« Burning Casablanca » : un film comme une reconstruction

« Burning Casablanca » : un film comme une reconstruction

08 novembre 2021
Cinéma
"Burning Casablanca" d'Ismaël El Iraki UFO Distribution
Rescapé de l’attentat du Bataclan, Ismaël El Iraki, diplômé de la Fémis, signe avec Burning Casablanca un premier long métrage volontairement très rock. Une histoire d’amour entre deux êtres résilients brûlés par la vie – une star de la musique déchue et une fille de la rue – qui s’est énormément nourrie de son propre état de survivant, comme il le confie au CNC.

Est-ce que l’idée de Burning Casablanca est née après ce tragique soir du 13 novembre 2015, où vous étiez au Bataclan pour le concert des Eagles of Death Metal ?

J’avais tourné un court métrage il y a une dizaine d’années dans le même quartier de Casablanca, le quartier Cuba, un lieu très rock peuplé de gens vraiment dingues et où aucun long métrage n’avait été tourné avant le mien. Donc j’avais déjà, dans ma tête, commencé à réfléchir à un long qui serait nourri de tout ce que j’aime, de la musique à la maison de ma grand-mère, en passant par le cinéma…

D’où cet effet « mélange des genres » qui domine l’ensemble du récit ?

J’assume complètement cet aspect hybride, ce bordel qui constitue l’essence même du rock’n’roll. Car il représente Casablanca et plus largement l’identité marocaine, un pays de mélange depuis l’Empire romain ! On le retrouve dans notre musique à la fois arabe, africaine et mâtinée d’influences européennes. Mais Burning Casablanca n’a rien de cérébral.

Pour ce film, il y a eu quelque chose de l’ordre du feu de forêt, de l’incendie. Presque à mon corps défendant. Car on y retrouve aussi ce que j’avais de plus sombre en moi. C’est en fait le seul film que je pouvais faire en sortant vivant du Bataclan !

Pour quelle raison ?

Parce qu’il s’agit d’un film sur la résilience. Une histoire d’amour entre deux survivants. Et je ne voyais pas d’autre manière de raconter cette histoire qu’à travers un film dont le seul langage serait l’émotion. Il n’y a aucun discours dans Burning Casablanca. Je ne fais pas ce film pour donner des nouvelles de mon pays. Ce n’est pas un tract mais un poème, teinté d’un brûlot. Un cocktail Molotov.

 

Vos propres souvenirs de survivant ont impacté l’écriture de ces deux personnages et de leur relation ?

Je suis sorti vivant du Bataclan, mais c’est la thérapie EMDR qui m’a réellement sauvé la vie, qui m’a permis de me libérer de l’état de stress post-traumatique. En échangeant avec des victimes de viol ou des militaires revenant de zones de guerre, j’ai compris qu’on partageait tous le même terreau : cette sorte de maladie très physique collée par la violence de ce stress, où les images, les sons, les odeurs vécus et ressentis sur le moment ne vous quittent plus. On les revit sans cesse et on finit même par reconnaître cet état hallucinatoire chez ceux qui en sont atteints. J’ai donc voulu que cet état-là soit constitutif de mes deux personnages avec l’histoire d’amour comme terreau de leur résilience. Il ne s’agissait pas pour moi de parler littéralement de l’attentat – j’ai même enlevé du scénario une scène où il s’en produisait un lors d’un concert – mais de faire ressentir émotionnellement les choses. Avec Burning Casablanca, on n’a jamais cherché la virtuosité.

Tout a été de l’ordre de la pulsion. La pulsion de mes personnages très instinctifs. Et la pulsion de toute mon équipe qui a d’emblée compris que, dans toute cette aventure, l’émotion qu’on ressentirait et qu’on chercherait à transmettre serait notre seule boussole.

Sur le plateau, on s’est uniquement fiés à ce qu’on ressentait et on ne s’est rien refusé par principe, que ce soit dans notre rapport à la violence, au mélo ou aux clins d’œil de cinéma que j’y glissais. Il y a ainsi la veste façon Brando de L’Homme à la peau de serpent de mon héros ; la manière très western à la John Wayne que j’ai de filmer mon héroïne ; les films de Sergio Leone, ou encore Hunger de Steve McQueen que j’ai découvert au moment où j’entamais l’écriture du film et qui m’a énormément marqué.

C’est aussi pour susciter cette émotion forte que vous avez choisi de tourner en 35 mm et en Scope ?

L’idée de radicalité dans ma mise en scène, de filmer un comédien dans la longueur sans faire de contrechamp trouve son origine dans Hunger. J’ai pu prendre cette décision très en amont, dès l’écriture du scénario. Savoir précisément ce que j’allais filmer m’a permis de resserrer les choses et donc de pouvoir avoir accès au 35 mm malgré notre petit budget. Car je n’envisageais pas ce récit autrement que filmé ainsi. Ce parti pris a renforcé l’unité et la concentration de toute l’équipe sur le plateau, car on savait qu’on ne pouvait pas se louper. Qu’on n’aurait pas le temps. On vivait le sentiment du live, à chaque prise. Et au montage, avec Camille Mouton, on s’est retrouvés face à l’exact contraire des problèmes qui naissent du trop-plein de rushes. Nous, on en avait trop peu ! (Rires.) Pour certaines séquences d’action où j’avais prévu 21 plans, entre le manque de pellicule et de temps, je n’ai pu en tourner que 10, à partir desquels j’ai dû refabriquer ma scène au montage, en m’appuyant sur le fait que si le spectateur a envie de voir une scène d’action, il la verra. Car le cinéma, au fond, c’est une hallucination consensuelle, non ?

BURNING CASABLANCA

Réalisation et scénario : Ismaël El Iraki
Images : Benjamin Rufi
Montage : Camille Mouton
Musique : Alexandre Tartière et Neyl Nejjai
Production : Barney Production, Mont Fleuri Production, Velvet Films
Distribution : UFO

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