition des décors. C’est quasi imperceptible mais ça permet à mes yeux d’exprimer très vite le fait qu’on va raconter cette histoire sans avoir la nécessité de se situer dans le réalisme. Ce hiatus accompagne le côté décalé et absurde de l’humour de Maha Haj.
Quel rôle a joué votre connaissance de la région ?
Connaître le Moyen-Orient m’a notamment aidé à reconstituer les lumières des intérieurs, cette fois pour coller à la réalité, pour restituer leur côté un peu surchargé et les mélanges de couleurs qui y prédominent, avec notamment ces néons très présents dans les appartements et les maisons.
Vous avez eu le temps de répéter dans les décors ?
Non, Maha Haj a énormément répété avec les acteurs – dont beaucoup, parmi les rôles secondaires, sont des non professionnels – mais pas dans les décors. Du coup, ça n’avait pas vraiment d’utilité pour moi côté lumière. J’y suis simplement allé une ou deux fois pour me présenter aux comédiens et avoir une première approche avec eux, même si je connaissais déjà Amer Hlehel, l’interprète de Walid, qui jouait dans Paradise Now. La seule scène que nous avons vraiment répétée est celle mettant en scène des chiens car il se trouve que, pour des questions de budget, nous n’avons pas pu avoir des animaux dressés pour le cinéma. Répéter était donc indispensable pour des questions de sécurité et voir comment la caméra allait pouvoir évoluer sans les effrayer.
L’humour, c’est un rythme. Est-ce que du coup, une fois sur le plateau, votre travail sur la lumière se modifie au fil des prises pour épouser celui des comédiens ?
J’ai assez peu d’expérience dans le domaine de la comédie pure. Mais la question de comment la filmer m’a obsédé avant le tournage. En fait, j’avais été marqué par un film dont j’avais signé la photo et que j’avais trouvé au final moins drôle que son scénario. J’avais cherché ma part de responsabilité sans vraiment trouver la réponse. La comédie est quelque chose de vraiment délicat à tourner. On peut vite appuyer trop les choses en surcadrant ou en proposant des angles trop décalés. Sur Fièvre méditerranéenne, où le comique prédominant est un comique de situation et de dialogues, les moments les plus drôles sont, de mon point de vue, ceux où on a laissé aux comédiens le soin de faire se développer le rythme de la scène et où mon rôle a consisté à les accompagner, sans effet, sans surdécouper les choses pour éviter un tac au tac artificiel. À une exception près : la séquence délirante de rêve où Maha Haj joue avec les clichés de la scène de crime. Mais j’avoue vraiment n’avoir aucune certitude sur le sujet. Je n’ai pas encore trouvé une règle à suivre pour filmer et mettre en lumière une comédie.
FIÈVRE MÉDITERRANÉENNE
Réalisation et scénario : Maha Haj
Photographie: Antoine Héberlé
Montage : Véronique Lange
Musique : Munder Odeh
Production : Pallas Films, Majdal Films, AMP Stillworks, Still moving
Distribution : Dulac Distribution
Sortie en salles : 14 décembre 2022
Soutiens du CNC : Aide aux cinémas du monde après réalisation, Aide sélective à la distribution (aide au programme)