« C’était un rendez-vous » : la folle course de Lelouch à travers Paris

« C’était un rendez-vous » : la folle course de Lelouch à travers Paris

27 août 2020
Cinéma
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Retour sur l’histoire de C’était un rendez-vous, court métrage véloce et impressionnant de Claude Lelouch, où le cinéaste traverse Paris le pied au plancher. Le film est à découvrir gratuitement sur le site du CNC jusqu’à samedi.

Un plan, une séquence. Pas de ligne de départ, pas de dialogue, pas de course ni même de pilote en vue… Juste l’asphalte parisien. Le court métrage C’était un Rendez-vous de Claude Lelouch est pourtant, de l’avis de nombreux cinéastes, l’un des meilleurs films de voiture de toute l’histoire du septième art. Un mythe souvent cité, copié – mais jamais égalé. Sa réalisation fut longtemps nimbée de mystère ; personne ne savait comment il avait été techniquement réalisé, quelle voiture avait été utilisée et qui conduisait.

Après avoir fini le tournage de Si c’était à refaire avec Catherine Deneuve, il restait à Claude Lelouch un peu de bobine de film. Dans l’esprit du cinéaste naît une idée folle : filmer le trajet en voiture le plus rapide possible à travers les rues de la capitale. Lelouch établit vite son itinéraire. De la Porte Dauphine au Sacré Cœur en passant par le ventre de Paris : l’Arc de triomphe, la Place de la Concorde, Le Louvre, l’Opéra, la butte Montmartre. Pour réaliser ce court, le cinéaste fixe une Caméflex à l’avant de son bolide et, tôt le matin, s’enfonce à toute allure dans la ville, montrant tout. Les bus flemmards, les voitures qui traînent, les piétons endormis, les pigeons qui s’envolent, les éboueurs méticuleux, et surtout la vitesse (on compte 18 feux rouges grillés).

On a longtemps voulu croire que la voiture de C’était un rendez-vous était une Ferrari et qu’elle était conduite par Jacques Lafitte (qui aurait dépassé les 300 km/h). Mais en réalité, c’est bien Claude Lelouch qui s’est glissé derrière le volant de sa propre voiture, une Mercedes 450 SEL. Il post-synchronisera le bruit d’une Ferrari 275 GTB pour augmenter la sensation de vitesse. En bon cinéaste, Lelouch avait préféré prendre son véhicule parce que les suspensions de la Mercedes assuraient une meilleure stabilité à la caméra. Mais il savait que le bruit des pneus et du moteur de la Ferrari rendraient le court plus excitant.  

Aujourd’hui encore, le plus fou dans ce film reste l’absence de trucage. Lelouch a vraiment dépassé les 200 km/h dans les rues de Paris. Mais il n’était pas seul : son chef-opérateur était assis dans le siège passager, contrôlant l’ouverture et la mise au point de la caméra grâce à une petite télécommande. Il avait également demandé à un assistant de se mettre à un point précis du parcours : Lelouch savait qu’au Louvre, la sortie de tunnel croisant la rue de Rivoli, était très dangereux, sans visibilité. Il y avait donc installé Elie Chouraqui afin que ce dernier le prévienne d’un éventuel problème à l’aide d’un talkie-walkie. Ce n’est qu’à l’issue de sa course, qu’il découvrira… que le talkie ne fonctionnait plus. Ce fut au fond un vrai miracle que personne ne soit blessé ce matin-là et des années plus tard, Lelouch reconnaîtra que cette manière de faire le film était « immorale ». Mais les « Dieux du cinéma » étaient avec lui. A la différence de la police.

Après la projection du film, Lelouch fut arrêté et expliqua d’abord que c’était un pilote de F1 qui avait conduit le véhicule… Devant les évidences, il fut forcé d’avouer et convoqué au commissariat. Lelouch raconte la scène dans une biographie qui lui est consacrée : le commissaire lui retire son permis de conduire… avant de le lui rendre quelques instants après. « Je m'étais engagé à vous le confisquer dit-il au cinéaste, mais je n'ai pas précisé pour combien de temps. Vous avez de la chance, mon fils a adoré votre film ! ». 

C’était un Rendez-vous est un court métrage exceptionnel. Huit minutes de pure vitesse qui n’ont pas pris une ride et diffusent toujours la même sensation de liberté. Et de folie : « ce film témoigne de ma folie de l’époque expliquait Lelouch au début des années 2000. Il symbolise ma vie en fait : pour réaliser ce court, j’ai bravé beaucoup d’interdits, comme je l’ai souvent fait dans ma vie. » C’est sans doute ce qui explique l’extraordinaire postérité de ce court métrage : de nombreux cinéastes s’en sont inspirés pour tenter d’y trouver les secrets d’une poursuite de voiture aussi crédible qu’excitante. John Frankenheimer l’a étudié sous toutes les coutures pour réaliser la poursuite de Ronin et plus récemment, Christopher Mcquarrie avouait s’en être très largement inspiré pour la séquence parisienne de Mission : Impossible – Fallout où Tom Cruise tente de distancer ses assaillants à moto. Pourtant, si on écoute Lelouch, C’était un rendez-vous est d’abord une déclaration d’amour. A Paris évidemment, à la Voiture forcément, mais aussi à une femme. Cette course n’a qu’un but pour le cinéaste : rejoindre sa fiancée de l’époque, la jeune Gunilla Friden qu’on voit apparaître à la dernière image. « C’est le pouvoir du cinéma : raconter de belles histoires. Un homme qui veut rejoindre une femme est prêt à prendre tous les risques, parce qu’il ne veut pas la faire attendre » Quitte à dépasser les 200 km/h dans les rues de Paris et à mettre sa vie, et celle des autres, en danger.