Entretien avec Claire Barré, coscénariste de « Boléro »

Entretien avec Claire Barré, coscénariste de « Boléro »

06 mars 2024
Cinéma
Boléro
« Boléro » réalisé par Anne Fontaine Pascal Chantier

La coscénariste de Boléro, sur la vie du compositeur Maurice Ravel et sa célèbre création, raconte les coulisses de sa troisième collaboration avec Anne Fontaine.


Boléro marque votre troisième collaboration avec Anne Fontaine après Blanche comme neige, pour lequel vous aviez fait une consultation, et Police que vous aviez coécrit. Comment vous êtes-vous rencontrées ?

Claire Barré : Notre rencontre a eu lieu à Rio de Janeiro, lors d’un festival de cinéma français. Anne [Fontaine] y présentait un de ses films et j’y animais un workshop sur l’écriture pour des scénaristes et réalisateurs brésiliens. J’adorais depuis longtemps son cinéma et je savais qu’elle avait lu l’un de mes scénarios sur la femme d’Oscar Wilde. Quand j’ai appris sa présence dans la délégation française, j’espérais vraiment la croiser. Et puis, j’ai fini par l’apercevoir en train de monter dans un ascenseur. Je me suis précipitée avant que les portes se referment. Elle a été un peu surprise mais je me suis présentée. Elle m’a dit qu’elle avait beaucoup aimé mon scénario, même si elle ne l’a pas réalisé et que le projet est encore en cours. Et puis quelques mois après, elle m’a envoyé Police de Hugo Boris en me proposant de l’adapter avec elle. J’avoue avoir été un peu décontenancée. Nous étions loin d’Oscar Wilde ! (Rires.) Mais j’ai énormément aimé le livre et j’ai donc accepté avec joie sa proposition. Et je peux dire que c’est un bonheur de travailler avec elle.

 

Pour quelle raison ?

Parce qu’Anne est une immense travailleuse, dans le sens où elle investit vraiment toute son énergie dans le cinéma et dans la création. Et même si on est très différentes dans la vie, on se rejoint là-dessus, dans cet enthousiasme-là. Elle laisse aussi une grande liberté à la scénariste que je suis de proposer des choses et fait des retours toujours passionnants, car elle réfléchit tout en termes cinématographiques. Elle me laisse plutôt m’occuper de la dramaturgie. Mais c’est un travail très collaboratif. Ses notes sont toujours extrêmement précises et permettent le rebond. Son ouverture d’esprit quand elle lit ce que vous proposez booste votre imagination.

À quel moment vous a-t-elle parlé de Boléro ?

Dès la fin de notre collaboration sur Police. Boléro a été un projet au très long cours qu’Anne et son producteur Philippe Carcassonne ont eu le courage et la force de ne jamais laisser tomber.

À travers le récit, je cherche toujours à créer une proximité, une intimité entre le personnage et le spectateur...

Comment avez-vous réagi à sa proposition ?

Il existait déjà une première version du scénario écrite par Pierre Trividic. Et j’ai commencé par dire non à Anne. J’étais trop intimidée par Ravel. Je connaissais peu d’aspects de lui, à part évidemment le Boléro et quelques morceaux. Je maîtrisais beaucoup moins la musique classique que la poésie pour mon projet sur Oscar Wilde !

Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?

Un dîner avec Anne et Philippe [Carcassonne], au cours duquel nous avons discuté d’éventuelles portes d’entrée dans l’univers de Ravel. Anne m’a ainsi expliqué voir Ravel comme le prince de son époque. Un personnage mû par une passion incroyable qui a pris le pas sur tout le reste, y compris sa sexualité. Un élément en particulier m’a fait penser que je pourrais apporter quelque chose à ce projet. Le fait qu’il ait été frappé par cette « amusie », mot étrange pour traduire ce dont il s’est mis à souffrir : son incapacité à transcrire les musiques qu’il avait dans la tête. L’idée de cet homme frappé par le drame ultime pour un artiste – avoir son art dans sa tête et ne plus pouvoir le transmettre – m’a bouleversée. Je me suis alors sentie capable de m’attaquer à cet Himalaya, avec cette idée que chez lui, tout au long de sa vie, sa sensualité s’est déplacée dans son art. C’est son opacité qui m’a fascinée. J’ai été tout particulièrement émue en visionnant un petit film où on le voit à New York en train de répondre à une interview. Dans sa manière de regarder la caméra, on découvre un air incroyablement innocent, sa part d’enfance préservée. C’est par l’homme Ravel que je suis entrée dans le projet.

À partir de là, comment avez-vous travaillé ?

En me plongeant dans une pléiade de livres sur lui – à commencer évidemment par l’ouvrage somme de Marcel Marnat [Maurice Ravel, éditions Fayard] – pour y trouver des éléments qui pourraient me toucher en tant que scénariste. En particulier le mystère de cet homme qui est toujours resté seul, qui n’a eu aucune histoire d’amour connue. Nulle lettre d’amour n’est venue briser ses secrets dans ses correspondances, par exemple. Je peux vraiment dire que plus j’avançais dans mes recherches, plus il me fascinait.

Anne Fontaine a choisi Raphaël Personnaz pour incarner Ravel à l’écran. Une fois celui-ci engagé, avez-vous adapté le scénario ?

