« Elle entend pas la moto » : entretien avec le distributeur Épicentre Films

« Elle entend pas la moto » : entretien avec le distributeur Épicentre Films

08 décembre 2025
Cinéma
« Elle entend pas la moto »
« Elle entend pas la moto » réalisé par Dominique Fisbach Epicentre Films

Le directeur de la distribution d’Épicentre Films, Corentin Sénéchal, décrit la stratégie de sortie en salles du premier long métrage de Dominique Fischbach, Elle entend pas la moto. Un documentaire, qui a notamment reçu le soutien de l’appel à projets « Les uns et les autres » en faveur de l’inclusion et de l’accessibilité des personnes en situation de handicap dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, de l’animation et du jeu vidéo.


Qu’est-ce qui vous a donné envie d’accompagner Elle entend pas la moto à la fois comme distributeur et producteur via la filiale d’Épicentre, Reality Film ?

Corentin Sénéchal : Je connaissais Dominique Fischbach car j’avais produit un de ses courts métrages en 2017. Nous étions restés en contact. Elle m’avait parlé de son envie de poursuivre en format long le portrait de cette famille qui lui avait déjà inspiré trois courts métrages au fil de ces vingt-cinq dernières années. J’ai trouvé cette idée très cinématographique, à l’image de films comme Boyhood (2014). Je lui ai tout de suite dit que nous pouvions l’accompagner, d’autant que nous venions de créer Reality Films. Pour la première production au sein de cette structure, un documentaire me paraissait la meilleure option. Très tôt, j’avais une stratégie en tête : je voulais que Dominique puisse tourner rapidement. Je ne souhaitais pas que le financement s’éternise en attendant le résultat de commissions comme l’Avance sur recettes [le film a bénéficié de l’Avance sur recettes après réalisation – ndlr]. Nous nous sommes donc appuyés sur l’aide à la production de la Région Île-de-France, que nous avons obtenue rapidement. Puis, compte tenu du sujet liant handicap et inclusion, j’ai estimé qu’il fallait tenter de mobiliser le mécénat, où ces thèmes sont très présents aujourd’hui, notamment avec les labels RSE qui permettent un partenariat gagnant-gagnant. Nous avons obtenu le soutien d’une dizaine de mécènes et collecté 200 000 euros. La première structure à nous répondre positivement a été l’Association nationale de l’audition qui a accepté d’être l’organisme collecteur. Tout cela a été rendu possible grâce à l’expérience de Dominique en documentaire et le fait que Manon Altazin, l’héroïne sourde du film, est une figure connue : ancienne gymnaste, elle a gravi le mont Blanc, a été pilote d’avion… Son parcours incroyable donne une force supplémentaire au film.

L’accessibilité est un sujet brûlant […]. Et le film est devenu à sa manière un porte-drapeau.

Pour distribuer Elle entend pas la moto, vous avez bénéficié de l’appel à projets « Les uns et les autres ».

C’est un dispositif qui existe depuis deux ans, en partenariat avec le CNC et l’Agefiph (l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées). Il vise à récompenser toute action pour l’insertion des professionnels en situation de handicap des secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, de l’animation et du jeu vidéo, à travers des projets qui développent des solutions pour rendre accessibles les œuvres cinématographiques et embauchent des personnes en situation de handicap. Dans notre cas, cela incluait Manon, mais aussi les interprètes nécessaires lors des projections et débats autour du film. Ce label de qualité a été l’un des premiers que nous avons sollicités pour la distribution. L’obtenir nous a aidés financièrement.

Comment décririez-vous votre stratégie de distribution ?

Le montage du film a été terminé en juillet 2025. Je souhaitais que celui-ci sorte très vite. Nous avions d’abord envisagé une sortie le 3 décembre, date de la journée mondiale du handicap, avant d’opter pour le 10 afin d’éviter un calendrier trop chargé. Ce n’est pas un film avec une sortie « classique ». Il devait d’abord rencontrer son public grâce aux festivals ainsi que des projections en amont, accompagnées à chaque fois d’un débat avec la présence de Dominique ou de Manon. C’est la seule manière de donner de la notoriété à un film. Nous avons réussi à en organiser 100 en un temps record ! Pour cela, nous avons mobilisé les réseaux associatifs et mené une campagne digitale très importante. Le premier festival à nous sélectionner a été le Festival 2 Valenciennes, où nous avons remporté le prix du Public. Une dizaine d’autres ont suivi avec l’idée de ne pas se limiter aux festivals documentaires. L’aspect hybride d’Elle entend pas la moto lui permet en effet de toucher un public de fiction. Ce qui s’est confirmé au fil des mois : les festivals de fiction ont le plus soutenu le film.

Y a-t-il eu un moment qui vous a particulièrement marqué dans ces mois précédant la sortie du film ?

La présentation du film au Congrès des exploitants à Deauville, en septembre 2025. Manon a tenu à prendre la parole devant 2 500 exploitants, en signant et en parlant. Les exploitants ont été conquis. Ce moment extrêmement fort nous a énormément aidés pour la suite. J’ai reçu un nombre hallucinant de messages. L’accessibilité est un sujet brûlant. Un rapport récent sur l’accessibilité culturelle a relancé le débat. Et le film est devenu à sa manière un porte-drapeau.

 

Comment s’est fait le choix de sous-titrer ou non le film ?

Décider de la version à montrer au public était évidemment une question centrale. Et comme vous l’imaginez, cela n’a pas été simple. D’un côté, Dominique militait pour une absence de sous-titres afin de ne pas catégoriser le film et, de l’autre, j’avais conscience que le premier public concerné, les personnes sourdes, auraient, elles, inévitablement besoin de sous-titres pour comprendre les dialogues échangés entre les parents de Manon, par exemple. Mettre en place une séance SME (sous-titrage pour sourds et malentendants) une fois tous les quinze jours aurait été insuffisant à mes yeux. Nous avons donc tranché pour une version sous-titrée en français, mais pas forcément en SME, car ces projections avec des couleurs à l’écran peuvent rebuter un public non averti. Nous projetons la version SME lorsqu’une association de personnes sourdes participe à la séance. Certains nous ont exprimé leur regret de ne pas systématiquement la version SME. Et je le comprends parfaitement. Nous avions déjà fait face à ces questions et à cette problématique en 2016 avec J’avancerai vers toi avec les yeux d’un sourd de Laetitia Carton. La difficulté, c’est qu’il n’y a que 500 interprètes en langue des signes en France alors qu’il en faudrait quatre fois plus. Cela crée une tension énorme. C’est ce qui explique notamment que nous ne pourrons pas assurer toutes les projections comme nous le souhaiterions pour l’après-sortie. Nous essayons de satisfaire tout le monde en ayant conscience qu’il n’existe pas de solution parfaite.
 

ELLE ENTEND PAS LA MOTO

Affiche de « ELLE ENTEND PAS LA MOTO »
Elle entend pas la moto Epicentre Films

Réalisation et scénario : Dominique Fisbach
Production : Reality Films
Distribution : Épicentre Films
Sortie le 10 décembre 2025

Soutiens sélectifs du CNC : Avance sur recettes après réalisationAide sélective à la distribution (aide au programme 2025)

Le documentaire a également bénéficié de l’Appel à projets 2025 « Les uns et les autres » pour la distribution.