Cédric Klapisch : « Filmer de la danse, c’est une nourriture cinématographique »

Cédric Klapisch : « Filmer de la danse, c’est une nourriture cinématographique »

04 avril 2022
Cinéma
En-corps
Marion Barbeau dans « En corps » de Cédric Klapisch Marion Barbeau dans « En corps » de Cédric Klapisch

Après Ce qui nous lie (2017) et Deux moi (2019), Cédric Klapisch change radicalement de décors. Avec En corps, il raconte la trajectoire d’Élise (Marion Barbeau dans son premier rôle), 26 ans, grande danseuse classique qui se blesse durant un spectacle. Plus question de danser pendant au moins deux ans, les médecins sont formels. Entre Paris et la Bretagne, au gré des rencontres et des expériences, la jeune femme va devoir trouver un moyen de se reconstruire. Et la danse contemporaine va entrer dans sa vie… Cédric Klapisch nous raconte la difficulté de jongler entre la narration et les scènes dansées, et la cinématographie toute particulière d’un ballet.


Après avoir exploré les liens d’une fratrie dans les vignes de Bourgogne (Ce qui nous lie, 2017) et ausculté le malaise existentiel de deux trentenaires (Deux moi, 2019), Cédric Klapisch change radicalement de décors. Avec En corps, il raconte la trajectoire d’Élise (Marion Barbeau dans son premier rôle), 26 ans, grande danseuse classique qui se blesse durant un spectacle. Plus question de danser pendant au moins deux ans, les médecins sont formels. Entre Paris et la Bretagne, au gré des rencontres et des expériences, la jeune femme va devoir trouver un moyen de se reconstruire. Et la danse contemporaine va entrer dans sa vie… Cédric Klapisch nous raconte la difficulté de jongler entre la narration et les scènes dansées, et la cinématographie toute particulière d’un ballet.

Vous avez depuis longtemps une relation particulière avec la danse. En 2010, vous réalisiez le documentaire Aurélie Dupont, l’espace d’un instant, sur le travail de cette danseuse étoile et la vie dans les coulisses de l’Opéra de Paris…

Je pense effectivement que beaucoup de choses sont liées à ce documentaire. Je l’ai tourné pendant quatre ans, vu qu’Aurélie est tombée enceinte au milieu du tournage et qu’on a dû arrêter les prises de vues. J’ai filmé beaucoup de spectacles, de la danse contemporaine comme de la danse classique. Cette expérience a certainement accentué mon désir de faire un film sur la danse.

 

Un sujet qui a souvent été présent dans votre cinéma, mais par petites touches.

Oui, j’ai toujours aimé la danse et j’adore ce que le cinéma peut faire avec. Mais je ne m’apercevais pas que c’était présent dans mes films, ce n’était pas volontaire. Filmer de la danse, c’est presque une nourriture cinématographique pour moi. Depuis que je suis adolescent, je vais voir des ballets, je connais les chorégraphes... Et donc, forcément, ça m’a influencé. Ce qui nous lie était le premier film où je chorégraphiais volontairement certaines scènes, quand les personnages sont dans les vignes.

Il fallait arriver à fabriquer des choses narratives qui, à un moment, se combinent avec ce que l’héroïne danse et sa façon de le faire.

Comment intègre-t-on la danse à un récit de deux heures ?

C’était vraiment la complexité d’En corps. C’est mon quatorzième film, et il n’aurait pas pu voir le jour avant. Ça demande une sorte d’expertise, de maîtrise. À la fois du récit et de ce qu’est le cinéma, de la façon de filmer de la danse. On ne s’aperçoit pas à quel point les comédies musicales demandent une association de talents entre la musique, la danse, la mise en scène et les acteurs. C’est peut-être pour ça qu’il y en a de moins en moins. En corps est un faux film simple. L’histoire l’est, mais c’est très compliqué à mettre en scène. Je ne pouvais pas simplement juxtaposer les morceaux dansés avec la narration. Il fallait arriver à fabriquer des choses narratives qui, à un moment, se combinent avec ce que l’héroïne danse et sa façon de le faire. C’est pour cela qu’on évoque son histoire familiale et son histoire amoureuse. Toutes ces choses vont s’imbriquer pour la faire un peu sortir de ses gonds, de son côté classique et effacé.
 

