In Vivo Films : « Les cinémas du monde comme ADN »

In Vivo Films : « Les cinémas du monde comme ADN »

08 décembre 2023
Cinéma
Levante
« Levante » réalisé par Lillah Halla Rezo

Les productrices Claire Charles-Gervais et Louise Bellicaud reviennent sur leur rencontre, la création de leur société In Vivo Films et l’aventure de Levante, de la Brésilienne Lillah Halla, sorti en salles le 6 décembre. Un premier long métrage sur les conséquences de l’interdiction de l’avortement au Brésil, primé à la Semaine de la Critique 2023, accompagné par l’aide aux cinémas du monde (ACM).


Quels sont vos parcours respectifs avant la création d’In Vivo Films ?

Claire Charles-Gervais : Des parcours assez similaires. On a travaillé toutes les deux dans des sociétés de production et de vente à l’international et, petit à petit, est née l’envie de produire de manière indépendante. Pour ma part, j’ai commencé dans une société de vente internationale à Miami qui travaillait sur des films latinos, puis j’ai fait un petit passage chez Fidélité Films en production avant d’aller chez Urban Distribution International.

Louise Bellicaud : Moi, j’ai travaillé un an chez Panorama Films, puis pendant six ans chez Sacrebleu Productions, où je m’occupais beaucoup d’animation. Mais j’avais envie de travailler sur des films en prises de vues réelles !

C G-V : On s’est rencontrées car je voulais un retour d’expérience de sa part sur un master en production et coproduction européenne internationale qu’elle avait suivi. Par la suite, les sociétés pour lesquelles on travaillait ont régulièrement collaboré, on s’est donc beaucoup vues et on est devenues amies. Puis quand on en a eu assez d’être employées, on s’est motivées pour lancer notre propre société de production en 2015. L’aventure a débuté avecle film C’est qui cette fille de Nathan Silver (2017), accompagné en production par StrayDogs, Ruben Amar et Lola Bessis. On avait réussi à réunir des fonds privés pour son financement, et le film a été sélectionné au festival de Tribeca puis à Venise Days. Ça a été une rampe de lancement idéale. L’énergie qu’on avait mise sur ce film avait beaucoup plu à des producteurs algériens qu’on avait rencontrés à l’Atelier de la Cinéfondation, à Cannes. Et c’est ainsi qu’on a pu coproduire avec eux notre deuxième long métrage, Abou Leila, le premier film d’Amin Sidi-Boumédiène, sélectionné à la Semaine de la Critique en 2019.

 

Comment définiriez-vous l’ADN d’In Vivo Films ?

C G-V : Produire des fictions et travailler avec l’international. On a toujours été séduites par des histoires locales mais qui possèdent une portée globale et un message universel. Des films engagés qui vont aborder la condition sociale des pays en question. Les cinémas dits du monde ont toujours été ceux pour lesquels on avait le plus d’affinités. Si on a d’abord travaillé en coproduction, on développe désormais des films de notre propre initiative tout en gardant cet ADN intact. Le prochain long métrage d’Amin Sidi-Boumédiène, qui parle d’un écrivain algérien exilé en France, en constitue un parfait exemple.

Comment vous répartissez-vous le travail ?

L. B. : On est interchangeables ! (Rires.) Si l’une de nous est absente, l’autre peut prendre le relais sur à peu près tous les dossiers. Car on a, au fond, un peu la même formation et les mêmes expériences professionnelles. Travailler à 50/50 sur tous les projets permet aussi d’échanger et d’éviter de se retrouver seule face à soi-même !

Comment avez-vous entendu parler de Levante ?

C G-V : Au festival de Berlin, en 2018. On avait été attirées par son pitch dans le catalogue du Berlinale Talents où le projet avait été sélectionné. On a donc demandé à rencontrer Lillah Halla et sa productrice Clarissa Guarilha. On a eu un vrai coup de cœur pour ces deux femmes et pour l’importance que ce film aurait dans le Brésil de [Jair] Bolsonaro. Dans l’esprit du film, toutes deux avaient envie de trouver des collaboratrices plus que des collaborateurs. Dans la foulée, elles nous ont envoyé le scénario, qui était déjà bien avancé. Et on a tout de suite vu la petite bombe à laquelle on avait à faire. Tout s’est enclenché alors très vite. L’envie de travailler ensemble était réciproque.