Anne m’avait envoyé les essais de différents comédiens. Et, comme elle, dès que j’ai vu Raphaël [Personnaz], c’est devenu une évidence ! Mais dans nos différentes réécritures du scénario, on n’a jamais spécifiquement retravaillé le script pour lui. Je dirais qu’à l’inverse, c’est vraiment Raphaël qui s’est glissé dans le costume de dandy de Ravel. Même s’ils ne ressemblent pas vraiment physiquement, son incarnation est d’une fascinante exactitude. J’y ai retrouvé cette sensibilité qui émanait de Ravel dans les petits films d’époque que j’évoquais.

Qu’est-ce qui a le plus évolué au fil des versions du scénario ?

On a coupé quelques personnages, comme Igor Stravinsky, pour recentrer le scénario sur Ravel et les femmes de sa vie au sens le plus large du terme : sa mère, bien sûr, que joue Anne Alvaro, mais aussi Marguerite Long, Misia Sert – respectivement incarnées par Emmanuelle Devos et Doria Tillier – et Madame Revelot (Sophie Guillemin) sa gouvernante. Nous voulions raconter, à travers ce qu’il a vécu avec elles, les liens amicaux et artistiques forts qu’il a pu tisser sans la moindre relation charnelle, une autre manière peut-être d’imaginer les liens hommes-femmes.

Qui était à la manœuvre dans l’écriture des dialogues ?

Là encore, je parlerais de collaboration. Je commence par impulser les choses pour qu’Anne rebondisse ou permette à d’autres d’intervenir, comme ici Jacques Fieschi.

Boléro est une fiction, pas un exposé historique ni un documentaire […] Nous sommes parties des faits historiques, mais nous avons pris le parti de les revisiter de manière plus poétique et donc plus émotionnelle.

La volonté de de concentrer le récit autour de la création du Boléro au lieu de raconter toute la vie de Ravel n’a, elle, jamais évolué ?

Non, parce que le Boléro constitue l’identité même de Ravel pour la plupart des gens. Il représentait donc à nos yeux une porte d’entrée essentielle pour le public. Ce morceau qu’on a tous entendu à un moment ou un autre de nos vies renvoie chacun à mille souvenirs. À partir de là, l’idée était celle d’un patchwork. D’essayer de retranscrire ce qui se passe dans la tête d’un homme qui est en train de perdre le fil de sa vie, en l’occurrence sa mémoire et son accès à la musique. Des morceaux de son existence vont ressurgir, pas forcément dans l’ordre, et constituer un puzzle aux pièces passionnantes à assembler pour la scénariste que je suis comme, je pense, pour le spectateur. On donne d’ailleurs un indice dès la scène d’ouverture, avec le premier malaise de Maurice Ravel, annonciateur de sa maladie. Dès lors, reste toujours en filigrane l’idée qu’il va revoir les moments les plus importants de son existence, les femmes et les amis qu’il a connus. Car si Ravel paraît seul, il a toujours été très entouré.

Quand vous écrivez un tel film, adoptez-vous une démarche pédagogique pour ne pas perdre le spectateur dans la vie et l’œuvre de Ravel ?

À travers le récit, je cherche toujours à créer une proximité, une intimité entre le personnage et le spectateur pour que, même s’il ne comprend pas tout de lui, ce dernier ait au bout d’un moment l’impression de le connaître et, par ricochet, l’envie d’en savoir plus sur sa vie. À chaque fois, les personnages sont au centre de mon travail. C’est ce qui m’intéresse le plus dans un scénario. Mais pour répondre plus précisément à votre question, si des éléments ont été gommés finalement, alors qu’on était un peu plus explicatives dans le scénario, c’est parce qu’Anne a su faire passer ces informations par la sensorialité de sa réalisation. Dans Boléro, on peut parfois se sentir un peu perdu dans le passage d’une époque à une autre. Mais ce n’est pas grave car le récit, la ligne psychologique et émotionnelle du personnage me semblent, eux, limpides. Pour cela, nous sommes parties des faits historiques, mais nous avons pris le parti de les revisiter de manière plus poétique et donc plus émotionnelle. Boléro est une fiction, pas un exposé historique ni un documentaire. Tout ce qu’on a pu imaginer, les scènes de ses rencontres avec des prostituées par exemple, l’a été en essayant de respecter ce qu’on a découvert de Ravel à travers tous les livres et tous les témoignages qu’on a lus sur lui. Ce que l’on voulait, c’était respecter le cœur du personnage sans s’interdire la fiction.

Qu’est-ce qui vous a le plus frappé à la découverte du film ?

La beauté et la place de la musique. Et l’intelligence avec laquelle Anne s’y est employée.
 

BOLÉRO

Boléro
Boléro SND

Réalisation : Anne Fontaine
Scénario : Anne Fontaine, Claire Barré avec la collaboration de Pierre Trividic, Jacques Fieschi, d’après l’œuvre de Marcel Marnat
Photographie : Christophe Beaucarne
Musique : Bruno Coulais
Montage : Thibaut Damade
Production : Ciné-@, F comme Film, Artémis Production, Cinéfrance
Distribution et Ventes internationales : SND
Sortie le 6 mars 2024

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