Jacques Girault : « La Place d’une autre est ma première incursion dans le film d’époque »

Jacques Girault : « La Place d’une autre est ma première incursion dans le film d’époque »

24 janvier 2022
Cinéma
Lyna Khoudri et Sabine Azéma dans « La Place d'une autre » d'Aurélia Georges.
Lyna Khoudri et Sabine Azéma dans « La Place d'une autre » d'Aurélia Georges. Pyramide Distribution
Le directeur de la photo de Sauvage et de Petite Nature raconte sa collaboration avec Aurélia Georges sur La Place d’une autre. Une histoire d’usurpation d’identité dans la France de la Grande Guerre, qui sort en salles ce mercredi.

La Place d’une autre raconte l’histoire d’une imposture, celle d’une jeune femme qui prend la place d’une autre pour échapper à une existence misérable, au cours de la Première Guerre mondiale. C’est la première fois que vous travaillez avec la réalisatrice Aurélia Georges. Comment s’est faite votre rencontre ?

Par un concours de circonstances. Aurélia venait de perdre sa directrice de la photo deux mois et demi avant le tournage quand la directrice de production du film, Marie Sonne-Jensen, m’a contacté. On avait travaillé ensemble sur Sauvage de Camille Vidal-Naquet et elle m’a proposé de rencontrer Aurélia. Quelque chose a immédiatement connecté entre nous quand je lui ai expliqué mon travail de recherche en amont des tournages. Le fait que je m’appuie à chaque fois sur des références en apparence totalement opposées pour faire jaillir l’image d’un film. Cette idée de contraste l’a séduite. Elle m’a alors demandé de constituer un moodboard pour que je lui expose les images qui me venaient en tête après la lecture du scénario. Nos échanges et notre collaboration ont commencé là.

Quels films faisaient partie de vos inspirations ?

Je savais qu’on allait tourner en numérique, mais toutes mes références ont été des films tournés en pellicule. Deux, tout particulièrement : Pas de printemps pour Marnie d’Alfred Hitchcock et Phantom Thread de Paul Thomas Anderson, parfait mélange à mes yeux d’ancien et de moderne. J’étais à la recherche, à travers eux, d’une manière d’éclairer les visages. C’est pour cette raison que j’ai décidé d’éclairer au Fresnel, même si ce système peu utilisé aujourd’hui nécessite plus de temps d’installation. Il allait dans le sens de cette image un peu brute, contrastée, avec du caractère, que souhaitait Aurélia. 

La modernité que vous évoquez a-t-elle constitué votre mot d’ordre sur ce film d’époque, afin d’éviter le côté parfois empesé des reconstitutions historiques à l’écran ?

Je n’ai pas le souvenir qu’on ait prononcé ce mot-là, mais l’idée de modernité nous a pourtant accompagnés tout au long du projet. Alors que ni Aurélia ni moi n’avions d’expérience en matière de films d’époque, nous avons pu nous appuyer sur le chef décorateur Thomas Grézaud, qui avait travaillé sur Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma et Confessions d’un enfant du siècle de Sylvie Verheyde.

Une bonne partie de la modernité de l’image que vous évoquez vient de son travail. Très épuré, jamais poussiéreux. Un canapé, des murs blancs… Avec comme référence, les peintures de Félix Vallotton.

Une modernité qui raconte celle du personnage que campe Sabine Azéma, Madame de Lengwil, femme bourgeoise qui détonne dans cette période de la Première Guerre mondiale. L’atmosphère de sa maison contraste d’ailleurs volontairement avec celle du début du récit qui épouse, elle, une esthétique de film d’époque plus « poussiéreuse » dans l’appartement où se déroulent les scènes avec le patron de la jeune héroïne Nélie (Lyna Khoudri), qui essaie d’exercer sur elle un droit de cuissage avant de la virer quand elle lui résiste. 


Est-ce que le fait de pouvoir travailler pour la première fois sur un film d’époque a compté dans votre envie de faire La Place d’une autre ?

Oui, car j’avais envie de me confronter à un exercice éloigné de mon travail sur Sauvage ou Petite Nature de Samuel Theis aux esthétiques plus contemporaines, où il s’agissait de saisir l’énergie des acteurs en étant au plus près d’eux. La Place d’une autre était la promesse de travailler à créer une tout autre esthétique. Par exemple, Aurélia a horreur de la caméra à l’épaule qu’on ne retrouve que dans une scène, celle où le majordome de Madame de Lengwil découvre le double jeu de Nélie, et ce afin de donner corps, à l’image, à l’urgence du moment. 

Comment définiriez-vous votre collaboration avec elle ?

Aurélia est très précise. Mais nous savions d’emblée que le budget du film ne nous permettrait pas des mises en place quotidiennes aussi poussées que possible pour respecter sa méticulosité. Pour une raison très basique : le temps de préparation des comédiens en maquillage et costumes est incompressible, au détriment de tout le reste. Pour s’en prémunir, on a donc énormément travaillé en amont, préparé et découpé le film. Et on a essayé de toujours prendre, malgré tout, un petit temps avant chaque scène avec les comédiens. Mais pas question d’imaginer, comme parfois chez Camille Vidal-Naquet ou Samuel Theis, que la scène de répétition puisse devenir la prise choisie. Aurélia peaufine le jeu d’acteur à l’intonation près. Elle fait donc beaucoup de prises pour arriver à ses fins, pour obtenir le rythme précis qu’elle recherche.

Est-ce que votre rapport aux comédiens change dans ce cadre plus strict ?

Énormément ! Ce fut d’ailleurs l’une de mes premières conversations avec Lyna Khoudri, qui vient du même type de cinéma que moi. Pour elle aussi, ce fut une première de travailler avec une réalisatrice où tout est plus cadré, avec deux caméras fixes, des marques au sol... Dans ce cas, j’ai moins de connivence avec les comédiens que lorsque je les accompagne caméra à l’épaule, que je peux faire une proposition de découpage en temps réel pour accompagner au plus près leurs émotions. Sur La Place d’une autre, les personnages évoluent comme dans un tableau. C’est d’ailleurs ainsi que s’est construit le cadre. Façon portrait. Aurélia ne voulait jamais qu’on soit trop serré sur les personnages. Elle souhaitait aussi que l’axe regard soit très proche de l’axe optique. Mais ce qui est génial pour un chef opérateur, c’est de découvrir à chaque film les obsessions d’un metteur en scène et de s’en servir pour enrichir ses projets suivants.

LA PLACE D’UNE AUTRE

D'Aurélia Georges
Scénario : Maud Ameline et Aurélia Georges, librement inspiré de Passion et repentir de Wikie Collins
Photographie : Jacques Girault
Montage : Martial Salomon
Musique : Frédéric Vercheval
Production : 31 Juin Films, Arte France Cinéma, Pyramide
Distribution et ventes internationales : Pyramide