Dans leur démarche de coproduction avec la France, les producteurs étrangers recherchent d’abord des retours sur le scénario. Un regard extérieur à celui du pays en question afin de tendre vers la plus grande universalité possible et aussi de savoir si le sujet abordé peut être facilement compris hors de leurs frontières.
Claire Charles-Gervais

 

Levante met en scène une joueuse de volley-ball brésilienne de 17 ans qui, apprenant qu’elle est enceinte la veille d’un championnat décisif, cherche à se faire avorter illégalement et se retrouve la cible d’un groupe fondamentaliste. Le film, non dénué d’humour, se situe aux confins du thriller et du drame social, dans une ambiance queer assumée. Tous ces éléments étaient-ils perceptibles dès l’écriture ?

C G-V : Au cours du processus, si certains personnages ont disparu ou fusionné avec d’autres, la thématique autour du droit à l’avortement au Brésil dans ces années sombres est toujours restée centrale, tout en s’inspirant des évolutions politiques du pays, notamment la montée de l’évangélisme. Levante est nourri par des histoires que Lillah Halla a vécues ou qu’on lui a racontées. La joie de vivre qu’on ressent dans le film, en dépit de tous les obstacles rencontrés était déjà perceptible à l’écriture. Mais je pense qu’elle a été boostée par la bande de filles, de trans et de queers que Lillah a réunie devant sa caméra. Le plus gros changement se situe là. Dans le script, ces personnages n’avaient pas cet aspect haut en couleur. Mais Lillah a vraiment voulu représenter des gens qu’on ne voit pas beaucoup au cinéma. Son scénario a logiquement évolué au fil de son casting.

Quelles ont été vos premières actions en tant que productrices sur le film ?

C G-V : D’abord des retours sur le scénario, car c’est ce que les producteurs étrangers recherchent dans leur démarche de coproduction avec la France. Un regard extérieur à celui du pays en question afin de tendre vers la plus grande universalité possible et aussi de savoir si le sujet abordé peut être facilement compris hors de leurs frontières. Et puis, évidemment, le nerf de la guerre est de trouver des financements.

L. B. : In Vivo a la chance d’être basée à Bordeaux, dans une région, la Nouvelle-Aquitaine, qui accompagne particulièrement les coproductions internationales. Pour Levante, on a obtenu son soutien très tôt, à travers son fonds Innovation long métrage, mais aussi grâce à l’aide du département de Charente-Maritime où on a fait une partie de la postproduction. On a aussi reçu, avant le premier clap, l’aide de la région Île-de-France.

Avez-vous pu vous rendre sur le tournage ?

L.B. : Hélas non, à cause de la pandémie de Covid-19 qui a rendu ce voyage impossible…

Comment s’est-il déroulé ?

C G-V : Sans encombre car Lillah avait su réunir des collaboratrices et des collaborateurs sur la même longueur d’onde qu’elle. Elle a aussi pris le temps en préparation de parler énormément du sujet avec ses comédiens. Elle a fait en sorte que le plateau soit un endroit protégé, comme une bulle où personne ne viendrait les agresser. Et elle avait surtout réussi à conserver les fonds publics brésiliens que le film avait obtenus avant l’arrivée de Bolsonaro au pouvoir.

Quel a été le rôle d’In Vivo dans la production de Levante ?

C G-V : Comme il avait été très compliqué d’emmener des techniciens français sur le tournage, toujours à cause du Covid-19, on s’est retrouvées en charge de la postproduction.

L.B. : On a commencé par le montage images en Nouvelle-Aquitaine, qu’on a ensuite fini au Brésil. Par expérience, on sait que les réalisateurs étrangers qui viennent monter leur film en France ont besoin de le terminer dans leur pays, pour le peaufiner en se reconnectant aux réalités de celui-ci. On a aussi suivi le montage son avec un casting idéal puisque notre monteur son, Waldir Xavier, est franco-brésilien !

