Antoinette Boulat : « Pour Ma nuit, je voulais un film purement sensoriel, à la lumière comme au son »

Antoinette Boulat : « Pour Ma nuit, je voulais un film purement sensoriel, à la lumière comme au son »

14 mars 2022
Cinéma
Tom Mercier et Lou Lampros dans « Ma nuit » d'Antoinette Boulat.
Tom Mercier et Lou Lampros dans « Ma nuit » d'Antoinette Boulat. Epicentre Films
Directrice de casting pour François Ozon, Olivier Assayas et tant d’autres, Antoinette Boulat passe à la réalisation avec Ma nuit. Dans ce premier film, elle suit les déambulations nocturnes d’une jeune femme dans Paris, fuyant l’appartement familial et l’anniversaire de la mort de sa sœur. La réalisatrice détaille pour le CNC comment elle a imaginé cette odyssée dans les rues de la capitale.

Votre envie de passer à la réalisation est-elle née du désir de filmer Paris la nuit ?

Non, car je crois avoir toujours eu en moi cette envie de réaliser. Mais comme je n’ai pas fait d’école de cinéma, ça a pris un chemin particulier qui est passé par le casting. J’ai, en tout cas, toujours écrit. J’avais même déjà travaillé sur un autre film qui n’avait pas abouti. Ma nuit est né dans une espèce d’urgence par rapport à l’époque violente que nous traversons depuis quelques années, et plus particulièrement la jeunesse de ce pays, à l’image de ma fille qui a l’âge de Marion, mon héroïne. L’unité de temps et de lieu me paraissait cohérente avec l’économie de ce projet comme avec mon parcours. 
 
Ma nuit parle tout à la fois de deuil, de Paris, de la jeunesse, de rencontre amoureuse. Quel a été le premier fil que vous avez tiré pour lui donner vie ?

Une jeune femme dans Paris. La nuit. La peur. Et la violence de la ville. Le deuil est arrivé dans un deuxième temps, mais assez vite. Pour que Marion ait ce regard particulier sur la ville et cette vulnérabilité, elle devait forcément avoir vécu un événement qui lui donne cette distance. Le deuil permettait cela. Je pense vraiment qu’à Paris, depuis les attentats, les jeunes ont traversé une série d’épreuves qui ont mis à mal cette insouciance et cette légèreté qui les constituent profondément. Le parcours de Marion rejoint ce que je perçois de la jeunesse d’aujourd’hui et de la ville de Paris qui vit dans une forme de traumatisme depuis 2015. C’est pour cela que je tenais tant à aborder la notion de peur. Marion se bat pour sortir de ce sentiment-là. De la même façon que sa génération se bat pour le climat, contre la police… 
 
C’est aussi parce que vous traitez de la peur que ce récit ne pouvait se dérouler que de nuit ?

Complètement. La nuit fait ressortir toutes les émotions de manière plus forte. On entend les choses différemment, le brouhaha de la journée s’est estompé.

Comment avez-vous construit l’atmosphère visuelle du Paris nocturne que vous filmez ?

J’adore la nuit au cinéma. Je trouve ça magnifique. Pour Ma nuit, je voulais un film purement sensoriel, à la lumière comme au son, mais avec des sensations contrastées, allant de la plus grande douceur à l’agressivité la plus brutale.

Pour cela, avec ma directrice de la photographie Laetitia de Montalembert, nous avons privilégié les plans fixes et filmé caméra à l’épaule uniquement dans les moments où les comédiens en avaient besoin. Et j’ai banni les champs-contrechamps que je déteste. Quant au format du film, le 1.37 était présent dès l’écriture. Quand il a été un temps question de le changer, j’ai refusé car on n’avait pas les moyens de remplir le cadre. Ce qui a primé dans toute cette aventure, c’est la cohérence mais aussi mes souvenirs de spectatrice qui n’ont jamais cessé de me nourrir. À l’écriture comme sur le plateau. Ils m’ont parfois même apporté des solutions. Je pense à une scène en intérieur où on butait sur la manière de l’éclairer. Soudain m’est revenu en mémoire un plan de La Peur de Rossellini où Ingrid Bergman traverse une maison en éteignant et allumant la lumière. Je m’en suis directement inspirée pour me sortir de l’impasse dans laquelle je me trouvais.


