Du « Procès Goldman » à « Making of » : entretien avec Cédric Kahn

Du « Procès Goldman » à « Making of » : entretien avec Cédric Kahn

11 janvier 2024
Cinéma
Making of
« Making of » réalisé par Cédric Kahn David Koskas

Quelques mois à peine après la sortie du Procès Goldman, le cinéaste revient avec un nouveau film Making of, autour d’un tournage chaotique. Il raconte la manière dont il a mené de front ces deux longs métrages. Entretien.


Quand a été tourné Making of ?

Cédric Kahn : Making of a été tourné juste avant Le Procès Goldman. Nous avons inversé les sorties en salles pour respecter l’ordre de leur présentation en festival. Le Procès Goldman a été présenté en ouverture de la Quinzaine des cinéastes au Festival de Cannes, en mai 2023, quand Making of se trouvait trois mois plus tard hors compétition à la Mostra de Venise. Le Procès Goldman a donc été écrit dans le couloir de l’attente, celui de la concrétisation de Making of. J’étais d’ailleurs guidé par une forme d’impatience…

Comment expliquer la simultanéité de ces deux tournages ?

Making of a été un film difficile à produire. Nous avons rencontré divers problèmes de financement, de casting… Des situations qui faisaient étrangement écho à ce que je raconte dans le film. Les dates de tournage ont donc sans cesse été repoussées. Pour Le Procès Goldman, la situation était inversée puisque tout est allé très vite. Chacun des films était produit par des sociétés différentes [en délégué : Curiosa Films pour Making of et Moonshaker pour Le Procès Goldman – ndlr] Le hasard a voulu qu’elles me donnent le feu vert pour tourner presque au même moment. Si vous ajoutez les emplois du temps des uns et des autres, il a fallu que je m’adapte et que je tourne les films à quelques semaines d’intervalle. C’est à la fois exceptionnel et pas forcément idéal. Car si j’ai enchaîné les tournages, les montages aussi se sont aussi succédé. J’ai donc décidé de mener tout de front. Les deux films ensemble ! Au moment du casting, j’avais en permanence les deux scénarios sous le bras. Si je ne sentais pas un acteur pour l’un, je lui faisais passer un essai pour l’autre.

Les deux films sont portés par des énergies différentes. De quelle façon avez-vous pensé leur mise en scène ?

Le mouvement d’un film est avant tout guidé par le récit et non par la seule volonté du cinéaste. Je n’ai donc pas « conscientisé » cette différence que vous évoquez. Quand j’ai écrit Making of, j’étais assez déprimé. Je venais de passer un an sur un autre scénario qui ne s’était pas concrétisé. Puis est arrivé le confinement lié à la pandémie. Être soudainement à l’arrêt tout en restant sur un échec professionnel m’a miné. Je me demandais d’ailleurs si je serai capable de refaire des films un jour. Making of a été écrit dans cet état d’esprit. Mais le tournage m’a remis en selle. C’est fou d’avoir exorcisé cette angoisse à travers l’histoire d’un tournage chaotique. Je suis arrivé sur le plateau du Procès Goldman nourrit par l’énergie positive du tournage précédent. Making of a totalement fait office de catharsis… Le point de départ de l’intrigue était d’ailleurs centré sur la dépression d’un réalisateur. Je voulais toutefois que ce soit drôle… Cette situation était un peu paradoxale, je vous l’accorde.

La comédie est un genre auquel vous êtes peu habitué. Comment avez-vous abordé la réalisation de Making of ?

Raconter de façon littérale la dépression d’un réalisateur n’avait pas intérêt. L’idée était de me guérir avec un film où je ne me prendrais pas au sérieux. Simon, le cinéaste incarné par Bruno Podalydès, se retrouve au cœur d’un tel bouillonnement qu’il fait un burn-out. J’ai ensuite élargi le propos en plaçant des personnages qui m’intéressaient, et notamment ce jeune homme qui se retrouve presque par hasard avec une caméra pour faire le making of du tournage. Il est nourri d’espoirs et de rêves. Ce personnage est une version de moi jeune. Comme lui, je venais de nulle part et je n’étais le fils de personne. Ce jeune homme porte en lui une utopie. Cette utopie vit encore en moi.

Vous êtes-vous projeté directement dans d’autres personnages ?

