Jane Birkin en deux documentaires : « Jane B. par Agnès V. » et « Jane par Charlotte »

Jane Birkin en deux documentaires : « Jane B. par Agnès V. » et « Jane par Charlotte »

13 janvier 2022
Cinéma
Jane Birkin et Charlotte Gainsbourg dans le documentaire « Jane par Charlotte ».
Jane Birkin et Charlotte Gainsbourg dans le documentaire « Jane par Charlotte ». Nolita Cinema - Deadly Valentine
À la fin des années 80, Agnès Varda réalisait un portrait complice de son amie Jane Birkin dans le beau Jane B. par Agnès V. Près de trente-cinq ans plus tard, c’est sa propre fille, Charlotte Gainsbourg, qui pose son regard sur Birkin dans le documentaire Jane par Charlotte. Trois prénoms donc, deux documentaires, et surtout deux prismes différents pour éclairer un même sphinx de la culture pop(ulaire). Retour sur ces deux regards aussi décalés qu’admiratifs. 

Jane B. par Agnès V. : portrait de femme en artiste

C’est en 1985, dans la foulée de la sortie de Sans toit ni loi, Lion d’or à Venise, que débute l’histoire de Jane B. par Agnès V. Bouleversée par la découverte de ce film, Jane Birkin écrit à sa réalisatrice Agnès Varda en lui proposant de la rencontrer sans savoir précisément ce qu’elles pourraient faire ensemble. Rendez-vous est donné dans un parc où assez vite l’idée d’un documentaire va faire son bout de chemin. L’admiration est réciproque. Agnès Varda aime chez Jane Birkin sa capacité à se montrer aussi à l’aise dans les comédies légères (La moutarde me monte au nez, La Course à l’échalote, Circulez y’a rien à voir…) que dans les drames les plus noirs (La Pirate…) et a envie de la filmer alors qu’elle s’apprête à franchir le cap des 40 ans qu’elle trouve passionnant à observer chez les comédiens.

Pour donner vie à ce projet, la cinéaste va s’installer pendant deux années au domicile de Jane Birkin. Et c’est là qu’elle décide qu’elle fera tout à la fois le portrait de l’actrice et de la femme Birkin. Son film va alors logiquement en permanence évoluer entre documentaire et fiction. C’est un portrait rêvé, « un portrait-en-cinéma » comme le définissait Varda, un film qui mêle des interviews de Jane Birkin (où elle raconte son enfance, ses peurs comme ses plaisirs), les visites des lieux qu’elle aime mais aussi la mise en scène de ses rêves où elle apparaît déguisée en Laurel, en Marilyn, en Jeanne d’Arc ou en Calamity (Jane, forcément). Dans Jane B. par Agnès V., Jane Birkin est donc à la fois artiste et modèle, elle-même et une multitude d’autres. Elle est entourée de Jean-Pierre Léaud (qui joue un amoureux colérique), Philippe Léotard (un peintre), Alain Souchon (un homme obsédé par Verlaine) mais aussi de Serge et Charlotte Gainsbourg dans leurs propres rôles. Le résultat est fascinant. Mais qu’on ne s’y trompe pas : Agnès Varda a saisi l’essence de Jane B., avec une pudeur et une finesse qui préservent de toute indiscrétion. 

Pour la petite histoire, c’est en plein milieu du tournage que Jane Birkin fait lire à Agnès Varda un scénario qu’elle a écrit sur un garçon de 13 ans tombant amoureux d’une femme de 40 ans, après avoir un temps pensé à le confier à Patrice Chéreau. Immédiatement, Agnès Varda accroche et Jane B. par Agnès V. aura donc un prolongement : Kung-fu Master qu’elle réalise avec dans les rôles principaux son fils Mathieu Demy et bien évidemment Jane Birkin. Une fiction cette fois-ci, mais qui documente la nostalgie profonde du temps de l’enfance qui habite la comédienne.