 
Cette déambulation dans Paris s’appuie aussi sur la composition de la comédienne qui incarne Marion, Lou Lampros, dans son premier grand rôle au cinéma. C’est pour sa capacité à habiter les silences que vous l’avez choisie ?

J’ai beaucoup appris des différents réalisateurs avec qui j’ai eu la chance de travailler comme directrice de casting. Ceux qui ne peuvent choisir leurs interprètes qu’au fil d’essais très poussés m’ont énormément apporté sur la connaissance du jeu. Tout comme ceux qui ne font aucun essai et choisissent leurs comédiens sur leur personnalité, jugeant en quelque sorte les acteurs maîtres de la manière dont ils vont jouer. Faire un film avec un comédien ce n’est pas juste une succession de prises réussies. Ça convoque plein de choses différentes. J’ai pu le constater avec Lou. Je la connaissais car je l’avais castée pour De son vivant d’Emmanuelle Bercot ainsi que pour The French Dispatch de Wes Anderson, dans lequel elle tient le petit rôle du personnage de Léa Seydoux, plus jeune. Pour Lou, Marion est un vrai rôle de composition. Dans la vie, elle est à l’opposé de ce personnage. Elle dégage quelque chose de lumineux qui apportait un contraste parfait avec la vulnérabilité de Marion. Il fallait que Marion n’ait pas le physique de quelqu’un de déprimé, sans quoi sa déambulation aurait sombré dans le glauque et la tristesse. Tout le contraire de ce que je recherchais. Et là encore, les références ont compté. Lou m’a évoqué tout de suite la Monica Vitti des films d’Antonioni. Personne ne peut apporter cette lumière à quelqu’un qui ne l’a pas. Ça ne s’apprend pas comme on apprend une technique de jeu. 
 
En quoi le montage a aidé à trouver le rythme du film et en particulier la manière de traduire à l’écran les moments d’ennui qui traverse l’héroïne ?

Avec mon monteur Maxime Mathis, le plus complexe a sans doute été d’imposer le rythme que je souhaitais. Je tenais à ce que le récit prenne le temps afin d’épouser le rythme de cette jeunesse qu’on caricature trop souvent à tort comme étant en permanence en train de se couper la parole. Mais il fallait évidemment prendre garde à ne pas aller trop loin, à ne pas tomber dans une certaine léthargie et provoquer l’ennui du spectateur. J’ai cependant tenu à garder des moments de silence, des moments suspendus. Car tout fait film : un temps d’ennui peut se révéler essentiel pour raconter quelque chose. Cet exercice d’équilibre est compliqué. Comme l’a été la scène sur le pont autour du faux attentat. Là, tout se jouait au son. Par quel son traduire ce moment à l’écran ? Le bruit d’une mitraillette ? Quelque chose qui tombe par terre ? Il fallait que ce soit marquant mais pas envahissant pour ne pas transformer soudainement Ma nuit en un film sur les attentats. Car je ne parle pas des attentats mais du traumatisme des attentats. Heureusement, Maxime est passionné par ces questions de son. J’ai pu aussi m’appuyer sur un monteur son, Thibaud Rie, dont c’était le premier long métrage à ce poste mais qui avait beaucoup travaillé comme assistant avec Laure Gardette, la monteuse de Maïwenn, dont les films jouent beaucoup là-dessus.

Ensemble, on a d’ailleurs énormément construit ce film à l’oreille. Car la peur surgit souvent de ce qu’on ne voit pas mais de ce qu’on entend. 
 

MA NUIT

Réalisation : Antoinette Boulat
Scénario : Antoinette Boulat et Anne-Louise Trividic avec la collaboration de François Choquet
Photographie : Laetitia de Montalembert
Musique : Nicolas Errèra
Montage : Maxime Mathis
Production : Sombrero Films, Macassar Productions
Distribution : Épicentre Films