Xavier Durringer s’est éteint à 61 ans, à son domicile de L’Isle-sur-la-Sorgue. Dramaturge, cinéaste et scénariste, il a fait entrer au théâtre et au cinéma les déclassés, les cabossés. Leur existence mais aussi, surtout, leur langue, matière première d’une œuvre qui traverse trois décennies.
Né en 1963, formé au théâtre, il fonde en 1989 la compagnie La Lézarde, véritable atelier où il écrit et met en scène ses textes, et où se reconnaît bientôt une génération d’interprètes. Au tournant des années 1990, Bal-trap et Une petite entaille imposent sa signature : dialogues syncopés, sensualité à vif, personnages qui se débattent dans le chaos du réel. Avec Chroniques des jours entiers, des nuits entières, il assemble des éclats de vies dans un théâtre à la fois rageur et profondément tendre.
Très vite, Xavier Durringer pousse ses personnages et ses obsessions devant la caméra. La Nage indienne (1993), présenté à la Berlinale, révèle au cinéma son art des corps simples et des élans contrariés. Il poursuit avec J’irai au paradis car l’enfer est ici (1997), puis se frotte frontalement au présent politique avec La Conquête (2011), chronique de l’ascension de Nicolas Sarkozy dévoilée à Cannes hors compétition. Il n’est pas étonnant de le voir aborder la politique, elle est présente depuis le début de son travail. Chez lui, ce ne fut jamais un décor mais une force invisible qui modèle les trajectoires, fissure les couples, abîme les rêves.
À la télévision, Xavier Durringer garde ce regard humain et précis qui a fait la force de son théâtre et de son cinéma, filmant ses personnages à hauteur d’homme. Ne m’abandonne pas (2016), sur la radicalisation d’une adolescente et le combat de ses parents, témoigne de son empathie lucide et juste. Couronné d’un International Emmy Award, le film témoigne de ce qu’il sait faire mieux que quiconque : tenir ensemble le fil intime et la brûlure du monde, sans didactisme.
On aurait tort pourtant de réduire Xavier Durringer à la seule dureté. Sa langue nerveuse savait se faire caresse ; sa mise en scène laissait affleurer la lumière d’un sourire, l’humour discret du quotidien. Il y a, dans toute son œuvre, sur scène comme à l’écran, une fraternité offerte aux perdants magnifiques – ceux qui parlent de travers, qui aiment mal, qui tombent et se relèvent. Une éthique aussi : chercher avec les acteurs et faire de la troupe un abri.
Auteur prolifique, traducteur, romancier à l’occasion, Xavier Durringer aura donc longtemps circulé entre les différents plateaux. Des répétitions du Off d’Avignon aux mixages tardifs. Beaucoup d’artistes se souviendront d’un « homme de troupe », exigeant et curieux, qui ne cédait jamais au cynisme.
Il laisse une œuvre pleine de vie, traversée d’élans et immédiatement partageable. Son théâtre comme son cinéma n’avaient au fond qu’une vocation : prêter attention, sans jamais juger, à ce que l’époque fait aux corps et aux cœurs. Et raconter le chaos de notre présent.