Ma mission de cinéaste est de comprendre chacun des personnages, quelle que soit l’intimité que je partage ou non avec eux. Quand la directrice de production incarnée par Emmanuelle Bercot demande à l’équipe de continuer bénévolement, la réaction négative de certains membres s’entend parfaitement. Mieux, je la partage. À commencer par le machiniste qui dit : « Je porte des trucs lourds toute la journée, on ne me demande mon avis sur rien, arrêtez de me faire du chantage ! »

 

Le tournage de Making of a-t-il ressemblé à celui que vous décrivez dans le film ?

Le tournage a été difficile, le budget était serré et nous avons connu plusieurs cas de Covid-19 qui ont bouleversé le plan de travail. Pour autant, l’ambiance était très bonne, l’inverse donc de ce que je racontais. Il y avait de fait quelque chose de très immersif, de participatif. Certains techniciens jouaient dans le film. En me moquant de l’aspect très pyramidal et vertical du cinéma, je me devais de faire particulièrement attention. Cela a agi comme un antidote.

Les prises de vues de Making of se terminent et il vous faut donc déjà penser au Procès Goldman

Entre les deux, je pars tourner en tant que comédien le film Madame de Sévigné d’Isabelle Brocard. Je prépare donc Le Procès Goldman au téléphone avec l’aide précieuse de mon assistant. J’ai d’ailleurs débuté son tournage anormalement détendu ! Le fait qu’il s’agisse d’un décor unique avec la possibilité d’avoir toutes les équipes auprès de moi me rassurait. Figurants et acteurs étaient en effet disponibles en permanence. Je n’avais qu’à me concentrer sur le texte et la valeur des plans. J’avais l’impression d’être un cinéaste hollywoodien qui termine un tournage le vendredi et en reprend un autre le lundi. Je faisais mon métier. C’est aussi simple que cela ! J’y ai trouvé paradoxalement une forme de détente… Le plus périlleux était de retourner en salle de montage juste après pour Making of, ce qui demandait une gymnastique mentale un peu compliquée.

Plusieurs actrices et d’acteurs de Making of sont par ailleurs des cinéastes : Valérie Donzelli, Xavier Beauvois, Emmanuelle Bercot… Est-ce pour leur fonction que vous les avez engagés ?

Non. Ce sont simplement de bons interprètes, très faciles à diriger. D’autre part ce sont des amis. Nous partageons les mêmes angoisses liées à notre travail. La communication est d’autant plus fluide. Quant à Arthur Harari, pour Le Procès Goldman, je ne le connaissais pas avant de tourner. Il me paraissait déjà être l’interprète idéal.

En tant qu’acteur sur le film de quelqu’un d’autre, avez-vous la tentation d’intervenir dans le processus créatif ?

Je m’arrête au périmètre de mon personnage. Je le défends au maximum. J’estime que c’est ma mission. Si je sens que la ou le cinéaste ne l’aime pas assez, j’essaie de lui donner de l’espace… La façon dont la caméra va être placée ne me regarde pas.

Que révèle Making of de notre société selon vous ?

On assiste à un changement d’époque. Le producteur incarné par Xavier Beauvois représente une typologie de producteurs bien spécifiques, des aventuriers, un peu contrebandiers sur les bords. J’en ai rencontré tout au long de ma carrière. Ces personnages pouvaient être épuisants mais avaient du panache… Simon, le réalisateur dans le film, dit d’ailleurs à sa femme : « Il est fini et je vais couler avec lui ! » Il n’a pas vu que le monde a changé. Ce plan à la fin du film avec les figures de Bruno Podalydès et Xavier Beauvois derrière la vitre, c’est le Titanic. Un monde englouti…

 

making of

making of
Making of Ad Vitam

Réalisation : Cédric Kahn
Scénario : Fanny Burdino, Samuel Doux, Cédric Kahn
Production : Curiosa Films (Olivier Delbosc)
Coproduction : Tropdebonheur productions, France 2 Cinéma, Umedia
Avec la participation de Canal+, France télévisions, Ciné+
Distribution France : Ad Vitam
Ventes internationales : Elle Driver
Sortie en salles le 10 janvier 2024

Soutien du CNC : Aide à l'édition vidéo (aide au programme éditorial)