Jane par Charlotte : l’écume de mère

Charlotte Gainsbourg a commencé à filmer sa mère pour la regarder comme elle ne l’avait jamais fait. Par l’entremise de la caméra, la glace se brise pour faire émerger un échange inédit, sur plusieurs années, qui efface peu à peu les deux artistes, pour laisser apparaître une mère face à sa fille. Le résultat apparaît donc comme l’exact opposé, le pôle inverse du film de Varda. Il est question ici de deux femmes qui se mettent à nu dans un dialogue aux airs de confessions intimes. Une première dans tous les sens du terme ! Si Charlotte Gainsbourg avait déjà signé la mise en scène de plusieurs clips de ses chansons, elle n’avait jamais pensé à réaliser un film pour le grand écran. D’ailleurs, elle ne se lance pas dans Jane par Charlotte avec cette ambition-là mais pour se rapprocher de sa mère, dont elle s’était éloignée après la mort tragique de sa demi-sœur Kate, en s’installant à New York. Prendre une caméra comme elle tendrait une main. Puis, peu à peu, elle décide d’engager une équipe, de penser plus précisément aux questions qu’elle aimerait poser à sa mère avant de se lancer, notamment inspirée par le documentaire que Griffin Dune a consacré à sa tante Joan Didion [Joan Didion : le centre ne tiendra pas, 2017].

C’est au Japon qu’elle choisit de tourner les premières images alors que Jane Birkin y donne un concert. Elle filme sa mère sur scène, chantant Gainsbourg. Puis, sur les conseils d’une amie japonaise de Kate, elle l’emmène dans un hôtel où Ozu avait l’habitude d’écrire ses films. Jane Birkin accepte sans vraiment poser de questions. Elle pense qu’il va s’agir d’un documentaire « classique » revenant sur son parcours et les premières images filmées sur scène semblent d’ailleurs lui donner raison. Mais, soudain, elle panique en voyant sa fille débarquer avec un énorme dossier sous le bras et encore davantage quand celle-ci pose sa première question en lui demandant pourquoi elles ne sont pas aussi proches qu’elle ne l’est ou l’a été avec ses autres filles, Kate Barry et Lou Doillon. En un instant, Jane Birkin se referme, n’a pas envie de dévoiler des choses aussi intimes, en présence de tiers. Une fois ce tournage terminé, elle dit à sa fille qu’elle arrête tout. Ce que cette dernière n’avait pas un instant anticipé.

Le projet se trouve donc enterré avant de ressurgir deux ans plus tard et de prendre sa forme définitive. Jane Birkin rend à ce moment-là visite à sa Charlotte à New York. Pour crever l’abcès, cette dernière lui propose de regarder les rushes afin de comprendre où se situait le problème de leur premier et unique échange devant une caméra. Et devant les images, plus douces que la manière dont elle avait vécu ces moments, Jane Birkin accepte de reprendre le tournage. Poussée par sa monteuse Tianès Montasser, Charlotte Gainsbourg va elle aussi changer son fusil d’épaule, prendre la caméra et filmer elle-même sa mère – en plus des moments cadrés avec son directeur de la photo Adrien Bertolle –, en embarquant sa fille Jo dans l’aventure. Jane par Charlotte devient alors un film sur la transmission. Évidemment le côté iconique de cette famille est présent, notamment quand Charlotte filme Jane dans la maison de la rue de Verneuil où elle vivait avec Gainsbourg… et découvre qu’elle n’y avait pas remis les pieds depuis la mort de ce dernier. La caméra qui avait au départ créé de la gêne devient un accélérateur de confidences. Jane et Charlotte se disent alors des choses qu’elles n’avaient jamais évoquées dans la vraie vie. Et le documentaire devient un autoportrait à deux voix.

JANE PAR CHARLOTTE

De Charlotte Gainsbourg
Photographie : Adrien Bertolle
Montage : Tianès Montasser
Production : Nolita Cinéma, Deadly Valentine
Distribution : Jour2Fête
Soutiens du CNC : Aide sélective à la distribution (aide au programme)