J’essaie de compenser par des choses que seul le cinéma peut amener : un bras qui tremble, un souffle, le bruit des pieds sur le sol… 
 

La danse porte en elle quelque chose de purement cinématographique, notamment à travers le mouvement. Mais quand on la filme, il s’agit aussi de reproduire à l’écran du spectacle vivant. Comment procède-t-on ?

Je crois que lorsque l’on filme de la danse, on est forcément perdant. C’est toujours moins bien qu’un spectacle dans une salle. Mais du coup, j’essaie de compenser par des choses que seul le cinéma peut amener : un bras qui tremble, un souffle, le bruit des pieds sur le sol… Ça permet de jouer avec la proximité. On capte des choses que le spectateur d’un ballet ne perçoit pas. Ce sont vraiment ces techniques cinématographiques qui compensent le fait qu’on ne sera jamais capable de reproduire ce qu’est le spectacle vivant.

Comment trouve-t-on le bon équilibre entre danse et fiction ?

C’est un film qui a été très difficile à monter et qui a été beaucoup coupé. Avec ma scripte, on a regardé une dizaine de comédies musicales avant le tournage, comme West Side Story, Chantons sous la pluie, Cabaret... On a constaté qu’il y a toujours entre un tiers et un quart de danse ou de parties chantées. Ça nous a étonnés car on était persuadés que c’était plus. Je n’ai pas compté pour En corps, mais je suis persuadé que nous sommes dans les mêmes rapports. Ça ne pouvait pas être un film à 50 % dansé : le spectateur a besoin d’un fil conducteur pour s’accrocher à l’histoire, et la danse devient la cerise sur le gâteau.

Marion Barbeau dans « En corps » de Cédric Klapisch
Marion Barbeau dans « En corps » de Cédric Klapisch Emmanuelle Jacobson-Roques – CQMM

Le générique est très stylisé et pourrait presque faire croire à un film fantastique. C’était voulu ?

Oui, parce qu’il était important d’aller très loin dans quelque chose d’affirmé comme classique, mais modernisé. La musique qu’on a choisie ne va pas avec les tutus, pour résumer. (Rires.) Le fait de tordre l’image de façon numérique m’intéressait aussi. La modernité, c’est la fusion entre la présence du passé et du présent. Ce générique est vraiment là pour ça.

La musique joue effectivement un grand rôle dans le film, et vous avez d’ailleurs collaboré avec Thomas Bangalter, l’ex-Daft Punk

Oui, et il veut surtout qu’on précise qu’il a fait peu de choses ! En fait, c’est le chorégraphe Hofesh Shechter qui a composé la musique d’En corps ! Thomas est présent parce qu’il est depuis longtemps fan du travail d’Hofesh. Depuis que les Daft Punk se sont séparés, je pense que c’est la direction qu’il a envie de prendre : moins électronique, plus acoustique, dans une sorte de chaleur des sons. Du spontané, de l’animal… J’ai initié leur rencontre et il y a un morceau qu’ils ont vraiment coécrit, ainsi qu’une musique d’Hofesh que Thomas a aidée à recomposer, ou du moins à reproduire. Ça représente à peu près 20 % de la musique du film : le reste c’est Hofesh Shechter.

Il n’y a aucun dialogue durant les quinze premières minutes d’En corps. Pour mieux sublimer la chorégraphie ?

C’est surtout pour imposer au spectateur de regarder autrement. Les gens connaissent finalement peu le milieu de la danse, ils ont beaucoup de préjugés. La danse classique peut leur sembler « cul-cul ». Mais en les forçant à regarder, ils constatent que c’est indiscutablement beau. C’était une façon de prendre le spectateur en otage et de lui apprendre un autre langage.

En corps

En corps de Cédric Klapisch

Réalisation : Cédric Klapisch
Scénario : Cédric Klapisch, Santiago Amigorena.
Photographie : Alexis Kavyrchine.
Musique : Hofesh Shechter et Thomas Bangalter.
Montage : Anne-Sophie Bion.
Production française : Ce Qui Me Meut, Studiocanal, France 2 Cinéma.
Production étrangère : Panache Productions, La Compagnie Cinématographique, Proximus, VOO, BE TV.
Distribution : Studiocanal