C G-V : On s’est aussi occupées des effets spéciaux en France avec le studio Autrechose à Paris.

La question de l’avortement ? La première histoire d’amour de l’héroïne avec une fille ? Le collectif de l’équipe de volley-ball féminine ? Le parti pris a été qu’aucun de ces éléments ne prenne le pas sur l’autre. Mais trouver cet équilibre a été le fruit d’un travail de longue haleine.
Louise Bellicaud

 

Comment avez-vous travaillé avec Lillah Halla et les autres coproductrices pendant le montage de Levante ?

C G-V : Cette étape n’a pas été simple. En effet, quelques jours avant le premier clap, Lillah a appris qu’elle n’avait plus six semaines de tournage mais cinq. Cela s’est logiquement répercuté sur le montage car on n’avait pas forcément tout le matériel désiré. Levante a donc dû être repensé à ce moment-là et a pris beaucoup de directions différentes avant d’arriver à celle choisie, sur laquelle toutes les productrices– nous étions quatre –sont tombées d’accord. Un cocktail extrêmement riche qui n’a pas été simple à obtenir mais que Lillah a su trouver à la toute fin du montage.Tout était une question de curseur…

L. B. … Et de savoir ce qui allait primer. La question de l’avortement ? La première histoire d’amour de l’héroïne avec une fille ? Le collectif de l’équipe de volley-ball féminine ? Le parti pris a été qu’aucun de ces éléments ne prenne le pas sur l’autre. Mais trouver cet équilibre a été le fruit d’un travail de longue haleine.

Qu’a représenté la sélection cannoise, à la Semaine de la Critique, dans la vie de Levante ?

C G-V : Lorsqu’on avait rencontré Lillah à Berlin, elle s’apprêtait à tourner un court métrage, Menarca. Quand elle nous l’a montré, on lui a suggéré de l’envoyer à la Semaine de la Critique qui l’a adoré et sélectionné l’année où Cannes n’a pas pu se tenir à cause de la pandémie. L’équipe d’Ava Cahen a donc suivi de près son premier long, mais sans promettre quoi que ce soit. Et puis il a été sélectionné ! Cette sélection change la vie d’un premier film comme Levante, pour lequel trouver un distributeur et un vendeur international n’est jamais simple. On avait senti de l’intérêt en amont pour le film mais cette présence cannoise a bouleversé la nature des négociations et plus largement son exposition médiatique.

L.B. : D’autant plus qu’il est reparti avec le prix FIPRESCI ! C’est aussi et surtout une consécration pour toutes les équipes après autant d’années de travail !

Que garderez-vous de cette aventure ?

L.B. : L’énergie qui émane du film. Le sujet a beau être rude, on sort de Levante gonflé à bloc, avec l’envie de déplacer des montagnes !

C G-V : Je garderai le bonheur d’avoir travaillé avec deux productrices Clarissa Guarilha et Rafaella Costa, avec qui on s’est extrêmement bien entendues. On a eu de nombreuses difficultés, du stress… Mais on a toujours trouvé des solutions. Cette énergie qu’on retrouve dans le film, c’est aussi la leur et celle qu’on a vécue dans les coulisses avec toute l’équipe.

L.B. : Levante a été une vraie aventure humaine. Coproduire, c’est un peu comme se marier avec quelqu’un : c’est pour le meilleur et pour le pire ! (Rires.) Ici, on n’a eu que le meilleur.

leVANTE

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Levante Rezo

Réalisation : Lillah Halla
Scénario : Lillah Halla et Maria Elena Morán
Photographie : Wilssa Esser
Montage : Eva Randolph
Musique : Maria Beraldo
Production : Arissas, Manjericão Filmes, In Vivo Films, Cimarrón Cine
Distribution : Rezo Films
Ventes internationales : M-Appeal
Sortie en salles : 6 décembre 2023

Soutiens du CNC : Aide aux cinémas du monde après réalisation, Aide sélective à la distribution (aide au programme)